3 - Ô capitaine ! Mon capitaine !

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 J’ai toujours su juger de la difficulté d’une affaire au ton utilisé pour me la présenter. Autant vous dire que le capitaine, sous les galons de sa veste d’officier et sous son képi - d’une laideur croyez moi - n’en menait pas large malgré les allures qu’il tentait de se donner. Cela m’étone d’ailleurs, comment les habitudes forgées par la routine et la répétition - qui caractérise particulièrement les militaires - sont si ancrées dans le corps que, même dans des situations qui ne s’y prêtent guère, l’on conserve ces habitudes. Le bon officier donc, toujours droit comme un bâton de chaise, avait viré au pâle au fur et à mesure de son exposé et tirait maintenant la tête d’un parieur sportif dont le poulain se serait vu dépassé sur la ligne d’arrivée, mais il parlait encore dans ce langage propre à nos soldats, c’est à dire un amas de termes techniques ponctués d’horaires précis, le tout épuré au maximum, comme vidé de ses adjectifs. Pour ajouter au ridicule de la scène, je n’avais pas trouvé mieux que de tester sa patience - comment aurai-je pu résister - en sortant ma montre à gousset et en l’astiquant ostensiblement, sous son nez un peu tordu vers la droite, nez qui était selon moi l’unique partie droite de son corps puisque, dans sa droiture, il s’inclinait légèrement vers la gauche.

Quoi qu’il en soit, j’avais toujours accordé de l’importance aux détails des personnages qui me faisaient face - je dis personnages car il y avait des cas -, détails qui se révélaient souvent bien plus utiles que l’histoire qu’ils venaient me raconter puisqu’ils avaient à chaque fois un dossier aussi épais qu’un annuaire à me remettre. Ce que ce beau militaire tout doré de galons et blanc comme un linge me racontait, c’est que d’abord l’histoire ne devait pas être connue de grand’monde, même dans son secteur, puisqu’on ne m’avait envoyé qu’un capitaine qui, au jugé de son uniforme et de son parler, était affilié à la défense de la frontière sud, celle qui nous départageait de la Lombardie, qui ne posait aucune menace puisqu’étant un pays de mineurs et d’ingénieurs - notre principal fournisseur d’ailleurs - et qui ne possédait pas d’armée digne de ce nom. L’armée postée à cette frontière ne servant qu’à assurer le bon transport des marchandises, au grand dam des aéronefs pirates qui s’en étaient allés ailleurs depuis, se retrouvait à se la couler douce au pied des montagnes espérant chaque jour un peu d’action. Quoi qu’il en soit, le choix d’un capitaine de seconde zone, éloigné du front, était justifié à mes yeux par l’envie de cacher cette nouvelle au plus grand nombre car au front, tout se savait et très vite. Deuxièmement, outre le fait que pour des raisons évidentes cette affaire devait être étouffée - quel moral peut avoir une armée sans général -, l’attitude de notre soldat me laissait à penser que c’est un autre problème que l’on devait cacher, quelque chose qu’il serait mauvais d’ébruiter. Il y a deux choses qui entament plus le moral des troupes que la perte d’un général : une trahison ou une action réussie des rebelles de l'anti-lutte, ce groupe de militants autoproclamés pacifistes mais qui, quand même, faisaient péter des bombes pour le bien commun.

  Au moment même ou le capitaine finissait d’exposer l’affaire, j’avais donc déjà ma petite idée quant aux différents endroits où commencer mes recherches. Le militaire quand à lui se remettait à respirer quand, clou du spectacle, on entendit les hurlements stridents de Clodobert - et je n’ai jamais autant apprécié ce rapace qu’aujourd’hui - filtrer à travers le sol, hurlements qu’il poussait chaque fois que son bras se bloquait et auxquels venaient s’ajouter les coup de marteaux donnés sur ledit bras pour le remettre en marche. Le capitaine vira du blanc au rouge, de colère ou de honte je ne suis pas sûr, et je pouvais lire dans ses yeux le regret de s’être adressé à moi. Je le rassurai et acceptai son offre avant de le mettre dehors - je ne suis jamais tranquille avec un militaire dans la - et entamai la lecture du pavé qu’il n’avait pas manqué de me laisser, lecture qui devait me durer toute la nuit et que j’accompagnais de quelques verres et de musiques assez fortes pour couvrir le vacarme de Clodobert qui n’allait pas baisser d’un ton avant tard dans la nuit vu les grincements qu'émettait maintenant sa pauvre prothèse.

Je fus tiré d'un rêve avec un beau militaire bien droit par la sonnerie de mon réveil cabossé - je n'aime vraiment pas les réveils -, des lignes de rapport confidentiel imprimées sur ma joue. Dehors le jour se levait à peine et déjà les vapeurs s'élevaient dans la rue, il était temps pour moi d'aller à la pêche aux infos. Je fourrai la paperasse dans une malette miteuse, enf ma veste et mon chapeau, après en avoir recoiffé la plume, et m'engouffrai dans la ruelle vaporeuse en direction du marché aux pièces ou je trouverai l'un de mes informateurs qui fréquentait les anti-lutte par seul plaisir de l'explosion.

Auteur: Felix.V

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