Thrène-Tomba
Ambiance musicale
Krzysztof Penderecki : Thrène à la mémoire des victimes d'Hiroshima
https://www.youtube.com/watch?v=wQDnv7D7gpY
Krzysztof Penderecki : Symphonie n°2, Lacrimosa.
https://www.youtube.com/watch?v=giVJkaNYNHA
Et puis aussi le chant des baleines :
https://www.youtube.com/watch?v=TrCj3QoolyM
C’était une visite d’inspection de routine, vers un système solaire situé dans un bras spiral relativement éloigné du centre de la galaxie. Le déplacement avait pris du temps : notre vitesse atteignait au maximum 30% de celle la lumière et nous ne provenions pas de l’étoile la plus proche. Pour effectuer le voyage, nous nous étions placés en état de stase, dont nous sortîmes quand nous fûmes à proximité de notre objectif, dès que l’attraction gravitationnelle atteignit un seuil suffisant.
Le système solaire que nous venions contrôler était constitué d’une étoile naine jaune, autour de laquelle orbitaient 8 planètes de tailles variées, flanquées de leurs satellites, et de nombreux astéroïdes, ce qui semblait indiquer une histoire cosmogonique pittoresque. La planète qui nous intéressait était la troisième planète du système, dotée d’un satellite de bonne taille. Elle était aux trois quarts recouverte d’eau liquide. Son atmosphère était principalement composée d’un mélange d’azote et d’oxygène gazeux propice au développement de la vie.
Nous nous approchâmes de cette planète. Elle nous montrait une magnifique palette de couleurs, bleu et blancs, et aussi vert et brun … une vraie merveille de la nature, d’une grande beauté.
De notre visite précédente, nous savions que toutes sortes d’espèces animales et végétales proliféraient dans les mers et sur les continents. La vie s’y était principalement développée dans deux grandes branches, la branche végétale et la branche animale.
La branche végétale était dominée par des plantes utilisant l’assimilation chlorophyllienne. Leur diversité était extraordinaire, des plus petites aux plus grandes, et leur floraison avait souvent des couleurs magnifiques. Les plantes terrestres étaient fixées dans le sol, et elles ne pouvaient se déplacer que d’une génération à l’autre, par l’intermédiaire de graines emportées par le vent, ce qui ne les empêchait pas d’avoir colonisé la totalité des surfaces émergées. C’étaient elles qui donnaient la couleur verte que l’on pouvait voir de l’espace, due à la présence de chlorophylle, et étaient en grande partie à l’origine de la forte proportion d’oxygène dans l’atmosphère. Leur intelligence était restée très rudimentaire, et ne leur permettait que de transmettre quelques informations très basiques.
La branche animale présentait une diversité encore plus grande : il y avait énormément d’insectes, dont la taille était limitée du fait de leur physiologie, mais qui possédaient une grande capacité d’ajustement au milieu. Parmi les espèces les plus évoluées, on trouvait principalement des reptiles et des mammifères.
Lors de notre précédent passage, l’espèce vivante qui régnait sur la planète était une forme de reptile géant. Nous ne pûmes en trouver aucune trace. L’espèce avait tout bonnement disparu, pour des raisons inconnues. L’impact par un astéroïde de bonne taille a peut-être été à l’origine d’un cataclysme géologique et environnemental, mais pourquoi seule cette branche de l’évolution avait-elle disparu alors que bien d’autres ont réussi à passer l’épreuve ? Le mystère restait entier.
Nous découvrîmes aussi de nouvelles espèces de mammifères dont le potentiel apparaissait largement supérieur.
Il s’agissait de mammifères marins, des cétacés, qui disposaient d’une ouïe très fine, leur permettant de communiquer sur de très grandes distances. Ils pouvaient se déplacer librement sur la totalité des océans. Ils étaient dotés d’un cerveau dont le potentiel d’évolution était important, notamment dans le domaine intellectuel et spirituel. Ils avaient des capacités artistiques magnifiques, leur chant était mélodieux et simplement merveilleux à entendre.
Nous parvînmes à établir un contact psychique, simple mais prometteur, avec certains de ces cétacés. Après quelques essais, nous observâmes qu’ils réagissaient extrêmement bien à la pédagogie, et nous estimions que, proprement guidés, ces sujets pourraient évoluer très favorablement dans un temps relativement rapide (quelques millions de révolutions de la planète autour du soleil) vers un plus haut niveau de sagesse. Il nous semblait souhaitable de les aider dans cet apprentissage, au moins pour leur éviter une catastrophe semblable à celle à laquelle s’étaient trouvés confrontés les grands reptiles que nous avions observés lors de notre précédente visite.
Cette espèce de cétacés, si prometteuse, était pourtant menacée, et même en voie de disparition, car elle était parasitée par la prolifération d’une espèce de primates, à la durée de vie courte, comportant un nombre incalculable d’individus qui grouillaient partout sur la surface de la planète.
Nous estimâmes donc qu’il était nécessaire d’accompagner cette espèce pour lui permettre de prospérer et d’accéder à un niveau supérieur de conscience. Nous décidâmes de nous séparer en deux, par une division scissiparitaire, créant deux entités distinctes, dont l’une resterait sur cette planète, et l’autre pourrait poursuivre la visite de contrôle, qui était notre mission principale. Et puis il nous fallait régler la question de la nuisance créée par ces primates parasites.
