Chapitre 1

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Au tout début de l'implantation des humains sur cette planète, connue sous l’acronyme WT56E par les astronomes, les choses avaient été terribles. Ils avaient amené avec eux des technologies extraordinaires, des plantes et des animaux génétiquement modifiés, des médicaments très puissants, des machines pour produire tout ce dont ils auraient besoin. Mais la nature et les animaux de la planète ne leur avaient pas laissé le temps de s'adapter et de mettre en place tout ce qu'il fallait pour survivre. Sur les 100'000 colons, seuls 4’531 survécurent. Ce furent ceux qui parvinrent le plus vite à utiliser... la magie.

Tous les types de matière en usaient, que ce soit les végétaux, les minéraux ou les animaux. C'était incompréhensible et irrationnel mais c'était ainsi. La magie semblait sourdre du sol et pénétrer tout la matière vivante. Les plantes avaient très vite détruit leurs vaisseaux et leurs véhicules. Les animaux, pillés leurs stocks, tués les colons et détruits leurs infrastructures. Des golems élémentaires et végétaux mais aussi des tempêtes titanesques avaient saccagés leurs maisons de fortunes et leurs abris. Des oiseaux et des insectes géants les harcelaient constamment surgissant à l’improviste à toute heure du jour ou de la nuit. Quand leur vaisseau en orbite avaient essayé de tirer avec ses rayons lasers sur la nature qui les attaquaient, la planète avait… répliqué. Le vaisseau était depuis une cause perdue. Il avait été impossible de le contacter à nouveau, il ne se passait rien là-haut, du moins rien de perceptible. Les rêveuses avaient essayé plus tard d'obtenir des informations, de lire les rêves des derniers habitants du vaisseau mais il n'y avait rien là-haut, du moins rien qui rêvait. On voyait toujours, cependant, l'ombre gigantesque du vaisseau se dessiner sur le sol quand il était aligné avec le soleil, mais il ne bougeait pas, ne changeait pas d’orbite.

Avec le temps, les humains avaient appris à s'adapter, ils avaient dû le faire très vite d'ailleurs et seuls les plus doués en magie avaient survécu. C’était comme si Elle avait choisi parmi eux, ceux qui Lui convenaient. Une sorte de sélection naturelle. On honorait et on craignait la planète, on l'appelait "Elle", et on utilisait, pour parler d'Elle, un ton craintif et révérencieux.

Il avait aussi fallu supporter la gravité plus élevée, 1.2 fois plus élevée que celle de la Terre. Et puis aussi l'influence des deux lunes qui créaient des fluctuations gravifiques considérables. Les émotions au début étaient extrêmement difficiles à gérer, les conflits entre colons très fréquents et certaines nuits, il était totalement impossible de dormir. C'était le cas en particulier des nuits où les deux lunes étaient pleines. Elles orbitaient parallèles, l'une grosse, l'autre plus petite et les soirs de pleines lunes, la lumière était quasiment aussi brillante que celle du soleil. On s'y était habitué.

Les colons avaient choisi de créer un calendrier de treize mois de trente-cinq jours, la taille de cette planète étant proche de celle de la Terre et sa distance au soleil similaire. Une fois par année les habitants faisaient la fête pendant la nuit des deux lunes et ne dormaient pas. Les besoins en sommeil des colons s'étaient restreint depuis leur implantation. Ils dormaient quatre à cinq heures par nuit et c'était suffisant.

