Chapitre 15 : le parlement
Mikaëla et Junker étaient à l’ombre d’une ruelle étroite. La jeune femme était en état de choc, prostrée contre le mur et les yeux perdus dans le vide. L’être de métal, quant à lui, était sur le qui-vive. A nouveau camouflé, il sursautait à chaque bruit fort. Il ne faisait plus la distinction entre ce qui était proche et ce qui était loin. Bientôt, il se ressaisit.
-Nous avons encore quelques heures.
La femme ne répondit pas. Alors, Junker s’agenouilla, posant une main sur son épaule. Mikaëla sursauta et tourna la tête. Elle n’avait pas assisté au combat mais ce que son protecteur avec accompli la terrifiait presque. Mais son regard eut tôt fait de l’apaiser. Dans ses yeux, elle y voyait une grande empathie et de la douceur.
-Mikaëla, je ne pourrai jamais comprendre ce que vous venez de vivre, et je n’ai pas l’intention de vous le faire penser. Cependant, je suis là pour vous épauler dans votre souffrance.
-M… Merci. Tu es extraordinaire.
- Ces hommes n’étaient pas comme ceux qui nous avaient encerclés ce matin. Ils ont simplement sautés sur l’occasion.
- C’est dingue… tu comprends si facilement !
- A force d’observer les humains, j’ai appris à identifier chaque situation, à analyser les évènements sans panique. Ce qui s’est passé m’a cependant… mis dans une colère noire. Voir des Hommes agir ainsi…
- Ce n’était rien de plus que leurs instincts primaires. Ce genre de chose… est assez courante dans le monde animal.
- Mais est-ce normal pour autant ? J’ai compris que la société d’aujourd’hui bananisait nombre de comportements intolérables.
Junker se releva. Il y a quelques années, il s’était rendu dans une vieille bibliothèque pour y lire d’anciens ouvrages. Il avait notamment découvert qu’au vingt-et-unième siècle, des lois défendaient les individus victimes de violences. Mais ce n’était plus le cas, dans les banlieues, aujourd’hui livrées à elles-mêmes et sans la moindre sécurité. Plus personne ne se préoccupait de se qui s’y passait.
-Dis-moi, Junker, d’où te vient cette maturité ?
- C’est en grandissant que je me suis forgé. Ce que j’ai vécu m’a endurcie. On devrait se remettre en route.
- J’ai peur.
Il la regarda, surpris. Voilà qui était nouveau. Mikaëla ne s’était jamais dévoilée de la sorte.
-J’ai peur… de ce qui pourrait encore arriver. Mais j’en ai assez. Je veux être comme toi.
- Qui a dis que je n’avais pas peur ?
- Mais tu as combattu tant d’humains ! Quentin m’a raconté…
- Oui, mais j’étais terrorisé. Ecoutez, Mikaëla, on ne se débarrasse pas de la peur, c’est comme la nature. On ne peut ni la dompter ni la vaincre, mais elle est bénéfique, car elle nous révèle nos craintes. Ainsi, nous pouvons les dépasser et devenir plus fort. La peur permet également de nous faire prendre conscience du danger. Un Homme sans peurs… est un Homme mort. Si on ne peut pas s’en débarrasser, on peut cependant accepter ses épreuves pour apprendre à mieux se connaitre soi-même.
La jeune femme le regarda. Malgré son jeune âge, Junker était emprunt de sagesse. Bientôt, ils repartirent. L’être de métal restait à proximité, prêt à agir au moindre signe de danger. Mikaëla regardait le sol sans un mot. Ce qu’elle venait de vivre la motivait davantage à vouloir protéger les populations périphériques. Ce qu’elle avait lue dans le carnet de Junker allait justement l’y aider. Grâce a lui, elle avait des éléments concrets à apporter à la conférence.
Ils arrivèrent enfin aux pieds du parlement. Déjà, quelques journalistes étaient présents.
-Madame Von Aïna !
Ils se précipitèrent vers elle pour lui poser d’innombrables questions. Alors, Junker s’interposa.
-Mademoiselle Mikaëla vient de vivre un évènement traumatisant. Veuillez ne pas l’approcher.
- S’il vous plait, quelles seront vos idées pour cette conférence ?
- Avez-vous vraiment fait appels à des mercenaires pour vous escorter ?
- Comptez-vous défendre les faibles, comme vous le prétendez ?
Mikaëla ne sut quoi dire. Alors, Junker l’attrapa par la taille et bondit jusqu’aux portes qu’ils passèrent. L’être de métal referma aussitôt derrière lui. La jeune femme le remercia.
-Vous devriez vous isoler pour réfléchir. Votre esprit est ébranlé et vos idées ne sont plus claires.
-Tu… tu as sûrement raison.
Ils cherchèrent un bureau vide et s’y installèrent. Junker leva les yeux sur l’horloge au-dessus de la porte. Encore trois heures. Ils avaient dû être retenus pendant un bon moment. Les pensées de l’être orange allèrent à Quentin, espérant qu’il aille bien.
Le jeune métis sauta le trou fait par Junker et le camion parti.
-La vache, ils nous auront retenus longtemps, pesta un homme.
- J’espère qu’ils ont atteints le parlement.
- Je n’en doute pas, dit Quentin. Cette mauvaise impression s’en est allé de mon esprit.
-Alors on ne perd pas de temps.
