Un dîner presque parfait

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Son ami demeurait stoïque à ses côtés, les mains le long de son costume. Linda haussa un sourcil, le regard de biais. Il ne profitait donc pas de son état de faiblesse ? Elle sentait encore les mains baladeuses sur ses courbes. Un haut-le-cœur la surprit. Désillusion d’une ville qu’elle avait crue idyllique… Son rêve se transformait-il en cauchemar ? Au moment de sortir de l’ascenseur, Phil la retint par un pan de sa veste.

— J’espère vous revoir au restaurant de l’hôtel, ce soir. En attendant, reposez-vous.

Les portes se refermèrent sur la jeune femme qui laissa retomber le vêtement sur le sol puis s’écroula sur son lit. L’heure du départ approchait ; fuir ne résolvait jamais rien. Un jour ou l’autre, son passé la rattraperait.

À son réveil, une robe de soirée reposait sur un fauteuil, bien en évidence. Un tissu – de la soie ? – aux reflets lunaires, sublime dans sa simplicité. Qui l’avait déposée ici pendant son sommeil ?

Devant le miroir, Linda admirait ses courbes diablement mises en valeur. Avec un peu de chance, on s’occupera plus de mon décolleté que de mes ecchymoses, pensa-t-elle. Aussitôt cette réflexion émise, les marques sur son visage s’effacèrent devant ses yeux écarquillés. Sa peau de pêche éclatait de santé. Ce lieu respirait la magie.

Ses boucles blondes cascadaient dans son dos. Une véritable déesse. Phil en resterait bouche bée. Oubliant l’épisode désastreux des heures précédentes et obnubilée par son image, Linda décida de profiter à fond de ce qu’elle prenait pour un rêve éveillé. Elle rejoignit le hall du Somnore Palace où le bellâtre l’attendait près de l’ascenseur dans un costume trois pièces gris perle. Comme prévu, il la dévora du regard. Galant, il la conduisit, son bras sur le sien, au restaurant de l’hôtel. Ce dernier, décoré à l’ancienne avec ses lustres de cristal, affichait complet. Tous les regards convergèrent vers eux. Linda jubilait. Cela la ramena à ses années de lycées quand la plus populaire des reines du bal, c’était elle.

— Je ne me lasse pas de cette ville. Demain, je t’emmènerai la visiter, déclara-t-il à table. Et on évitera le day club, ajouta-t-il en riant.

— Mes hallucinations semblaient tellement réelles.

— Des monstres, hein ?

Il éclata de rire. Vexée, Linda délaissa les mets gourmands. Il venait de lui couper l’appétit.

— Depuis combien de temps es-tu là ? lui demanda-t-elle.

Il réfléchit quelques longues secondes, tout en mâchouillant un morceau de langoustine.

— Aucune idée. Le temps n’existe pas ici. Mais j’ai tout ce dont je rêve, alors pourquoi repartir ? Ah, ce vin blanc… un vrai délice. Du foie gras, s’il vous plaît ! cria-t-il à l’attention d’une serveuse.

— Mais enfin, insista la jeune femme, tu n’es même pas un peu curieux ? Je veux dire, c’est de la folie cet endroit !

Phil leva les yeux au ciel. Ah, les bonnes femmes, toutes les mêmes ; incapables d’apprécier le moment présent. Son interrogatoire gâchait son repas.

— Tu ne manges pas ton caviar ?

Linda secoua la tête puis repoussa la petite coupole vers lui. Il n’en fit qu’une bouchée. Écœurant. Elle poursuivit dans sa lancée :

— Tu te rappelles ton arrivée ?

L’avocat soupira d’ennui avant de laisser retomber ses couverts sur son assiette.

— Je m’aspergeais le visage dans les toilettes du tribunal. Le procès sentait mauvais pour moi. J’aurai tout donné pour me trouver ailleurs. Puis le miroir au-dessus du lavabo s’est fissuré dans une lumière verdâtre aveuglante et tout a disparu autour de moi.

Linda devint songeuse. Le seul point commun avec sa propre histoire tenait à l’envie impérieuse d’échapper à une situation ou un lieu. Somnore se révélait l’oasis parfaite pour finir ses jours. Pourtant, du coin de l’œil, la jeune femme captait parfois une ombre qui disparaissait sitôt son attention posée sur elle. Elle avisa les clients du restaurant ; tenues de gala et zygomatiques figées en croissant de lune. Le bonheur les transfigurait. Certains, au contraire, paraissaient exténués. Quant aux serveurs, ils dégageaient une aura fascinante, attractive. Quasi surnaturelle. L’un d’eux la fixait d’ailleurs d’un regard de braise, ses longs cheveux bruns attachés en catogan. L’apparence de cet homme représentait son idéal masculin. Envoutée, Linda délaissa Phil sans une explication. Ce dernier ne lui en tint pas rigueur longtemps : une rousse magnifique venait de la remplacer sur son siège vacant.


Dans une danse improvisée au milieu de draps de satin, chevauchée fantasmagorique, Linda se délectait des talents de son amant. L’esprit en transe, des murmures spectraux vibraient dans ses oreilles. Ombres mouvantes, hallucinations visuelles et auditives lui donnaient le vertige. L’avait-il droguée ? Une part d’elle-même luttait contre le sortilège dérangeant, bien que délicieux. Un spasme la surprit soudain. De ce plaisir naquit une douleur lancinante comme si une lame tranchait sa peau. Son énergie s’amenuisa peu à peu ; quelque chose – ou quelqu’un – la drainait. Elle mobilisa toutes ses forces afin de se défaire de cette emprise paralysante. Sa main griffa la peau de son agresseur. Le jeune homme dégagea son visage du cou de la jeune femme pour croiser son regard. Les iris pourpres et le teint blafard d’un cadavre en décomposition avaient supplanté ses charmants atours.

Linda s’éveilla dans un cri, dissipant ainsi le maléfice. Le monstre s’évanouit aussitôt dans la nuit sans un bruit. Seul le corps nu et en sueur de la jeune femme attestait la réalité de cet acte sexuel. Ça et une fine coulée de sang le long de sa jugulaire.

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