Chapitre Seize : La boucle d’Hypnos écrit par Damien Langlois
Chapitre Seize : La boucle d’Hypnos écrit par Damien Langlois
Ils marchèrent silencieusement pendant des heures. Ils firent quelques pauses et se désaltérèrent à des sources sauvages.
Noémonstre connaissait le chemin qui menait au repaire du Secret. Venait ensuite Papyon, qui observait le paysage avec attention, aux aguets de la moindre menace.
Noémie fermait la marche, les yeux dans le vague, ignorant les méduses d’air et les étranges herbes en forme de main qui saisissaient au passage des insectes aux ailes irisées.
Son esprit était une étuve surchauffée. Elle tenta de profiter du chemin pour ordonner ses idées.
Le Dictateur : qui était-il ? Que signifiait la vision qu’elle avait eue dans le conduit ? Quel était son vrai nom ? Et le Prisme. Un artefact vieux de plus de cinq mille ans, qui fusionnait avec son hôte ? Quel était son but ? Comment contrôler ses pouvoirs ? Que dire de ces univers multiples, qui se déclinaient à l’infini du spectre lumineux ? Le voyage dans le temps ? La multitude d’itérations d’elle-même ?
Elle fronçait les sourcils. Voyager dans le temps était une impossibilité au regard des connaissances scientifiques actuelles. Elle le savait. Cette connaissance était logée dans son cerveau, abritée derrière un rempart d’informations. Un rempart d’équations. Des équations d’une complexité inouïe. Mais elle se rendit compte qu’elle les comprenait. Elle fouilla ses souvenirs et se remémora ses années à la fac, étudiante en mathématiques, puis en physique théorique. Puis elle était devenue chercheuse dans un laboratoire.
Voyage dans le temps. Multivers. Couleurs. Obscurité. Recherche scientifique. Son esprit voulait lui dire quelque chose. Quelque chose d’important, de capital.
Toutes ces Noémies, toutes ces potentialités, toutes ces couleurs.
Elle fut interrompue dans ses réflexions par Noémonstre. Cette dernière se tenait au sommet d’une colline et pointait l’entrée d’une cavité dans une clairière située en contrebas.
— Comment allons-nous affronter cette chose ?, dit Noémie.
— Seul le Prisme peut t’aider, répondit Noémonstre, cryptique.
— Le Prisme ? Qu’est-ce que vous savez sur ses capacités ?
Son alter ego l’ignora. Elle descendait déjà en direction de la caverne.
— Pourquoi ne me dites-vous pas comment l’utiliser ?
Noémonstre ne répondit pas.
Ils pénétrèrent dans la grotte. Noémie ne s’expliquait pas l’étrange dilettante qui animait ses compagnons. Ils s’apprêtaient à affronter une créature réputée dangereuse sans le moindre armement sérieux, simplement sur l’idée qu’elle serait capable d’utiliser le Prisme pour le combattre.
Elle fermait la marche, redoutant le moment de la rencontre. Ils allaient tous se faire tuer, c’était certain.
Enfin, ils entrèrent dans une salle à la voûte d’une hauteur démesurée. Là vivait une nuée d'insectes luisants.
Elles se rassemblèrent en un nuage confus et descendirent devant les trois compagnons avant de s’amalgamer dans un bourdonnement furieux.
Un éclair rouge surprit Noémie. Il s’effaça, remplacé par un être protéiforme : il avait une tête de chat, l’abdomen d’un insecte, deux bras humains enfoncés dans les manches d’une combinaison spatiale et des jambes de grenouille. Une chimère grotesque.
— Le Prisme… Le Prisme, vociférait-il, sa gueule féline laissant échapper une écume d’un bleu ciel violent.
— Cerf Rouge !, hurla soudain Noémie, saisie par une brusque inspiration, comme si cette incantation pouvait l’aider à combattre la chose, comme si le Prisme lui avait suggéré.
La créature se figea. Papyon et Noémonstre aussi. Tous les bruits, même les plus discrets, cessèrent, remplacés par une étrange pulsation.
C’était le son d’un respirateur. Un bip rapide attira son attention. Comme un électrocardiogramme.
— Noémie ! Noémie !, dit soudain une voix, la faisant sursauter.
Elle balaya la salle du regard sans rien trouver que ses compagnons et le Secret figés.
— Noémie ! Tu m’entends ?
— Professeur Cassian, dit la voix du Dictateur. Vous nous entendez ?
