Symphonie pour truelle et rossignol

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Aristide était un gentil garçon jusqu’à ce qu’il devienne bachelier. Arborant canne et chapeau, il ne fréquentait plus que la haute société, ne tenant pas compte des difficultés qu’éprouvait sa banque à préserver son train de vie. Il portait maintenant un magnifique nénuphar à la boutonnière de sa chemise, signe indéniable de bon goût.

J’ai rencontré cet énergumène à un concours de tartes où ma propension naturelle à en donner de sévères m’avait ouvert une place de finaliste. Quelques gogos aux joues rougies, éternels perdants, m’avaient applaudi avec une évidente mauvaise volonté. Mais fi des vilaines langues, l’Histoire me rendra justice. De toute façon, je suis ignifugé, leurs flammes vengeresses ne me roussiront pas.

J’ai quitté le gymnase avec une seconde place durement acquise, des joues fripées, trois dents branlantes et un deuxième prix au rabais. J’avais gagné un jokari ! Je kiffe pas trop ce genre de jeu où les balles te reviennent constamment sur la figure. J’ai trop l’impression de me battre avec un laminoir.

Mais le monde est empli d’une magie mystérieuse, et Aristide, attiré par mon jokari, a offert de me l’échanger contre son nénuphar. N’allez pas croire que je perdais au change ! Un stupide jeu de balle muni d’un stupide élastique et livré avec une stupide raquette contre un magnifique nénuphar, par Osiris, c’était une belle affaire ! Je n’ai pas pu résister, et j’ai aussitôt invité mon nouvel ami à la maison.

J’ai délicatement déposé le nénuphar dans une poêle à frire, j’ai ajouté deux œufs ainsi que la quotité de sel voulue. Le bonheur… Dehors, un rossignol chantait, accompagné par la douce stridulation de la truelle du maçon ravalant la façade de l’immeuble.

Je sais bien que ce type d’aubade ne fait pas l’unanimité et que quelques mauvais esprits, sans imaginer la valorisation qui pourrait en être faite, préfèrent jeter rossignol, truelle et maçon dans la cuvette des WC. Que l’on ne s’étonne plus alors de la déchéance culturelle de notre société. Ce n’était pas le cas de mon ami. Après avoir extrait un xylophone de la poche revolver de sa jaquette, il a immédiatement commencé à taper en rythme une jolie mélopée. Il l’a aussitôt baptisée « symphonie pour truelle et rossignol ».

Nous avons tellement arrosé cette belle trouvaille que le sol s’est mis à tanguer sous nos pieds comme le pont d’une yole un soir d’ouragan. Profitant d’un instant d’inattention de ma part, alors que je contemplais pensivement la cuvette des WC, Aristide, ce sale zèbre mal rayé, s’en est allé en emportant avec lui le jokari, le rossignol, le maçon et le reste du nénuphar emballé dans ma poêle à frire.

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