Le carnet de voeux
Un nouveau lecteur MP3, une paire de Doc Marteens, un pendentif tortue en argent, un billet d’avion pour New-York.
Un million de choses arrivent chaque seconde, à chaque personne sur la planète. Certaines sont joyeuses, la plupart sans importance. Mais quelques-unes sont insurmontables. Elles le sont jusqu’à ce qu’on arrive à faire la paix avec elles en tout cas. C’est exactement ce que je vais faire ce soir. Il est temps de lâcher prise. Aujourd’hui, j’ai besoin de tirer un trait sur nos promesses. Pourquoi m’a-t-il abandonnée ? Je prends ma colère et j’espère parvenir à la sublimer. Il est hors de question que mon passé me condamne. J’ai longtemps cru que je pouvais survivre à son absence mais je veux juste vivre. J’ai envie de fuir mais peu importe si je cours vite, la douleur courra toujours plus vite. Je dois juste décider d’arracher le pansement, même si la plaie sur mon cœur est encore à vif. La vie serait sans doute plus simple si on pouvait la vivre à l’envers. Voilà ce à quoi je pense alors que je fixe la boîte en métal que j’ai extraite du mur il y a quelques minutes.
Un flocon vient fondre sur ma main et la réminiscence sensorielle qu’il provoque brûle mon épiderme, tant la neige est associée à mon plus beau souvenir. Malheureusement, il est jumelé au pire : notre dernier soir ensemble. Il y a un an jour pour jour, nous venions d’inscrire chacun notre vœu dans notre carnet avant de cacher notre boîte secrète dans le mur de la cheminée du toit de mon immeuble, comme chaque 24 décembre depuis 5 ans. C’était devenu notre rituel. Je souris tristement en repensant à l’adolescente que j’étais le premier soir de cette tradition enfantine, rebelle et rêveuse. Depuis notre rencontre le premier jour au lycée, notre complicité avait été immédiate, fusionnelle, exclusive. Nous deux contre le reste du monde. Nous débattions des heures à épuiser nos neurones, avant de nous retrouver dans ma chambre pour lire nos poèmes préférés, ou dans la sienne, allongés sur son lit, bercés par les craquements des vieux vinyles. Nous nous endormions dans les bras l’un de l’autre, sans qu’aucun désir ambigu ne vienne troubler nos rêves, les miens en tout cas. Mais sans doute avais-je bien trop peu confiance en moi pour autoriser mon inconscient à me dévoiler mes vrais sentiments. Mon âme est en errance depuis qu’il est parti. Cela ne peut signifier qu’une chose. Il lui manque sa moitié. Mais si je suis triste aujourd’hui, c’est uniquement parce ce qu’on a vécu ensemble était merveilleux.
A peine avais-je replacé la brique chancelante l’hiver dernier, qu’un uppercut glacé était venu frapper mon cou. J’avais crié et tenté de retirer les morceaux de neige en me débattant mais n’étais parvenue qu’à les faire glisser plus profondément dans mon dos. Il avait ri et s’était baissé pour former de nouveau un projectile. J’en avais profité pour m’élancer vers lui et le bousculer pour contrer son attaque. Il avait atterri sur le dos et avait amorti ma chute. Nos souffles brumeux s’étaient mêlés et j’avais fermé les yeux, aveuglée par la lueur nouvelle que j’avais décelée dans les siens. Je pourrais encore la décrire, battement de cœur par battement de cœur. L’odeur caramel et la douceur gercée de ses lèvres étaient venues se mêler aux miennes, tremblantes.
Et s’il n’avait pas raté le bus ce matin du 27 décembre ? Et s’il n’avait pas pris son vélo ? Et si la pluie nocturne n’avait pas glacé le bitume ? Et si…
J’interroge l’univers d’un regard, comme pour tenter encore une fois de trouver une raison à son accident. Une rafale fait se soulever un nuage de poussière et notre carnet de vœux s’ouvre à la page sur laquelle il a rédigé les siens. J’en connais la liste par cœur : Une platine vinyle, un skateboard, une place pour le concert de Radiohead, une guitare électrique, un billet d’avion pour New York. Je m’apprête à refermer le carnet quand je me fige en découvrant un sixième vœu : Qu’elle vive pour nous deux, je veille sur elle.
J’en fais la promesse tandis que je referme la boîte en métal. Je forme une boule de neige que je lance vers le ciel pour qu’elle rejoigne mon étoile.
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