Tortue, 11 février 2223

 Rémi avait fait cent maintenances dans sa journée. Réparations électriques, installations de propulsion, purificateurs d’air, groupes électrogènes, en passant par l’équipement de navigation. Il était près de dix-sept heures quand il rejoignait ses appartements. Il souhaitait la bonne soirée à ses collègues de la section mécanique et traversa le long couloir menant aux quartiers. Il entra son code de déverrouillage sur la poignée de sa porte d’entrée qui s’ouvrit. Il s’allongea sur son lit et regarda par son hublot les animaux passer, longeant la Tortue, sans peur, sans appréhension. Rémi se demandait quelle serait la réaction de tous ses animaux s’ils découvraient que l’apparente Tortue géante était en réalité un sous-marin humain.

 Il eut soudain une pressante envie d’uriner et alla se détendre aux toilettes de sa salle de bain. Une fois sa tâche accomplie, il se lava les mains en contemplant son reflet dans le miroir. Ses courts cheveux bruns étaient gras, cette journée avait été riche et il avait beaucoup transpiré. Ses yeux marrons, cendrés étaient marqués de cernes le vieillissant. Il passa ses mains sur son visage dans une lassitude qui laissait transparaître son état de fatigue. Ses yeux se tournèrent vers sa douche dans laquelle il entra à contre-cœur. Après une douche froide ayant stimulé chaque parcelle de son corps, il se sentait assez requinqué pour se rendre au réfectoire.

 Il sourit aux quelques personnes qu’il appréciait, pris un plateau et s’installa à une table. Il mangeait seul par choix, il avait décidé de ne pas rejoindre ses collègues et de dîner rapidement. Il observait la grande salle manquant de convivialité. Six rangées de tables s'étalaient en longueur, il était impossible de communiquer à l’autre bout de la table, à moins d’avoir un mégaphone, et encore, rien ne prouvait que ce dernier arriverait à projeter une voix à plus de quinze mètres. Et pourtant, il y avait quelque chose de chaleureux dans ce réfectoire. Une joie inexplicable de ses occupants. Les personnes se retrouvaient pour décompresser à la fin d’une journée de travail. Les femmes buvaient, les enfants jouaient, les hommes bavardaient. Tous vivaient des moments de gaieté que Rémi ne comprenait pas, mais qui le faisait inconsciemment sourire. Son regard se posa naturellement sur Inês. Inês était une jeune femme de vingt-et-un an, soit de trois ans de moins que lui. La belle Allemande avait laissé ses longs cheveux châtains détachés derrière ses épaules. Son port de tête était splendide, laissant apparaître son cou sous un menton légèrement relevé, sans aucun signe de prétention. Son visage anguleux, qui n’était pas pour autant disgracieux, marquait ses pommettes roses, lui donnant un air enfantin. Quand elle se mit à rire avec une autre femme, son sourire si expressif ne laissa pas Rémi indifférent. Ses yeux verts vinrent croiser ceux du jeune homme qui détourna le regard et se leva de sa chaise. Un morceau de pain entamé dans sa bouche qu’il maintenait fermement avec ses dents, il ramena son plateau et rentra dans ses quartiers.