Meurtre (2ème partie)

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Je fixe continuellement ce faciès dérangeant, hypnotisée par l'aspect démoniaque. Des doigts font progressivement leur apparition, suivis d'un bras pâle qui converge vers un paquet cadeau. Une couche de larmes se forme en écho de ma peur grandissante.

« Allumez la lumière, balbutié-je faiblement.
- Qu'est-ce que tu as dit ? demande l'amie proche de ma sœur.
- Allumez la lumière, s'il-vous-plaît, répété-je plus fortement.
- Qu'y a-t-il Nina ?
- Allumez la lumière ! » hurlé-je âprement.

Mon souhait est aussitôt exaucé par Cédric. L'éclairage apaise immédiatement mon corps, et la source de ma terreur s'est volatilisée avec l'obscurité. À ce moment-là, je me rends compte de mon acte, de l'inquiétude que j'ai créée au sein du groupe. Sophie paraît déboussolée par mon comportement violent. Je peux discerner sa vive émotion à travers son visage attristé. Je chuchote des excuses, étant incapable de fournir des explications. Finalement, ma sauveuse se manifeste une fois de plus, en essayant de calmer les tensions. Avec des paroles bien choisies, elle convainc ses collègues de rentrer chez eux. Le coiffeur expérimenté m'adresse quelques mots avant de partir, me conseillant de me reposer pour reprendre des forces. Je le remercie de sa considération, et lui promets de suivre ses recommandations. La jeune salariée est maintenant face à moi, le visage renfermé et la mine désolée. Je la prends dans mes bras en m'excusant pour la frayeur engendrée. Avec sa bouille adorable, elle me fait part de sa compréhension, et me souhaite encore un joyeux anniversaire. Les regardant s'éloigner avec une pointe de tristesse, j'exprime ma déception à travers mon attitude. Natalie me propose de s'assoir un moment afin de discuter. Je m'exécute telle une marionnette sans âme, puis fixe le carrelage avec des yeux vides, n'osant pas affronter ceux de mon amie. J'ai peur de voir en elle de l'incompréhension. Je ne veux pas qu'elle me croie folle, pas elle, la seule personne sur qui je peux m'appuyer actuellement.

« Nina, qu'est-ce qui s'est passé ? me questionne-t-elle d'un timbre doux.
- Ce n'est rien », réponds-je sans conviction.

Sans m'y attendre, je ressens des paumes chaleureuses se placer sur mes joues, et ces dernières orientent mon visage vers celui de mon interlocutrice. Ses iris verts, quelque peu intimidants, renvoient de l'anxiété. Je peux facilement percevoir son désir de m'aider.

« Arrête de dire ça, tu veux ? s'exprime-t-elle sévèrement. Il est clair que tu ne vas pas bien.
- Non, je t'assure...
- Écoute-moi, Nina. Depuis que Céline est... »

La blonde s'arrête au milieu de sa phrase, me donnant l'impression d'être en pleine réflexion. Son hésitation est palpable et inconsciemment, j'en connais la raison. Ses mains glissent vers le bas, pour se poser sur mes épaules crispées. Je ne veux pas écouter la suite de son discours, craignant d'entendre ce mot qui m'a fait tant déprimer. Je ne suis pas encore prête d'accepter cette réalité.

« Nina, je sais que tu traverses une période difficile en ce moment. Tu as besoin de soutien, surtout moralement, après que Céline soit...
- Non ! crié-je en enveloppant mes oreilles.
- Je t'en prie Nina, il faut que tu fasses son deuil. Ta sœur est malheureusement décédée. Je suis aussi très touchée par sa mort, mais on doit surmonter son absence. »

Je pleure sans retenu, ne pouvant plus garder cette peine qui inonde. Natalie m'enlace dans ses bras, et construit un cocon réconfortant autour de moi. Je n'arrive pas à contenir mes larmes, comme si mon corps s'est rebellé contre ma conscience. Pour atténuer ma souffrance, la superviseuse me console avec des propos rassurants :

« Lors de son enterrement, j'ai promis à Céline de m'occuper de toi. C'était ce qu'elle aurait voulu, j'en suis sûre. Même si je ne pourrais jamais la remplacer, j'aimerais que tu me considères comme une deuxième sœur. »

Elle serre un peu plus son étreinte, et caresse délicatement mes cheveux. Ses gestes pansent une partie de mes blessures, tandis que sa voix calme mes tourments. Mes lamentations s'estompent progressivement, jusqu'à laisser la place au silence. Je me décolle de mon amie, tout en reprenant mon souffle.

« Nina, dis-moi ce qui s'est passé. Pourquoi étais-tu effrayée ?
- Je... je pensais avoir vu quelqu'un derrière toi.
- Derrière moi ?
- Oui, derrière toi et Cédric, détaillé-je en montrant l'endroit du doigt.
- À quoi ressemblait cette personne ?
- Je ne sais pas, il faisait trop noir mais ça devait être mon imagination.
- Il t'est arrivé d'autres choses bizarres récemment ? »

Je me tais un court instant, avant de dévoiler les cauchemars qui m'ont hantée les nuits précédentes. En décrivant les scènes et mes émotions, des frissons colonisent mon être. Comment des rêves pouvaient autant m'affecter ? Natalie m'écoute avec une expression sérieuse sur le visage. Je suis soulagée, même étonnée, de voir qu'elle ne me prend pas pour une aliénée. Sa quiétude est inattendue tellement la situation paraît absurde. Son comportement me prouve qu'elle a confiance en moi, et cela m'émeut énormément.

