L'histoire d'un placard

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  C'était l’histoire d’un placard aux angles doux, rassurant. Tu y trouvais de belles photos, quelques cadres, ta couverture chérie ; il y résonnait ta chanson favorite. Apaisement. On pouvait admirer sur ses étagères tes vêtements de toujours ; un galet, un coquillage - objets fétiches de l'enfance ; quelques cahiers aux coins cornés. Partout, les objets renvoyaient à ta famille, tes amis d'enfance, tes maîtres de l'école primaire - tableau de ceux qui t'avaient vu grandir.
  Il y avait là presque tout de toi. Le lieu était exigu pourtant ; la lumière du jour n'y filtrait que par filets, insuffisante pour esquisser les contours du monde extérieur. Parfois, l'une de ses portes avait claqué sur ton nez, alors que tu tentais de t'aventurer au dehors. Tu avais eu mal longtemps.
  Année après année, ses défauts prirent la teinte chaleureuse des travers familiers : tu finis enfin par ne plus les remarquer du tout.
  De ce petit placard, tu avais fait un chez toi.

  C’était l’histoire de ce placard que tu retrouvas après la révolte de tes seize ans, parce que, sans doute, tu pouvais y puiser un peu de réconfort. Parce que triste et fragile, tu avais abandonné la scène des provocations pour un lieu qui ne te heurterait pas. De peur des mots-poignards, tu t'étais résignée à ta douce cachette.
 Alors tu grandis. Lorsque tu commenças à naviguer dans le monde des adultes, le placard de l’enfance continua de te poursuivre de ville en ville et de se présenter face à toi à chaque nouvelle rencontre – à chaque nouvelle étape.

De temps à autre, l'un, passant la tête par l'embrasure du placard, t'interrogeait, l'air moqueur :

— Tu te plais, ici ?

  T'y plaire ? Mieux que cela, tu t'y complaisais. Facilité douloureuse d'un moindre mal.

  Mais il y eut cette fille. À son approche, l'opacité du placard sembla fondre : tu ne pouvais voir qu'elle. Cette fille, son rire, ses bouclettes de lutine souriante, sa spontanéité inquiète ; elle fut là et soudain tu voulus que le placard volât en éclats.
  Il y eut cette fille, que tu regardais batifoler à travers les barreaux de ton placard-prison. Tu tentas de l'interpeller : tes paroles ricochèrent sur les parois et se perdirent dans les rainures du bois.

  Au dehors, malgré les mots-poignards, elle chantait.
  Tu voulus l'aimer —

  Sauras-tu la rejoindre ?

Note : En anglais et pour les personnes lgbti de façon générale, l'idée de "sortir du placard" renvoie au coming out.

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