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Bras virevoltants, jambes trottinantes, elle allait parmi les arbres dont elle ignorait parfaitement les noms. Quelle importance ? Elle aimait et était aimée. Nul besoin de faire l'esprit cultivé à présent, elle était déjà sienne et l'avait déjà charmé. Ce n'était pas avec des noms d'arbres, mais seulement par sa beauté qu'elle avait su la posséder. Alors, entre deux inconnus à fortes branches, elle se surprenait à penser :
« Elle était la seule femme au monde à m'avoir fait ressentir cela. Car la première. Évidemment, il y en aurait d'autres. Mais comment se lasser d'un premier souvenir ? Il est si exquis. Un fruit gorgé de jus dans lequel on croque sans vertu. Elle avait dénoyauté le plaisir, elle m'avait dépossédé. Le fruit défendu, qui ne l'étant plus, laissait s'échapper sa délicieuse saveur. Doux baisers, de sucre et de nectar divin. Fructueux baisers, sans nulle touche d'acidité, nulle amertume. Simple passion. Bonheur au palais. Elle était reine, j'étais bouffon. Jouant à jongler entre pêches et prunes, contemplant les prunelles, saisissant l'instant. Mais pas trop, car saisir l'instant c'est souvent l'oublier. Le vivre sans conscience, là est le secret. Ses deux joues, magnifiques fruits approbateurs de baisers, tantôt rosies par le froid puis la chaleur. Deux pommes, non d'Adam, mais pommes d’Ève. Nul besoin de quelconques Adams en ces lieux. Le péché originel est si écœurant. Ève n'a pas croqué la pomme, elle a savouré la pêche. Et Adam, triste solitaire, s'en est allé fouler d'autres contrés. Si ce n'était pas celle de la femme, il chercherait ailleurs. Il y aurait bien d'autres fruits à désirer. Quel parfum exaltant que celui d'une Ève. La mienne particulièrement. La votre, certainement. Et leurs baisers sont si juteux, ils vous abreuveraient un mois d’août ! L'Homme, si exubérant avec son grand H, coupons lui l'herbe sous le pied qu'il perde sa capitale ! Femme, rehausse-toi, grand F. Celui de Forte et de Forteresse. Abondance de vie, donneuse de beauté, croqueuse de pêches !»
Et sur le chemin elle chantait, tête haute, voix enfantine « Nul besoin d'Adam, nul besoin d'Adam !».
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