Chapitre 12 : l'escale

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Le groupe d’escorte arriverait le lendemain en fin de matinée. Pour l’heure, ils devaient s’arrêter pour la nuit. Ils trouvèrent un établissement au cœur d’une toute petite ville. L’endroit n’avait pas l’air des plus accueillants et il était préférable de faire profile bas. Mikaëla dû abandonner sa robe et ses apparats au profit de vêtements plus simples. Quant à Junker et Quentin, ils restaient en arrière. L’être de métal avait tous les sens aux aguets. Il ne fit aucune remarque quant au couple qui s’adonnait à ses ébats au troisième étage. L’hôtesse les mena jusqu’aux chambres. Junker se retrouva avec la jeune femme.

-Eh bien, dit-elle en s’asseyant sur le lit deux places. Quelle journée, hein ?

L’autre ôta sa cape et s’approcha de la fenêtre, guettant le moindre signe suspect.

-Ne vous relâchez pas. Nous ne sommes pas arrivés.

- Tu m’as l’air bien méfiant.

- J’ai une mission, celle de vous protéger.

Il arpenta toute la pièce. Mikaëla le regarda en souriant. Quelle étrange créature. Elle porta son attention sur le gouvernail au bout de sa queue. L’une des ailettes était manquante. Elle en fit la remarque et Junker lui donna sa réponse. L’être de métal était imperturbable.

-Euh… Junker ? Demanda Quentin en entrant. Alexander m’a chargé d’aller faire les boutiques.

- A cette heure-là ?

- Puis-je vous accompagner ?

Tous deux se tournèrent vers la jeune femme.

-Je ne penses pas que ce soit une bonne idée, dit Quentin.

- Au contraire. Avec nous, elle sera plus en sécurité qu’ici.

- Oh… d’accord. Je vais en avertir Alexander.

Et il partit. Mikaëla eut un sourire.

-Cet espoir, dans vos yeux. J’avais le même, il y a quelques années.

- V… Vraiment ?

- Oui. Jusqu’à ce que je comprenne que ce monde était plus impitoyable que je ne le pensais déjà. Je me disais que malgré tout, je pourrai m’y intégrer, qu’un jour j’arriverai à me fondre dans la foule. Mais j’ai fini par voir qu’il n’en serait jamais ainsi. J’ai rencontré des hommes qui ont voulu faire de moi leur arme.

- Mon dieu.

- J’ai pu leur échapper. Mais malgré tout ce que j’ai vécu, je continu à croire en l’espèce humaine.

- Ah bon ? Ne les détestes-tu pas pour tout ce qui t’es arrivé ? La méchanceté…

- De quoi parlez-vous ? Les hommes ne sont pas méchants. Derrière chaque mauvais acte se cache une raison que l’on croit juste. Celui qui veut détruire le monde est parfois celui qui veut simplement le rendre meilleur. Seulement, il n’a pas choisi la bonne voie pour y parvenir.

- Mais… Ceux que tu côtois, ils ne sont pas comme ça.

- La seule personne que je serai prêt à suivre aveuglément est Quentin. Je me méfis des autres. Enfin.

Junker enfila sa cape et ouvrit la fenêtre.

-Dites à Quentin que je pars en éclaireur dans les environs. Je ne serai pas loin.

- D’accord.

L’humanoïde quitta la chambre en se laissant chuter. Mikaëla se précipita pour le voir filer à vitesse grand V dans les rues. Quentin arriva peu après. Il fit une petite moue en apprenant la nouvelle, ce qui fit ricaner la jeune femme.

Junker parcourait les rues, tous les sens aux aguets. Il filait en direction de la seule épicerie encore ouverte à cette heure. Alors, un bruit lui fit faire volteface. Un gros chien visiblement peu ravis de le rencontrer. Montrant les crocs, le canidé avança en grognant. Junker le regarda.

-Si c’est à ça que tu veux jouer…

L’être robotique tomba à quatre pattes, se changeant en dragon. Surpris, le molosse cessa de gronder pendant un instant. Alors, il bondit. Junker se retourna et le frappa de sa queue, l’envoyant au sol. L’animal poussa un jappement de douleur et s’enfuit aussitôt. Le vainqueur de cette confrontation rapide se redressa et reporta son attention sur l’épicerie.

-Encore un quart d’heure. Il faut se dépêcher.

Il fila rejoindre Quentin et Mikaëla qui faisaient route vers lui puis il les mena vers la petite échoppe, annonçant qu’il les attendrait dehors. Il préférait rester caché. Puis il grimpa le long d’une gouttière avec agilité jusqu’au toit plat d’un petit immeuble. Mikaëla accompagna le jeune métis à l’intérieur. Ils achetèrent le nécessaire pour le voyage du lendemain et les soins d’hygiène. La jeune femme demanda si Junker avait besoin de quelque chose. Ce à quoi Quentin répondit que malgré sa nature, l’être de métal ne nécessitait pas d’entretien spécifique, si ce n’était quand il salissait son exosquelette. Mikaëla parut touchée par la façon dont le jeune homme décrivait toutes les petites attentions de son ami robotique, et ce dès leur rencontre. Il était évident pour elle que Quentin avait des sentiments pour Junker.

