VII
Jour 12,
Mon journal prend de plus en plus de valeur à mes yeux, car il est celui à qui je peux confier mon avis quand ce genre d’événements se produit, et mon avis est que le monde est fou.
À peine deux semaines que je suis en poste à Nachtwall, et je me sens déjà lasse. C’est la première fois que je sens quelque chose de semblable. Lors de mes campagnes dans le sud, je n’avais pas un tel sentiment que les choses ne se passent pas comme elles devraient. Les guérilleros sont des adversaires vicieux, mais pas aussi intangibles. Ou peut-être le bon mot est-il évanescent.
La plupart du temps nous n’entendons presque pas parler d’Osowiets. La plupart de mes journées consistent à étudier les rapports de batailles passées, à discuter de l’état de nos machines avec l’adjudant chef Gottfried zu Reinschwartz, état qui est presque toujours excellent ; recevoir les rapports sur le moral des troupes et l’efficacité des équipes d’entretien via Renate Funkeln, rapports qui attestent que le personnel du fort ne se plaint jamais malgré des conditions de travail assez rudes que je planifie d’améliorer en réclamant du meilleur matériel au haut commandement ; et de temps à autre inspecter les différents services et nouer la conversation avec le personnel.
C’est précisément ce que je faisais ce matin. Je me promenais dans les niveaux inférieurs du fort, là où on trouve tout le système de chaufferie du fort. Dans ces régions de l'est, le froid peut se faire mordant en été et être littéralement mortel en hiver, sans parler de la neige qui gêne les machines et les manœuvres. Pour chauffer efficacement tout un réseau de bunker souterrains et une forteresse montagneuse comme Nachtwall, il faut un réseau de chaufferie colossal et malheureusement très fragile. C’est pourquoi je l’inspecte régulièrement, et j’interroge souvent les techniciens pour savoir quelles pièces et quelles nouvelles machines nous pourrions obtenir du haut commandement pour améliorer notre situation. J’ajoute ici que si le haut commandement refuse d’allouer des fonds à ce projet, je devrais y dédier une part de la fortune des von Machthand, car il me semble essentiel que nos techniciens puissent travailler en sécurité.
Pour en revenir à ce qui s’est passé aujourd’hui. Je suis descendue dans les parties inférieures du fort, et alors que je discutais avec un technicien, j’ai remarqué, flottant au niveau du sol, une épaisse fumée blanche qui volait à hauteur de cheville. J’ai demandé aux techniciens ce que c’était, et je m’attendais à une réponse banale, mais en vérité ils ne savaient pas non plus de quoi il s’agissait. Nous avons ensuite passé plusieurs heures à chercher l’origine de cette fumée qui ne cessait de s’épaissir. Nous pensions que ce devait être un problème dans la chaudière qui faisait sortir ces nuages de vapeur toujours plus grand, mais il ne s’agissait pas de vapeur. Ça ressemblait plus à de la fumée d’encens.
Au bout d’un moment, nous avons vu arriver Irene Vedma, avec sous le bras un livre noir d’une épaisseur colossale. Elle a mis tout le monde dehors, y compris moi, sans ménagement, et s’est enfermée dans la salle d’où la fumée semblait provenir. Le brouillard était devenu si épais qu’on ne voyait plus rien dans cette pièce. Pourtant, après deux heures durant lesquelles nous attendions avec inquiétude, la sorcière est ressortie et est repartie sans rien nous dire. La fumée s’est dissipée quelques minutes plus tard. Nous ne saurons peut-être jamais ce qui était à la source de cette fumée, ou même sa nature et ce à quoi elle servait, mais ce qui me surprend le plus c’est que personne dans ce fort ne semble curieux. On a admis que c’était encore une attaque magique d’Osowiets ayant échoué. Les techniciens ont repris leur travail sans chercher plus loin la cause de ce qui s’était passé et sans s’inquiéter que leur matériel ait été touché par la magie.
J’espère qu’un jour je m’habituerais à ce genre d’événements, puisqu’ils ont l’air assez courants par ici. Pour l’heure, je dois rédiger un rapport sur ce qui s’est produit à destination des hautes instances, et je ne vois vraiment pas comment expliquer la situation de façon satisfaisante.
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