Le novice hocha la tête. Tout portait à croire que Junker avait réussi sa mission. Ils entrèrent en ville et filèrent au parlement sans attendre. Le camion fut garé et tous sortirent. Ils ne prêtèrent pas attention aux journalistes et montèrent les escaliers avant d’entrer.
-On va faire comment pour les trouver ?
Quentin regarda le grand hall devant eux. Alors, il leva les yeux. La silhouette capée qui se tenait en haut de l’un des escaliers ne lui était pas inconnue.
-Là-haut.
Ils le rejoignirent. Quentin sauta au cou de Junker.
-Toi alors… tu as le chic pour m’inquiéter.
- Tu n’as pas à t’en faire, Quentin. Je reviendrai quoi qu’il arrive.
Il l’entoura de ses bras et ils restèrent ainsi. Les hommes de Goei ne surent quoi dire avant qu’Alexander ne demande où était la cliente. Junker les mena au bureau.
-Allez-y doucement, elle est encore un peu ébranlée par… un évènement indésirable.
La porte s’ouvrit. Mikaëla leva la tête et les salua. En effet, elle ne semblait pas en pleine forme. Quentin ne lui en demanda pas la raison, contrairement à Alexander. La jeune femme ne répondit pas immédiatement, tant son esprit était embrouillé. Mais lorsqu’elle entama son récit, les hommes de Goei furent sans voix. Elle raconta comment Junker l’avait libéré et dans quel état cela l’avait mis. Quentin tourna la tête vers son compagnon, mais celui-ci arborait son éternel visage imperturbable. Une fois le récit des faits terminés, un silence de mort s’abattit sur le petit groupe.
-Eh bien…, dit finalement Alexander.
- C’était une bonne idée que de la confier à Junker, ajouta Robert.
- Le patron sera ravis que la mission se soit aussi bien passé.
- Malheureusement, le temps joue contre nous, intervint Junker. Nous devrions laisser mademoiselle Mikaëla seule, afin qu’elle se prépare.
Tout le monde fut de cet avis et ils quittèrent le bureau. Ils restèrent sur la coursive, à proximité.
-Junker…, dit alors Quentin. Tu n’es pas sans savoir que je suis bien plus inquiet, maintenant. J’aurai dû être avec vous.
- S’ils t’avaient violés, je ne les auraient pas épargnés. J’ai déjà eu du mal à ne pas les tuer.
- Tu aurais dû, répliqua un homme. Mais bon, vous êtes en vie, c’est le principal.
- En tout cas, tu as rempli correctement ta mission.
- Je n’ai pourtant rien pu faire quand ils ont…
Quentin posa une main sur son épaule et souri.
-Tu as pu intervenir à temps, c’est déjà ça. Tu sais, nous rencontrerons des hommes bien pires qu’eux.
- Des hommes qui vendraient leur mère et tueraient leur père pour te posséder, dit Alexander. Le monde est bien loin d’être idyllique, mais ça, tu le sais déjà, non ?
Junker acquiesça. Après autant d’émotions, il ne souhaitait plus qu’une chose : se reposer. Et même si la mission était officiellement terminée, le groupe tenait à assister à la conférence. Quentin entrelaça ses doigts avec ceux de l’humanoïde et ils échangèrent un regard.
On toqua à la porte.
-Mademoiselle Mikaëla ? Il est l’heure.
Celle-ci ouvrit. Elle avait réussie à se recoiffer et à arranger un peu sa tenue. Le groupe se mit aussitôt en route pour la salle de conférence. Lorsqu’ils arrivèrent, tous les journalistes se précipitèrent mais le groupe d’escorte les empêcha d’approcher. Ils arrivèrent au pied de l’estrade.
-Veuillez vous présenter, Mikaëla Von Aïna, dit l’homme au micro.
La jeune femme hésita. Alors, Junker posa une main sur son épaule.
-Parlez avec votre cœur.
Elle acquiesça et monta pour prendre le micro. Bientôt, le silence tomba.
-Je suis Mikaëla Von Aïna, et si je suis ici, c’est pour que vous… non. C’est pour que le monde entier sache ! Qu’il sache comment vivent les habitants des périphéries urbaines. Depuis des années, je me documente sur le sujet, mais jusqu’à il y a peu, je n’avait pas réellement conscience de la situation. J’ai fait appel à Goei, une branche de l’organisation Kuran, afin de m’accompagner dans ce voyage. Et celui-ci m’a permis d’en apprendre plus en quelques heures qu’en une vie entière !
Tandis qu’elle parlait, Quentin se sentait touché par ses paroles. La jeune femme se tourna alors pour demander à Junker de la rejoindre. Celui-ci ne se fit pas prier et vint à ses côtés. Il lui donna son carnet et elle en lue quelques lignes. Cela semblait atteindre la plupart des politiciens. Tandis que Mikaëla parlait, les quelques murmures cessaient petit à petit, jusqu’à entièrement disparaitre.
Lorsque Mikaëla termina son intervention, elle remercia l’assemblée et quitta l’estrade. Elle s’avança vers les membres de Goei.
-Je vous serai toujours reconnaissante, dit-elle. Merci de m’avoir accompagné. Et merci à toi, Junker. Grâce à toi, j’ai désormais de toutes nouvelles visions de mon combat. Tu ne viens peut-être pas de ce monde, mais j’ai vu en toi plus d’humanité que la plupart des personnes.
L’être de métal se contenta d’un hochement de tête. Alors les journalistes arrivèrent en masse. Ce fut cet instant que choisie Mikaëla pour s’évanouir. La pression était bel et bien retombée.
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