Sabine s'intéressait depuis quelque temps au développement personnel et à la sophrologie. Elle avait démarré une formation universitaire qui la passionnait, avec l’espérance de pouvoir un jour développer une activité professionnelle indépendante et en vivre. Elle ne se voyait pas travailler comme infirmière toute sa carrière avec les contraintes fortes du métier, et je trouvais que ce domaine lui allait bien.

Elle me propose de m'allonger sur le canapé. Je l’interroge du regard.

« C'est un ordre ! Je vais faire une expérience sur toi !

- tu t'y mets toi aussi... ? J’ai déjà donné mon corps à la science je te signale...

- fais-moi confiance ce que tu t'apprête à vivre n'a rien à voir avec ce que te fait vivre Mister Parrot ou Miss Marie ! Maintenant silence, fermes les yeux et laisses toi guider par ma voix ».

Je décide de me laisser guider par sa douce voix, en prenant de plusieurs grandes inspirations par le nez, puis en expirant lentement, et je recommence trois fois. Elle m'invite à me concentrer sur ma respiration, à prendre conscience du ralentissement de mon rythme cardiaque au fil des cycles. Je ressens un bien-être et un apaisement immédiat.

« Je t’invite maintenant à quitter le présent. Laisse ta conscience se promener dans un endroit ressourçant pour toi. Un endroit que tu aimes particulièrement... ».

Je visualise la mer, le sable chaud et les rayons du soleil sur ma peau. Je quitter ma maison, l'hôpital et mon esprit plonge sans difficulté dans le rêve suggéré par la voix douce de Sabine.

Le soleil brille, la chaleur est suffocante malgré la saison printanière et la fin de journée approchante. Claquettes à la main, serviette et parasol sur l'épaule, chapeau de paille à larges bords vissé sur la tête, je descends les 70 marches en bois de l'escalier menant au sable de la Falésia, l'une des plus belles plages du monde selon certains guides touristiques. Du haut des marches surplombant l'immense falaise, j'observe avec émerveillement le sable doré s'étirer sur plus de 6 kilomètres de long et 20 mètres de large, face à l'océan aux eaux claires turquoise. J'admire, fascinée, les parois argileuses abruptes habillées de rouge et de blanc rappelant quelque peu l'univers du grand canyon de l'ouest américain. Je mesure ma chance de vivre ce moment. En parcourant les deux dizaines de mètres me séparant de l'eau, je regarde autour de moi, heureuse d'observer cette ambiance de vacances dont on ne peut se lasser. Je vois tantôt un père et sa fille jouer aux raquettes, tantôt une jeune femme courir les pieds dans l'eau, puis un groupe d'enfants réalisant un château de sable gigantesque, ou des lecteurs passionnés, et encore des fanatiques du bronzage vêtus d'un bikini minimaliste immobiles sur leur serviette, tous différents mais avec ce même objectif de douceur et de détente. J'installe ma serviette sur le sable et mon parasol Ricard. Abritée du soleil, je contemple l'horizon parsemé de voiliers, de surfeurs ou de nageurs flottant sur ces fonds abyssaux emprunts de mystère. J'imagine les milles et une espèces maritimes sillonnant au même moment les courants marins et s'amusant avec les ombres humaines au-dessus d'eux. Tout d'un coup la réalité rejoint mon imaginaire et je vois apparaître les ailerons dorsaux d'une bande de dauphins. Que poursuivent-ils ? Les voiliers de touristes ? Des bancs de poissons ? Peut-être est-ce la période de reproduction et viennent-ils choisir les eaux clémentes de la côte de l'Algarve comme lieu de naissance pour leur progéniture ? Quel spectacle ! Cette nature d'une beauté incroyable est une véritable source de bien-être. Il fait bon flâner dans ce cadre enchanteur. Le soleil décline et se rapproche peu à peu de l'horizon prêt à faire son grand plongeon quotidien dans l'océan. J'aime les couchers de soleil sur la plage. Le bonheur qu'ils procurent. Un fabuleux tableau de ciel aux couleurs chatoyantes, intensifiant davantage l'ocre naturel des falaises, faisant scintiller l'océan tout entier. La surface de l'eau brille de mille feux au rythme du dandinement des vagues. Je protège mes yeux avec mon avant-bras pour ne pas manquer un seul instant ce panorama jusqu'à ce que la boule de feu soit engloutie avec ses rayons lumineux dans les abîmes de l'océan.

Guidée par la voix de Sabine, je poursuis mon rêve.

Je me lève et avance souriante d'un pas léger vers l'eau et plonge la tête la première pour me rafraîchir. L'eau est fraîche en contraste avec l'extérieur, le froid est saisissant mais en quelques minutes les bienfaits se font sentir et l'eau devient plus clémente. En position « étoile de mer » je flotte et contemple au loin les kilomètres de falaises dominées à ses sommets par d'innombrables superbes pins parasols. Je soupire de satisfaction.

Les mots de Sabine m'invitent à poursuivre, à ressentir chaque moment à travers mes cinq sens, ma conscience s'accroche à ce moment de sérénité.

Je sens une brise légère caresser ma peau humide telles les mains d'un amant doux et aimant. Je rougis à cette idée saugrenue et retiens un fou rire nerveux. Je me contrôle. L'air s'infiltre dans mes narines et m'enivre de son parfum iodé aux algues marines. Je sens ce parfum dans l'air ambiant comme si j'y étais. J'inspire profondément en humant ces douces senteurs, mes poumons se gonflent d'air, ma poitrine enfle, je bloque ma respiration et ferme les yeux. Je me laisse dériver sur l'océan. Mon rythme cardiaque ralenti, je suis bien là. Les clapotis de l'eau me massent délicatement le visage et le corps. Je fais le vide. Je profite de ce silence profond que seule l'eau déclenche en s'infiltrant dans les interstices de mes oreilles, provoquant un silence sourd propice à l'introspection. J'expire enfin et une sensation de bien-être intense m'envahit. Je souris, des larmes coulent le long de mes joues rejoignant les gouttes d'eau salées projetées par l'océan. Venir ici me procure un bonheur intense. Je me redresse et nage à la brasse en direction de la rive. Je plonge dans l'eau et poursuis la nage sous l'eau, en apnée, pour me connecter avec mon moi profond en quête de sens. La vie est si courte, je dresse mentalement la liste de mes envies. J'atteins la rive, mes pieds touchent le sable doux, l'eau se fait plus chaude. Je contemple à nouveau cette merveilleuse plage que mes yeux ne peuvent cesser d'admirer. Galvanisée par cette nature, de retour sur ma serviette je m'allonge et ferme les yeux.

J'entends la voix de Sabine me ramener peu à peu à la réalité, et quitte progressivement mon état second de bonheur. Des larmes coulent le long de mes joues, dans un mélange de plénitude et de tristesse lorsqu’en ouvrant les yeux je me retrouve face à mon présent.

C'est décidé j'arrête tout.