Chapitre 06 : nouveau chemin
Junker observait le marché noir. Son excellente vision lui permettait de distinguer d’éventuels matériaux nécessaires à la construction d’un nouveau gouvernail. Malheureusement, tous les composants présentés étaient archaïques. Pendant ce temps, Quentin cherchait un moyen d’acquérir les fonds dont ils auront besoin. Ne trouvant rien, l’être de métal partit rejoindre son ami.
A son domicile, le jeune homme épluchait divers documents. le trou du toit avait été grossièrement comblé avec une bâche. Junker entra par la fenêtre, drapé de sa cape et sans un bruit. Quentin tourna la tête.
-Un vrai assassin, dit-il avec un petit sourire. Tu as le sens du spectacle.
- Je ne tue pas les humains, rétorqua l’autre en se redressant.
Le jeune homme rougit un peu.
-Franchement, j’ai beau chercher, mais… je ne vois guère de solutions. A part rejoindre une organisation.
- Des criminels ?
- Pas exactement. Là, il s’agit d’une vaste organisation mafia. Ils gèrent non seulement ce quartier, mais beaucoup d’autres à travers le pays. L’une des branches se trouve pas loin d’ici en plus. Ils répondent au nom de Goei. Ils font principalement de l’escorte et de la livraison. Apparemment, ils sont assez clean. C’est seulement la branche qui porte ce nom. Ils font partie de Kuran.
- Je vois.
Quentin se redressa.
-Ils pourraient nous prendre, tu ne crois pas ?
- Je ne sais pas. Depuis mes douze ans, j’ai compris que tous les humains ne sont pas aussi bons qu’ils en ont l’air, et qu’il est parfois mieux d’ignorer certaines curiosités.
- Mais là, nous serions protégés, et nous aurons à manger, et de quoi nous vêtir convenablement. Avec ce froid…
- Oui. Mais faire partie d’un groupe comme ça ne me plait pas vraiment, tu vois.
- Junker… parfois, nous ne pouvons pas choisir le chemin à prendre. Certaines choses s’imposent à nous, et c’est ainsi. Là, nous avons l’occasion de partir, de voir le monde. Et peut-être ont-ils les éléments nécessaires à la réparation de ton gouvernail ? S’ils font des livraisons, alors…
- Mais ça ne me plait pas. Je… je vis en toute liberté depuis ma naissance. Ils ne verront en moi qu’une machine, une arme. Et ça… je refuse.
Quentin soupira.
-Ecoute, on a qu’a y aller, et on verra bien. Moi aussi je me méfis, mais… c’est peut-être la seule solution. On se joint à eux le temps d’avoir suffisamment d’argent, et ensuite, on volera de nos propres ailes. Qu’en dis-tu ?
Junker semblait réfléchir. Ce n’était pas l’idée en elle-même qui lui déplaisait, mais plutôt le fait de se dévoiler face aux humains. Inévitablement, ceux-ci auront peur, mais verrons très vite en lui le système de combat polyvalent le plus perfectionné qui puisse être en ce monde. Finalement, il vint s’asseoir et soupira.
-Très bien, Quentin, nous irons les voir, si tu veux. Mais à une condition.
- Laquelle ?
- Si notre tentative est un échec, alors on demandera à ce que mon existence ne soit pas révélée, même au chef de Kuran.
- Cela va de soit. Mine de rien… c’est un chemin bien sombre qu’on se risque à emprunter. Toi-même tu en as conscience depuis tout à l’heure.
Junker affichait un air grave, accentué par ses cornes. Finalement, Quentin le laissa dans le salon pour aller prendre une douche. Le robot était en pleine réflexion. Cette proposition était tentante. Il pourrait enfin voir le monde, découvrir de nouvelles choses sur les Hommes. L’être de métal poussa un soupir.
Les deux amis se tenaient non loin de l’entrée d’un bâtiment. Junker était camouflé autant que possible. Il avait même préalablement bandé les ailes de ses bras jusqu’au épaules. De même pour ses jambes. Quant au reste, la cape le cachait. Le bas de son visage était caché jusqu’au nez.
-Bon, on y est, dit Quentin. Tu es prêt ?
Le robot orange acquiesça. Son compagnon sourit et ils s’avancèrent vers les grandes portes de l’immeuble. A l’extérieur, on aurait dit un bâtiment tout à fait ordinaire. L’intérieur, en revanche, devait être bien différent. Quentin s’apprêtait à frapper lorsqu’on leur ouvrit lentement les deux battants qui grincèrent de façon sinistre. Le jeune homme recula, intimidé.
-Ça a commencé, dit alors Junker. Ils nous testent.
- Tu… Tu crois ?
Quentin avisa son visage impassible. Son regard trahissait cependant son anxiété. Au moins, il n’était pas seul. Finalement, tous les deux entrèrent. Il faisait noir. Les portes se refermèrent soudainement avec un bruit sec peu rassurant. Le jeune homme ne put s’empêcher de sursauter, se collant à Junker l’espace d’un instant.
-Désolé.
