1.
- Hey Miss ! Elle est où la fontaine à eau ici ?
Heu... C'est à moi qu'il parle le monsieur ? Je crois que oui parce que ça doit bien faire une heure que je suis seule au bureau. Il est vrai qu'à 18h, il est rare de trouver encore beaucoup de fonctionnaires au boulot. Entre 16 et 17h, le plateau commence à se vider de ses occupants. En temps normal, j'aurais déjà quitté les locaux depuis longtemps. Mais voilà : ce matin, je n'ai pas entendu mon réveil et je me suis levée (comme une fleur) à 8h30 ! Après quelques étirements dans mon lit, je réalise... horreur... On est vendredi (et non pas samedi comme mon cerveau a voulu me le faire croire) et je dois absolument finaliser un rapport qui doit partir à la validation avant lundi matin. Je passe donc en mode "machine" pour me préparer et prendre le premier train que je pourrai attraper. Deux heures plus tard, je suis sur place et je m'excuse platement auprès de ma cheffe.
Bref, tout ça pour dire qu'à 18h, je suis toujours sur mon ordinateur à mettre la touche finale à ce rapport d'activité du service. Une vrai partie de plaisir ! Et voilà que je suis hélée (oui, comme un chien... ou une chienne dans ce cas précis) par une voix d'homme des cavernes. Comme je ne réponds pas assez rapidement à son goût, j'ai droit à un rappel tout en finesse :
- Hey, toi ! T'as entendu ? Elle est où la fontaine ?
C'était donc bien à moi que cet australopithèque s'adressait. Je lève les yeux et qu'est-ce que je vois ? Le type de la pub coca-cola !
Je suis sûr que vous voyiez de qui je parle. Mais si... le jardinier qui ouvre une canette, qui tache (par inadvertance évidemment) son t-shirt et le retire pour nous faire découvrir un "six-packs" parfaitement dessiné. Bon, d'accord, l'australopithèque du jour n'est pas aussi bien foutu que Monsieur "oups, j'en ai mis partout". Mais il est quand même mieux que la majorité des collègues que je croise tous les jours. Cela dit, ce n'est pas une manière d'adresser la parole aux femmes. Je vais devoir lui apprendre les bonnes manières. Et c'est parti pour une petite leçon de savoir vivre dictée avec ma voix la plus sévère.
- Monsieur, deux choses. Premièrement, on ne m'appelle pas "Miss" ou "Hey toi là-bas" ou ce genre de petit sobriquet. Vous m'appellez "Madame", rien d'autre. Est-ce bien clair ?!
- Heu... Oui.
- Oui, qui ?
- Oui, Madame.
- Bien. Deuxièmement, la fontaine se trouve dans la cuisine au bout du couloir.
- Merci.
- Merci qui ?
- Merci, Madame.
Dingue ! Il m'a écoutée. Je m'étais attendue à être renvoyée fissa dans les cordes. Mais non, l'australopithèque est devenu un petit garçon bien docile qui regarde ses pieds quand il parle. Comme quoi, la voix sévère fonctionne ! Il faudrait que je l'essaie plus souvent. C'est pas tout ça mais je dois encore l'envoyer ce rapport. J'essaie de me concentrer sur mon travail quand je sens une présence derrière moi.
- Madame ? J'ai fini mon service. Est-ce que vous avez besoin de quelque chose ?
Mon premier réflexe serait de dire "non, il est 18h15 ! Rentre chez toi. Laisse moi finir de bosser". Mais une petite voix me souffle "et si tu t'amusais un peu".
- Puisque vous me le demandez : oui, j'ai faim. Mais je doute que vous puissiez me créer un sandwich par magie là tout de suite.
- Heu... Non, Madame. Mais je peux aller vous chercher quelque chose à la superette que j'ai vue dans la station de métro en bas du bâtiment.
Surréaliste ! Avant que j'ai pu lui dire quoique ce soit, l'homme des cavernes a tourné les talons et est parti vers les ascenseurs. Merde... J'ai utilisé ma grosse voix mais je ne m'attendais pas à ce qu'il réponde. Non, ce n'est pas possible. C'était pour me faire marcher. Autant finir mon boulot et passer à la superette moi-même ensuite.
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