Le sommeil des bébés avait longtemps été un traumatisme collectif. Imaginez vos bébés hurler, hurler, hurler toute la nuit de leur petits poumons, empêchant tout le monde de dormir et vagir pathétiquement quand enfin on arrivait à les réveiller et à les calmer. Leurs rêves étaient brutaux, ils rêvaient de monstres, d'attaques, de poursuites, de mort, de mutilation, de torture, de maladie et ce, toute la nuit. De nombreux bébés mourraient d'épuisement. Au début, les colons arrivaient plus ou moins à les maintenir endormis avec des narcotiques puissants mais cela ne marchait pas bien, mettait les bébés dans des états de prostration constants, ralentissaient le développement de leur cerveau et finalement ces médicaments vinrent à manquer. Il fallut se débrouiller. Les femmes et les hommes les plus touchés émotionnellement par ce phénomène se mirent à rêver avec les bébés à l'unisson et cherchèrent à les aider dans leurs rêves. Certains de ces adultes se suicidèrent, incapables de supporter autant de souffrance. Mais peu à peu, certaines femmes en vinrent à contrôler leurs propres rêves en utilisant la magie. Leur désir d'aider ces bébés était si fort qu’elles parvinrent à créer des boucliers de rêves qui permettaient enfin aux nourrissons de dormir en paix quelques heures la nuit et quelques heures le jour. Elles furent appelées, les rêveuses. Et enfin, peu à peu, ce traumatisme pu s'apaiser.

Les autres acquirent des capacités magiques en rapport avec leurs inclinations. Les belliqueux parvinrent à utiliser les éléments ou les végétaux pour se défendre contre les animaux dangereux qui les attaquaient sans cesse, jour et nuit. Il fallait se relayer pour protéger chaque hutte, chaque réserve de nourriture et d'eau. Les scientifiques se mirent à voir comment manipuler les ondes sonores, les ondes lumineuses ou les éléments pour protéger les villages et créer des boucliers. Les curieux devinrent des voyageurs qui explorèrent les alentours et les sous-sols pour chercher de la nourriture, de l'eau, des animaux ou des lieux adéquats pour fonder des villages. Les sauveurs accompagnèrent et protégèrent les curieux ou modelèrent la nature pour protéger les villages. Les artistes mirent du temps à s'adapter avant de pouvoir créer avec leur magie. Quand la paix fut retrouvée et la survie assurée, ils se mirent à décorer les villages, à construire des maisons baroques, à jouer avec les couleurs, avec les plantes et même avec les corps et les traits physiques des humains. Peu à peu chacun trouva sa place, sa fonction, son rôle.

Chacun travaillait pour le bien de la communauté et pour la survie. L'argent fut aboli. Il ne servait à rien. Il fallait juste survivre. Il allait de soi qu'il fallait travailler tous pour le bien commun. L'amour fut magnifié et les relations amoureuses fêtées comme de grandes bénédictions. Chaque union, chaque naissance était source de réjouissance et de joie et un symbole de victoire pour l’espèce humaine. Le mariage, qui n'existait plus depuis longtemps sur le vaisseau colon et qui avait fait place à l'amour libre, redevint une habitude car sur cette planète l'amour qu'on éprouvait l'un pour l'autre, en particulier après avoir couché ensemble, était d'une telle force qu'on ne voulait plus se séparer. Les couples qui se créaient ainsi étaient généralement unis pour la vie. Chaque famille enfantait trois ou quatre bébés dans leur vie, une vie qui était bien plus courte que sur Terre. On vieillissait plus vite, peut-être un effet de la gravité ou de la magie. Les os finissaient toujours par devenir friables et la plupart du temps les vieux mouraient de la “maladie de l'os”, une sorte de dégénérescence accélérée. Les nouveaux nés suffisaient à peine à renouveler les habitants perdus. Car la nature ou les animaux n'arrêtèrent pas de harceler les humains avec leur magie à eux, une sorte de prolongement de leurs capacités naturelles. Des taupes géantes par exemple, franchissaient souvent les défenses en creusant sous les villages, perforant la pierre comme de rien, fissurant les boucliers magiques puis se jetaient sur les habitants pour les dévorer. De leurs trous jaillissaient des plantes grimpantes, des cigales carnassières et des sortes de chiens massifs aux longues dents et aux pouvoirs soniques qui voulaient eux aussi festoyer. Les guerriers humains se défendaient par le feu, par le froid, par la pierre ou par la terre. Mais il y avait souvent des pertes.