Il s’écarta. L’être de métal avisa les alentours. On se croirait dans le hall d’un château, avec un bel escalier et deux coursives. Un tapis de soie parcourrait la salle en longueur pour venir se séparer au niveau des coursives. Junker ferma les yeux, tous les sens aux aguets. Il entendait nombre de respirations et de cœurs. Il sentait beaucoup d’odeurs. Cependant, dans un espace aussi restreint, difficile de les localiser avec précision.
-Tien, mais qu’avons-nous là ?
La lumière s’alluma subitement, éblouissant Quentin. Aussitôt, Junker se mit en position, prêt à riposter à la moindre attaque. Une femme descendit les escaliers. Elle était grande et avait le teint mat avec une longue chevelure d’un blond presque doré. Elle portait un magnifique costume blanc ainsi qu’un chapeau avec une petite bande noire. La femme s’arrêta en bas du croisement qui permettait l’accès aux coursives. En effet, l’escalier se scindait en deux à un certain niveau. Elle avisa Quentin du coin de l’œil, un air de mépris dans le regard.
-Un gamin et…
Elle tourna la tête, surprise par cet individu drapé et couvert de bandages. Deux pointes saillaient sous sa grande capuche.
-Et toi, qui es-tu, personnage mystérieux ?
- Je… je suis Junker. Quentin et moi avons une demande pour le maitre de Goei.
- Une demande, dis-tu ?
Cela semblait l’amuser. Elle descendit encore, la main sur la rampe de bois. Sa démarche était gracieuse et légère et son regard exprimait un certain mépris envers ses invités. Elle arborait un air presque hautain.
-Quelle est cette demande ? Je lui ferait parvenir si j’en juge nécessaire.
- Marida.
La femme se tourna. Un homme d’une trentaine d’année se tenait là, en haut des marches. Son costume était noir. Il avait un beau visage rasé et des yeux noisette entourés d’une chevelure bouclée.
-Ne fais pas peur à nos invités, tu veux ?
- Mais… mon chéri…
L’homme descendit les marches avec un sourire et vint surplomber des deux garçons.
-Excusez ma femme, elle aime bien faire son petit numéro envers les étrangers.
- Oh, ça va. J’allais pas les tuer, quand même.
- Marida, tu la fermes.
Celle-ci se tue aussitôt. L’homme eut un soupir.
-Je m’appelle Gin. Alors, que font deux enfants dans le repère d’une branche mafia ?
Il regarda Quentin.
-Mais c’est que t’es mignon, toi.
- Quoi ?
Junker s’avança d’un pas, s’interposant entre eux.
-Nous souhaitons intégrer Goei.
Gin parut surpris. Il avisa l’être de métal et afficha un air grave.
-Et toi ? Pourquoi te drapes-tu ainsi ? Cela n’est guère rassurant, tu sais.
- Je veux garder certaines choses secrètes. Sachez que nous ne vous voulons pas de mal. De toute façon, nous n’avons aucune arme.
- Il ment ! Hurla un homme depuis l’une des coursives. Mes détecteurs s’affolent ! Ce gamin doit être une bombe vivante ! Chef, reculez !
Jin regarda son subalterne. Il avisa Junker, comme pour lui demander une preuve. Aussitôt, le robot écarta les pants de sa cape, dévoilant son tronc, bandé lui aussi. L’homme semblait perplexe.
-Je porte de graves blessures, prétexta Junker. Je ne souhaite pas les montrer.
- Je vois. Mais retires au moins ta capuche. Que je sache à qui j’ai affaire.
L’être métallique hésita un instant, consultant Quentin du regard. Finalement il fit partir son couvre-tête en arrière. Gin et sa femme reculèrent de stupeur.
-Mais !
Le garçon qui se tenait là avait une chevelure de plumes bleue et d’imposantes cornes beiges qui descendaient entre ses yeux et lui servaient de sourcils. Sa peau était orange et semblait métallique. Deux sortes de larmes scintillantes d’un bleu vif descendaient de ses yeux.
-Mais… t’es quoi ?
- Je n’ai pas de réponses à vous donner. Moi-même, je ne le sais pas.
- C’est une arme gouvernementale ! Hurla l’homme depuis la coursive. Il a été envoyé avec son créateur pour nous infiltrer !
Gin regarda Junker.
-Il n’est pas une arme, le défendit Quentin. Et je n’ai pas les compétences pour créer une telle machine.
- Je ne suis pas une machine, rétorqua son ami. Je suis un être robotique autonome et conscient.
L’homme se pencha et avisa l’humanoïde.
-En effet, tu m’as l’air évolué. Je n’ai jamais entendu parlé d’une telle technologie.
- Je ne viens pas de votre monde. C'est une évidence.
Gin se redressa, l’air songeur. Junker regarda Quentin qui semblait inquiet. Peut-être était-ce une mauvaise idée que de vouloir rejoindre une organisation comme Goei. Mais il était trop tard pour reculer. Le chef de la branche de Kuran avait vu sa vraie nature. De plus, il portait un étrange regard sur Quentin. Celui-ci semblait mal à l’aise. Junker sentait que plusieurs hommes avaient leur arme braquée sur eux. Derrière Gin, sa femme croisa les bras et leur lança un regard hautain. Décidément, le destin était une chose bien curieuse et les évènements prenaient une toute autre tournure que celle attendue.
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