Le trio rentra à l’hôtel. Avant de les suivre, l’être de métal leva les yeux vers la lune. Celle-ci était brillante et ronde. Ses yeux s’arrondirent, semblant se perdre dans la lumière blanchâtre de l’astre lunaire. Sa capuche tomba en arrière, révélant ses cornes et sa chevelure.

-Junker ?

Quentin observa son ami dont le regard scintillait. Prenant son apparence bestiale, l’humanoïde s’assit alors, le museau vers les étoiles. Le jeune homme s’approcha.

-J’vais finir par croire que tu aimes la lune plus que moi.

Piqué au vif par cette petite plaisanterie, Junker lui donna un petit coup de museau. Il se redressa et plongea son regard dans celui de son ami. Quentin ne put s’en défaire. L’être de métal semblait avoir absorbé le cosmos qui se reflétait dans ses yeux. Il eut un sourire.

-Et si… c’était toi mon astre lunaire ?

-Eh, les tourtereaux !

Ils firent volteface. L’un des hommes qui faisait parti de l’escorte se tenait là.

-Vous feriez mieux d’aller dormir.

- Oui !

Et ils s’élancèrent dans l’établissement. Junker rajusta sa capuche et se fit aussi discret que possible jusqu’à la porte de sa chambre. Quentin le regarda.

-Je ne sais pas si je vais réussir à dormir, sans toi.

- Je ne suis pas loin, tu sais ? A quoi… cinq mètres ?

- Mouais… Bon allez. A demain.

Il lui donna un petit baiser sur les lèvres et gagna sa chambre. Junker le salua d’une main. Il entra à son tour dans la pièce et ôta sa cape ainsi que tous ses vêtements.

-Mademoiselle Von Aïna ?

Celle-ci ne répondit pas. L’être de métal entendait l’eau de la douche couler. Il s’approcha donc de la fenêtre et regarda dehors. Il avait encore du mal à réaliser qu’il n’était plus dans le ghetto qui l’avait vu grandir. Tout ce luxe autour de lui le mettait légèrement mal à l’aise. Cette petite ville était bien tranquille. Son ouïe lui permettait d’entendre nombre de bruits. Il leva les yeux vers le ciel étoilé.

-Junker ?

Celui-ci se tourna. Il se trouva face à la jeune femme, une serviette blanche autour de la poitrine et qui semblait tout juste suffisante à cacher ce qui devait l’être.

-Vous auriez pu vous habiller un peu plus.

- Dis-moi, Junker, de quel sexe es-tu ?

Cette question subite le déstabilisa.

-Eh bien… pour être honnête, je ne suis ni homme ni femme. Comme vous pouvez le constater, mon anatomie de comporte aucun… Vous voyez.

- Oui. As-tu un genre ?

- Qu’est-ce donc ?

- Le genre… est l’identité de la personne. Un homme qui se sent femme sera donc considéré comme femme et inversement. L’identité de genre diffère de l’identité sexuelle, tu comprends ? On peut aussi ne pas se sentir comme appartenant à un sexe.

- Je vois. Pour répondre à ma question, je n’ai pas non plus de genre. Que je sois masculin ou féminin m’importe peu.

- Et Quentin ? Comment te voit-il ?

- Vous êtes curieuse.

- Un défaut.

Junker la regarda, se détournant un instant pour qu’elle enfile une robe de chambre.

-Je n’ai jamais réfléchi à comment il me percevait…

Puis il attrapa son carnet dans sa besace pour inscrire quelques notes sur ce qu’il venait d’apprendre, remplissant ainsi les premières lignes de la section « sexualité ».

-Tu tiens un journal intime ?

- Non. Ce carnet contient toutes les informations acquises à propos des humains. Je le met à jour assez souvent, je corrige les erreurs, j’efface ce qui ne s’applique pas en général… c’est assez sommaire mais ce carnet m’est précieux.

- Permet-tu… que j’y jette un œil ?

- Comme vous voulez.

Puis il lui donna le petit cahier. Mikaëla s’assit et le feuilleta pendant de longues minutes. Ainsi, Junker observait les humains depuis bien longtemps, répertoriant leurs mœurs et coutumes.

-Ma fois… c’est assez…

- Je me doute bien que l’humanité que j’observe au quotidien est bien différente de celle que vous côtoyez. Certaines notes sont inexacts.

- Je trouve cela très intéressant, justement. Tu as fais un tel travail d’observation… tu as tout noté. C’est donc ainsi que se déroule la vie en périphérie ? Quelle misère… Junker, ce cahier m’apporte une nouvelle vision de ma cause à défendre, et je t’en remercie. Quentin avait raison en disant que tu n’avais pas eu l’existence la plus facile, bien au contraire. Toutes ces observations témoignent d’une existence reclus des Hommes.

L’être de métal acquiesça. La jeune femme lui rendit son livre et il le rangea aussitôt. Puis elle éteignit les lumières pour s’endormir. Quelle ne fut pas sa surprise que de voir le corps de Junker émettre une douce lueur d’un bleu presque fantomatique. Mais cela eut tôt fait de l’apaiser, contre toute attente. Quant à l’humanoïde, il ne se reposa guère. C’est alors que la poignet de la porte d’entrée s’abaissa. Lentement, Quentin se montra, un petit sourire aux lèvres. Junker eut un regard adoucit.

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