Je voudrais redevenir français.
Je voudrais, à nouveau, goûter aux mots de Victor Hugo, de Fallet, d'Audiard, de Zola, d'un Malraux, m'accouder au comptoir d'un café et trinquer avec un inconnu, rencontré une minute avant, avec lequel j'aurais échangé sur la politique, son métier, sa famille, en entrechoquant nos verres épais de vin blanc légèrement acide. Je voudrais faire quelques pas dans les rues de Paris sans rencontrer la formidable soldatesque armée de fusils d'assaut.
Je voudrais revenir sur les bancs de l'université et s'amuser des deux ou trois irréductibles et dérisoires communistes qui distribuent des tracts aux slogans si élimés qu'ils en deviennent risibles. Mais ces néo-fascistes semblent s'être multipliés comme des cellules cancéreuses et leur nombre, même encore minoritaire, condamne l'université toute entière à une agonie lente, indigne et douloureuse.
Je voudrais entendre s'opposer, dans mon écran de télévision, de brillants et antinomiques vrais intellectuels, érudits et captivants. Non des balourds insipides, racoleurs et fanatiques qui empruntent des idées d'un autre siècle, s'imaginent en Robespierre, quant ils ne sont que des Che Guevara fielleux et clownesques, mais tout aussi crapuleux.
Je voudrais voir bondir des Belmondo, resplendir des Delon, chatoyer des Natassja Kinski, m'émouvoir un éléphantesque John Hurt dans des salles attentives d'un cinéma chaleureux.
Je voudrais entendre une nation entière chanter la Marseillaise, célébrer Versailles, Saint Louis, et Napoléon, s'esclaffer des facéties d'un Devos et des audaces d'un Desproges, faire un triomphe à Lama et Sardou, s'enthousiasmer du décollage d'un A380 ou d'une Ariane, admirer l'ingéniosité d'un viaduc.
Mais, d'un Londres de l'Est, je vois un pays occupé, des villes saccagées, un patrimoine épuisé.
Je vois une place où je me suis tenu il y a huit ans, après qu'on a assassiné des dessinateurs, retentir ce jour d'un aboiement funeste, aussi effroyable qu'un nouveau défilé national-socialiste sur les Champs-Elysées.
Je voudrais redevenir d'un pays qui n'est plus.
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