— Qui est-ce ?, gémit la jeune femme. Où êtes-vous ? Que se passe-t-il ?
— Noémie, c’est Lucas Papyon.
— Lucas…, murmura-t-elle, alors que le visage d’un jeune homme brun se formait à la lisière de son esprit.
Lucas. L’homme avec qui elle vivait, avec qui elle allait prochainement se marier. Un scientifique brillant avec qui elle menait des recherches de pointe sur la structure de la réalité.
Le mariage, bondit-elle. Il était dans une semaine, peut-être moins. Elle devait trouver sa route pour être prête le jour de son mariage.
Elle se perdait dans un dédale de questions et de doutes. Des larmes coulèrent sur ses joues.
— Professeur, reprit la voix du dictateur, ici le professeur Stentor, comment vous sentez-vous ?
— Où suis-je ? Où êtes-vous ? Qu’est-ce que le Prisme ? Que se passe-t-il ?
— Noémie, tu es prise dans une boucle d’Hypnos. Ton cerveau tente comme il peut de donner du sens à ce que tu perçois, mais les images qu’il t’envoie sont certainement étranges. Tu es scientifique sur le projet Cerf Rouge. Notre programme cherche à valider la théorie du voyage dans le multivers par les rêves. Ton expérience a dépassé nos espérances, mais nous avons des difficultés à te ramener. Tu dois suivre le sens du récit. Ton esprit est confus, mais si tu poursuis ton objectif tu pourras sortir.
— Sortez-moi de la là !, pleura la jeune femme.
— C’est impossible, répondit la voix du Dictateur.
Le Dictateur. Le directeur tyrannique de son unité de recherche. Un surnom qu’ils donnaient collectivement à cet homme sans talents.
— Votre esprit voyage dans le multivers. Si nous coupons la transmission, vous resterez piégée dans une infinité d’itérations successives et de visions incompréhensibles… Nous faisons notre possible pour vous ramener. Mais nous avons besoin de plus de puissance de calcul. Notre connexion est trop faible.
— Alors, trouvez là ! Aidez-moi ! Lucas, aide-moi !
— Nous faisons n… maximum. Mais v… devez… plus longtemps.
— Pourquoi suis-je poursuivie ?
— Certaines entités veulent échapper à leurs univers. D’autres itérations de ta personne sont perdues dans le multivers. Toutes ces personnes et ces entités veulent se servir de toi pour rejoindre notre monde. Ton cerveau leur donne les formes qu’il est capable de comprendre. Tu dois les empêcher de venir dans ce monde. Il n’y a de place que pour toi. Si un étranger pénétrait dans notre univers pour y prendre ta place, il est difficile de dire ce qu’il adviendrait de la trame de notre espace-temps.
— Vous devez réussir, renchérit le directeur. Vous n’av… p… choix.
— Lucas ? Professeur ?
— Nous… pouvons… sauf… devez… extraire… Prisme.
Les voix se turent et l’univers reprit son cours.
Le Secret se désagrégea en une pluie de cendres bleues. Un objet tomba au milieu du tas.
Elle s’approcha lentement, sous le regard incrédule de Noémonstre et de Papyon. Elle saisit l’objet, souffla la cendre et l’exhiba.
— Un astrolabe ?, dit Papyon. Qu’est-ce que cela signifie ?
Noémie sourit. Les pièces du puzzle s’assemblaient enfin dans sa tête. Elle essuya ses larmes. Elle tremblait un peu de stupeur.
— Les Secrets donnent accès aux outils qui permettent de naviguer le multivers. Ils vont me permettre de rentrer chez moi en faisant sortir le Prisme de mon cœur. Les six objets s’assemblent, ou interagissent entre eux, je ne sais pas encore. Mais je sais qu’ils sont la clé à toute l’énigme.
Papyon sourit.
— Pourquoi veulent-ils tous ton Prisme ?
— Parce que le Prisme est la batterie qui fait fonctionner les six artefacts. Sans lui, impossible de naviguer. Impossible de fuir.
— Et le Dictateur ? Il veut en faire quoi ?
Elle haussa les épaules.
— Qui sait, peut-être veut-il réellement récupérer cet objet, car il pense qu’il est à lui…
Un éclair de lumière attira l’attention de Noémie.
Noémonstre tenait un couteau à la lame menaçante.
— Toutes ces années à attendre une explication. Et enfin, tout devient clair ! Donnez-moi cet astrolabe ! Je vais enfin pouvoir m’enfuir de ce cauchemar !
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