Nous étudiâmes d’un peu plus près ces primates. Ils avaient développé une sorte de langage assez primitif, qui leur permettait d’échanger entre eux des informations frustres, aucune conscience collective leur permettant d’accéder à un niveau spirituel supérieur ne semblait avoir émergé. Leur intelligence primitive, ainsi qu’une certaine habileté dans l’utilisation d’outils sophistiqués, leur permettait de modifier leur environnement pour l’adapter à leurs besoins vitaux : l’espèce était assez fragile et ne pouvait prospérer que dans des conditions bien précises d’environnement, notamment une gamme de température assez étroite. Des constructions artificielles étaient partout apparues, de longs rubans de matériaux durs avaient été déposés sur toute la surface des terres émergées.
Ces primates semblaient en outre étonnamment attachés à leurs méthodes de reproduction, pourtant très primitives, mais qu’ils pratiquaient de façon assidue, ce qui donnait lieu à une surpopulation considérable. Il s’agissait d’un mode original de reproduction sexuée, qui permettait un mélange des gènes entre les individus, d’où découlaient des mutations permanentes permettant une adaptation continuelle à leur milieu de vie.
Compte tenu de leur habileté à manier les outils, ces primates n’étaient concurrencés par aucune autre espèce, ils n’avaient plus d’ennemis, ils étaient devenus des super-prédateurs, et ils étaient en train de se développer sans limite. Il était évident qu’ils allaient détruire la quasi-totalité des espèces animales, en dehors de celles qu’ils avaient mises à leur service, et épuiser la totalité des ressources de la planète. Non seulement ils allaient collectivement à leur perte mais ils allaient transformer en désert cette planète si belle. Le processus était déjà largement entamé.
Ils n’avaient toutefois aucune conscience de la catastrophe écologique qu’ils étaient en train de provoquer. Leur population en était arrivée à un niveau tel que l’ensemble des autres espèces était menacé, que les magnifiques paysages naturels de cette planète étaient défigurés par leurs infâmes constructions et que les ressources naturelles s’épuisaient rapidement.
Il fallait mettre fin à ce gâchis.
Restait à trouver la bonne façon de procéder.
La meilleure solution aurait probablement été la stérilisation de tous les représentants adultes afin de mettre un terme à cette reproduction effrénée. Nous avons d’abord pensé à demander à chacun de ces primates, dont l’intelligence était probablement suffisante pour comprendre notre demande, de s’amputer de ses organes reproducteurs, mais nous n’étions pas certains d’obtenir leur parfaite adhésion. Nous avons imaginé d’autres solutions, mais, au global, nous arrivâmes à la conclusion que les représentants de cette espèce ne disposaient pas de la hauteur de vue suffisante pour apprécier la justesse de notre point de vue.
Une façon radicale aurait été de mettre fin à l’existence de tous les individus, un par un, mais compte tenu de leur nombre, cela aurait pris beaucoup de temps, et nous n’étions pas sûrs qu’ils n’auraient pas pu développer des moyens de lutte efficaces pendant cette période.
Les moyens de destruction de masse n’étaient probablement pas adaptés non plus, car nous aurions risqué de détériorer encore plus cette planète qui avait déjà tant souffert et nous n’étions pas sûrs d’une réussite à 100%, il aurait suffi de quelques individus survivants pour relancer le processus d’explosion de la population.
Nous avons alors imaginé d’utiliser des agents pathogènes qui pourraient détruire rapidement l’ensemble de la population de ces primates. Les virus semblaient les mieux adaptés à cette fonction, et nous développâmes une nouvelle espèce, qui répondait à ce besoin. Son grand intérêt était qu’il se propageait très rapidement par voie aérienne, il colonisait les voies respiratoires, bloquait l’alimentation en oxygène de l’ensemble des organes vitaux et entrainait la mort à brève échéance.
Nous devions répandre ce virus dans l’atmosphère, et, à titre expérimental, nous fîmes un essai de largage sur une région très peuplée, vers l’est du plus gros continent, un endroit que les primates appelaient Wuhan dans leur langage primitif. Nous ensemençâmes un nuage chargé d’humidité avec les virus que nous avions développés, nous l’orientâmes vers l’endroit le plus approprié, nous provoquâmes sa chute. Et là, il tomba. Le virus se propagea ensuite très rapidement dans l’air, infectant les primates qui vivaient dans cette zone puis s'étendit à l'ensemble de la planète.
Malheureusement, les résultats ne furent pas à la hauteur de nos attentes. La létalité de notre virus était bien inférieure à nos projections, et après une rotation entière de la planète autour de leur étoile, nous n’avions réussi qu’à exterminer moins d’un individu sur 10 000. Nous avions sous-estimé les défenses immunitaires de cette espèce, qui avait probablement déjà subi des attaques semblables par le passé et qui avait survécu grâce à la facilité de ses mutations.
Nous réfléchîmes alors à une meilleure façon de faire, et nous inventâmes une nouvelle méthode dont le résultat nous apparaissait beaucoup plus assuré. Après une phase de test et de développement, nous décidâmes de passer à la phase 2, qui, nous étions confiants, garantirait le succès de notre entreprise.
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