XVIII
Jour 67
Il m’aura fallu plus de deux mois avant de remettre enfin un pied hors de l’enceinte du fort, si l’on ne prend pas en compte les quelques exercices de manœuvre.
Ça faisait aussi une éternité que je n’étais plus montée à cheval. Nous n’en avions pas à Nachtwall, mais avec le dernier arrivage de matériel, le haut commandement a jugé nécessaire de nous pourvoir d’une équipe d’éclaireurs montés avec le matériel que ça nécessite. Des travaux sont en cours pour intégrer des écuries (blindées bien sûr) au reste du complexe du fort. En attendant, j’ai pu reprendre mes aises avec l’équitation, et j’ai profité de l’occasion pour visiter un peu plus la région du côté de Brandwerk tant qu’on le peut encore. Avec mon escouade montée, nous sommes passés par différents villages de la région. Dans chacun d’entre eux, nous avons eu droit à un spectacle pitoyable. Les gens vivent dans une misère effrayante, comme s’ils étaient plusieurs siècles en retard sur ke reste du pays. Aucune technologie de pointe à des kilomètres à la ronde, pas d’électricité pour la plupart, pas d’accès à l’eau autrement que dans de vieux puits, et pas même des demeures à peu près salubres. La région étant presque totalement isolée du reste du royaume, ils ne peuvent faire aucun commerce et vivent du fromage et du lait de leurs moutons. Triste vie.
J’ai découvert à cette occasion que les habitants de la région évitent le fort de Nachtwall et tout ce qui en vient comme la peste. J’ai malgré tout réussi à discuter avec un agent de police qui m’a expliqué que tous les sortilèges lancés depuis Osowiets avaient certainement déjà « contaminés » le fort puisque la sorcellerie se ressentait jusque chez eux. Quand je leur ai assuré que jamais un sorcier d’Osowiets n’avait réussi à franchir le mur, ils ont évoqué des phénomènes surprenants qui se produisent régulièrement dans la région. À la nuit tombée, les enfants disparaissent subitement sans laisser de traces, ou parfois c’est en plein jour alors qu’ils se promènent dans la montagne. On retrouve des empreintes inhumaines dans la neige, et parfois dans le vent résonnent les murmures de démons. Si la moitié de ce qu’ils disent est vrai, la situation est assez grave pour me concerner. En tout cas, les disparitions d’enfants ne sont pas une fable, et j’ai pu voir les rapports de police en attestant. Dans les différents villages ou nous sommes passés, j’ai posé des questions aux policiers sur ces disparitions, et ils m’ont tous répondu sans hésiter que c’était l’œuvre d’un sorcier.
J’ai rassemblé plusieurs dossiers, et les faits semblent effectivement indiquer que des forces surnaturelles soient à l’œuvre. Certaines disparitions ont lieu en plein centre des villages, sitôt que la nuit prend ses aises. Des enfants ont disparu dans les montagnes alors qu’ils étaient en groupe, et aucune trace ne laisse penser qu’ils aient été attaqués par des bêtes sauvages. Enfin, aucun des enfants disparus n’a jamais été retrouvé, pas même son corps.
En principe, il est impensable que des sorciers d’Osowiets se soient transportés au-delà des montagnes. Tous les rapports sont très clairs sur ce point. S’ils ont pu se téléporter sur nos murailles lors de la dernière bataille, c’est parce qu’ils avaient préparé des ingrédients et les ont dispersés sur les murailles quand leur infanterie a donné l’assaut. Ces montagnes sont infranchissables en dehors du col gardé par Nachtwall, leurs cimes sont si hautes et glaciales qu’aucun être vivant n’y survit. Quand bien même ce serait une nouvelle ruse de nos ennemis, les rapports relatant des disparitions incroyables et fournies en détails surnaturels sont pour certains très anciens, au point que les habitants de la région ne se souviennent pas d’une époque où ils ne vivaient pas dans la terreur de voir disparaître leurs enfants du jour au lendemain.
Si les locaux semblent résignés, j’ai tout de même noté quelque part de percer à jour cette question. Même si ce n’est pas ma tâche principale, je ne saurais ignorer ce qui se passe dans la région que je suis supposée protéger. Je n’ai pas encore parlé de tout cela à Irene Vedma, et je compte attendre encore un peu. Je me souviens d’une conversation avec elle, au sujet de ses chorts, et je n’écarte pas la possibilité qu’elle soit au courant voire partiellement responsable de ces événements. J’espère me tromper.
En somme, prendre l’air m’a fait du bien. Découvrir le voisinage n’a fait que me donner plus de motifs d’anxiété. J’ose espérer que le futur sera plus clément.
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