Retour aux sources

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CRAC ! Linda et David furent projetés chacun sur un des murs de la chambre d’hôtel particulière de la jeune femme. Son époux momentanément assommé, elle en profita pour modifier la décoration, bien trop romantique pour la situation. Exit les draps de satin, le lit à baldaquin et les bougies par dizaines. Les éléments s’effaçaient telle une main gommant un dessin raté puis elle reconstruisit l’ensemble à sa convenance. Un aspect sobre et blanc. Absorbée par sa tâche, Linda ne vit David foncer droit sur elle qu’au dernier moment. Elle se baissa juste à temps. Son poing s’enfonça dans la paroi, se lézardant sous l’impact. La jeune femme se précipita à l’autre bout de la pièce. Rageur, il se tourna vers elle, nu comme un ver. Une situation cocasse qui ne semblait pas le déranger outre-mesure.

— Où on est, bordel ? vociféra-t-il. Comment t’as fait ça, salope ?

— Cherche pas, bébé, tu pigeras rien de toute manière.

Sourcils froncés et yeux injectés de sang, il s’avança vers sa femme. La distance se réduisait entre eux comme peau de chagrin. Linda fit bonne figure, elle ne lui dévoilerait pas la peur qui grandissait pourtant dans ses entrailles. Rester de marbre, sûre de soi, comme avant,se répétait-elle en boucle. Il ne lui arriverait rien. Pas ici. Arrivé à sa hauteur, David l’empoigna par le cou et la souleva de quelques millimètres.

— Tu fais moins la maligne maintenant, hein ?

La jeune femme se débattit, tapant de ses poings libres les bras de son agresseur. Elle commençait à étouffer.

— Lewis Stanford, éructa-t-il, accusateur.

Linda cessa de gesticuler et fixa les iris acier de son mari. Il savait.

— Tu t’es bien payé ma tête, sale garce, avec tes airs de madone ! T’as cru que j’le découvrirai jamais ?

Des mouches dorées volaient devant ses yeux, ses membres s’ankylosaient. Les fourmillements touchaient désormais l’ensemble de son organisme. Il lui fallait apparaître. Maintenant !

— Linda, cruelle et sans cœur ! Femme infâme !

Un goût de sang dans la bouche. Et puis cette odeur… une fumée âcre.

— C’était donc ça ton plan depuis le début : me séduire, m’épouser et ensuite ?

Derrière l’épaule de David, sur le mur, se dessinaient les contours d’une porte de feu. Enfin.

— Tu me crèves en faisant croire à un accident et tu récupères le pactole ? Ce sale goût dans mon whisky avant que tu t’barres… T’as voulu m’empoisonner !

Linda suffoquait. Elle ne tiendrait plus longtemps ainsi. Le monstre tant craint de son enfance sortit de sa dimension chimérique. Le visage dépourvu de nez et de yeux, sa peau de cendre blanche craquelée laissait apercevoir des sillons de braises ardentes.

— Connasse, ton plan a foiré. Personne retrouvera ton corps ! Tout le monde croit déjà que tu as foutu le camp avec un autre type ! s’esclaffa David.

Il se pencha vers elle, les mains toujours serrées autour de son cou.

— Mais je m’interroge… Es-tu aussi responsable de la mort de ta famille ?

Sur le point de s’évanouir, le dernier souhait de Linda franchit à peine ses lèvres.

— Emp… le…

— Quoi ?

Il relâcha la pression sur sa carotide. Elle avala une goulée d’air.

— Emporte-le ! hurla-t-elle alors aussi fort qu’elle put.

Avant de s’écrouler sur le sol, inanimée, elle put constater avec joie la terreur ébranler son joli minois alors que la créature l’emmenait dans son royaume. En quelques secondes, le mur redevint aussi vierge qu’il l’était auparavant et Linda sut qu’elle avait gagné. Encore.


***

À la Terrasse d’un café parisien, Linda Summers buvait son café à petites gorgées, les yeux rivés sur sa nouvelle proie. La disparition de son ex-mari, David Summers, avait soulevé les soupçons de policiers pinailleurs. Deux mariages funestes attiraient forcément l’attention tandis que, de l’autre côté de l’Atlantique, personne ne la connaissait. Riche à souhait, la veuve noire à la retraite ne se lassait pas de chasser. Somnore réclamait son dû d’énergie humaine. Cette ville hors du temps et de l’espace l’avait appelée dans ce but depuis si longtemps déjà… Sa famille en avait été la première victime. Devenue l’intermédiaire du passeur, Linda se sentait prête à tout pour vivre toute une éternité.

L’homme, derrière son journal, lui lança une œillade. Elle lui offrit son plus beau sourire en retour avant de plonger dans son livre. Le laisser venir à elle, à son rythme. Une minute plus tard, une ombre plana au-dessus d’elle. Plus rapide que prévu. Ses cheveux châtains encadraient des yeux noisette pétillants et une mâchoire carrée recouverte de courts poils drus.

— La place est libre ?

Linda Summers déposa son roman sur la table.

— Oui, mais je m’apprêtais à visiter la capitale. Je dois repartir sous peu aux États-Unis.

— Oh, je vois, répondit-il en s’asseyant en face de la jeune femme. Dans ce cas, me feriez-vous l’honneur d’accepter mes humbles services de guide ?

Linda feignit l’enthousiasme. Le passeur adorerait la politesse de celui-ci. Mais avant de le donner en pâture aux succubes et autres créatures nocturnes, elle en ferait son dîner de ce soir.

— Avec plaisir, monsieur… ?

— Pierre suffira. Et vous vous appelez… ?

— Linda. Allons-y avant que la nuit ne tombe… Qui sait ce qui se cache dans la pénombre des ruelles pour ne faire qu’une bouchée de vous ?

L’homme éclata de rire. La jeune femme l’imita et c’est, bras dessus bras dessous, qu’ils s’éloignèrent de la terrasse bruyante. Cette nuit, Somnore compterait une nouvelle âme en son sein…

FIN

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