« Penses-tu qu'il y ait un lien avec l'événement de ce soir ? interroge-t-elle.
- Je n'en ai aucune idée... avant c'était juste en rêve... cette fois, c'est...
- Tu m'avais dit ce matin que tu avais mal dormi. Ça fait combien de temps que ça dure ?
- Presque une semaine, surtout les deux derniers jours.
- Ces cauchemars, et cette illusion ne sont-ils pas dus à la fatigue ? Tu as été traumatisée par le décès de Céline. Un de tes regrets est de ne pas avoir pu lui dire adieu. Tout ceci est imprimé dans ton subconscient, et lorsque des rêves te marquent, c'est en fait ton subconscient qui refait surface.
- J'aimerais que ce ne soit que ça, mais comment expliquer ce qui s'est passé aujourd'hui ?
- Le manque de sommeil peut provoquer des hallucinations. Es-tu certaine d'avoir vu quelqu'un ? »

Mon front se blottit sur mes mains, les paupières abaissées pour me recueillir un moment. J'avoue ne plus savoir où j'en suis. Cette vision macabre, qui avait l'air si réelle, ne l'est plus depuis quelques minutes. Je tends à croire les explications de Natalie. Non, c'est plutôt mon esprit cartésien qui le désire. De plus, je dois avouer que cette discussion m'a allégée d'un poids. Je me sens plus sereine, comme si ma frustration s'est volatilisée subitement. Celle-ci s'est tapissée en moi tel un ténia accrocheur, absorbant mon énergie jour après jour. Le fait d'extérioriser mes malheurs m'a permis de me sentir mieux. Les paroles de ma confidente ont joué un rôle médicamenteux, soignant cette plaie ouverte qui détériorait mon quotidien. Cette sensation est étrange, c'en est même stupéfiant tant l'effet est immédiat. Je n'ai plus peur. Mes hantises ont été solutionnées, et classées dans le passé. J'arbore un sourire franc, en détendant mes muscles, puis reprends le dialogue :

« Tu as raison, ça ne peut être que ça ! affirmé-je en replaçant une mèche brune. Mes soucis ont pris le dessus sur moi. J'avoue que parfois, je n'ai plus toute ma tête. Il faut que je me ressaisisse.
- Tu veux dormir chez moi cette nuit ? demande-t-elle, soucieuse et surprise de mon brusque changement d'attitude.
- Non, ne t'inquiète pas, je vais bien maintenant.
- Tu en es sûre ?
- Oui, certaine ! »

Natalie me regarde d'un air perplexe. Cependant, elle n'insiste pas, et respecte ma décision. Il est vingt heures trente passé, je lui propose de ranger la pièce avant d'aller dîner dans un restaurant en ville. Le ménage fini, nous nous installons dans une charmante brasserie, décorée de rouge et de beige. Le commerce est encore garni de clients. Demain étant un jour de repos pour la majorité des salariés, les gens prennent leur temps, et profitent de l'atmosphère lyonnaise. Certains terminent leur repas, tandis que d'autres boivent un verre en discutant. L'ambiance est agréable, ce qui m'aide à oublier mes problèmes. Nos plats arrivent enfin : un pavé de bœuf accompagné d'une salade pour moi, et du saumon sur un lit de riz pour mon accompagnatrice. Cette soirée m'apporte un vent de fraîcheur. Cela fait longtemps que je n'ai pas joui d'une telle sortie. Il est parfois important d'avoir du recul pour pouvoir mieux avancer, c'est ce que j'ai appris cette nuit. Evidemment, du chagrin réside toujours dans un coin de mon âme, mais je relativise davantage. Ma sœur souhaiterait me voir épanouie, j'en suis convaincue. En sa mémoire, je me dois d'être courageuse, et vivre avec fierté. À ma grande déception, le dîner s'achève dans les environs de vingt-deux heures quinze. Je préfère ne pas retenir Natalie, puisque je distingue de la lassitude dans ses yeux. Avant de se séparer, elle tient à m'adresser quelques mots :

« Repose-toi, et n'hésite pas à m'appeler si besoin, même tard dans la nuit.
- D'accord, merci beaucoup.
- Ah, au fait, il faut que je te donne ça. C'est de la part de toute l'équipe. »

Elle me tend un sac plastique contenant un paquet cadeau. Je le prends en marquant une courte hésitation. L'image de l'apparition fantomatique refait brièvement surface. Néanmoins, je l'oublie volontairement pour accepter avec joie le présent. Mes iris scintillent dans la nuit, exprimant ma reconnaissance envers leur gentillesse. La blonde m'offre une accolade amicale, puis emprunte le trajet du retour. Je l'imite en traînant un peu les pieds. J'ai encore envie de m'imprégner de ce climat frais, afin d'évacuer entièrement l'appréhension qui demeure dans ma tête. Regarder des inconnus rire aère mon esprit. Les lumières des commerces projettent de la couleur dans la noirceur de mon âme. Je pensais que cette journée allait être la pire que j'ai connue. Finalement, elle m'apporte du renouveau, et pour la première fois depuis le décès de Céline, j'y vois un avenir plus positif. En pénétrant dans mon domicile, l'appartement paraît plus accueillant. Je ressens moins cette lourdeur qui pesait sur moi. Cependant, cet endroit renferme bien trop de souvenirs pour que mon corps se relâche complètement.

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