Peu à peu cependant, les humains devinrent plus forts, plus aguerris et les animaux se mirent à les craindre. La nature fut soumise par les magiciens spécialisés dans les plantes et on se mit à explorer le monde. Les premiers villages, au nombre de sept, étaient éloignés les uns des autres seulement de quelques centaines de mètres. Ces premières communautés avaient été façonnées autour de séparations religieuses ou raciales. Les hindous, les chinois, les africains, les américains, les européens restaient séparés. Mais très vite, toutes ces différences devinrent risibles et dangereuses. Il fallait être totalement unis ou mourir. Au moment où commença l'exploration du continent principal (le vaisseau les avait laissés sur le plus grand des trois continents), toutes les races s'étaient fédérées et, démocratiquement, elle élisaient leurs chefs à mains levées. Des explorateurs aux talents magiques puissants furent désignés pour aller à l'aventure et tenter d'expliquer ce monde, de le comprendre. Certains revinrent.

Les affinités avec les éléments, les goûts, les passions déclenchées par certains lieux étaient telles que les communautés se scindèrent. Quand les explorateurs revinrent pour parler des montagnes, tout ceux qui avaient des pouvoirs sur la pierre partirent, comme attirés par un aimant. Ils fondèrent là-bas de nouvelles communautés. D'autres étaient plus attirés par l'océan et il créèrent des villages au bord de l'eau et parfois même dans l'eau. D'autres plus troglodytes préférèrent les mondes souterrains et disparurent de la connaissance des autres…


DeuxLunes était né dans un village construit dans les arbres géants de la contrée de Palau. C'était une communauté arboricole de trois mille habitants environs, tous fascinés par les plantes et les arbres. A cause de la gravité, les arbres n'étaient jamais très hauts. Mais ils pouvaient être très larges. De magnifiques maisons se dressaient ainsi sur des sortes de « chênes » massifs et ventrus, connectées entre elles par des ponts suspendus et de grandes places en bois elles aussi suspendues dans le vide par de très grosses cordes magiques. Des filets de protections horizontaux et verticaux permettaient d’éviter les chutes ou empêchaient les oiseaux et les animaux sauvages de pénétrer dans l'enceinte du village. Les habitants avaient décidé d'appeler cet endroit Séquoia, en l'honneur d'un arbre de la Terre qui pourtant n'aurait jamais pu se développer sur cette planète à cause de sa gravité.

Le père de DeuxLunes s'appelait André et ses ancêtres étaient français. Sa mère s'appelait Talit et ses ancêtres étaient hindous. DeuxLunes avaient une soeur prénommée Loki et un frère nommé Thor. Ses parents adoraient les contes des mythologies nordiques (c'était le seul livre imprimé de la maison) et avaient ainsi choisi leurs prénoms en fonction. DeuxLunes devait à l'origine s'appeler Odin mais la conjonction lunaire de sa naissance l'avait opportunément empêché de s'appeler comme le roi des Dieux.

Lorsqu’il eut quatre ans, DeuxLunes développa ses capacités magiques. En réalité, tous les enfants pouvaient créer de petits événements magiques bien plus tôt, mais on ne parlait pas encore de développement de leurs capacités. On parlait seulement d’épisodes. DeuxLunes, donc, vécu un événement traumatique, et comme souvent, ce fut cet événement qui déclencha ses capacités.

Un jour qu'il jouait avec son frère Thor à cache-cache sur les plateformes, il se précipita un peu trop et, emporté par son élan, s’encoubla sur un rebord et tomba dans le vide, droit vers un filet. Mais sa peur des filets était très grande, il ne comprenait pas encore leur utilité. Il passa donc au travers, en déchiquetant les cordes, pourtant épaisses comme des mollets d’adultes, et continua de chuter. Il s’enfonça dans le sol comme une pierre. Ses amis l’appelèrent dès lors le « boulet » en référence aux boulets de canons dont on leur parlait dans les contes et légendes de l’ancien temps. Quand ses parents affolés vinrent le récupérer, il n’avait rien, pas même une égratignure. On en conclu que ses pouvoirs allaient concerner les coupures et les pénétrations et le village s’en réjouit, pensant qu’un nouveau défenseur avait vu le jour. En cela ils se trompaient, comme on le verra plus loin.

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