Désastre

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  Le regard vide de Garance est rivé sur son miroir. Cela fait de longues minutes qu’elle se dévisage ainsi, les mains solidement agrippées au lavabo, courbée, haletante. Dans son reflet, des gouttes de sueur roulent sur ses tempes. Bon sang, qu’a-t-elle fait ? Elle secoue la tête vivement pour chasser de son esprit les images de ces dernières minutes. Sa respiration se fait de plus en plus lourde. Elle ignore la douleur qui se propage dans son ventre et dans son bras, elle ignore le sang qui s’écoule entre ses doigts. Doit-elle appeler les secours ? Non, définitivement non. Personne ne le croira. Mais, et si quelqu’un avait entendu le coup de feu ? Et si la police était déjà en route ?

  Elle se retourne brusquement et se dirige vers le salon, suivant la traînée rougeâtre qu’elle a laissée derrière elle. Horrifiée, elle redécouvre la scène du drame. C’est trop dur. Elle a mal. Alors elle tombe à genoux dans le couloir plongé dans l’obscurité et enfouit son visage entre ses cuisses, recroquevillée sur elle-même. Des frissons l’assaillent de part en part. Elle gémit, mais qu’importe la souffrance. Elle ne voulait pas le faire, ça n’aurait jamais du arriver. Elle n’a jamais voulu le tuer, jamais voulu le tuer, jamais. Elle l’aimait malgré tout ; malgré tout ce qui s’était passé, elle l’aimait. Elle l’aimait malgré les insultes, malgré les cris, malgré les coups. Elle l’aimait malgré ce couteau qu'il lui avait planté avec rage, cette lame qui a déchiqueté ses entrailles, et qu’elle sent tourner et tourner dans ses vicères. Elle l’aimait plus qu’elle ne s’était jamais aimée. Ses larmes inondent son visage et se mélangent au sang. Elle ne peut s’empêcher de hurler, à s’en percer les tympans. Mon dieu qu’a-t-elle fait ?

  Sa tête tourne de plus en plus. Elle tente de se relever avec peine, s'appuyant contre le mur pour s’aider. Ses jambes ne la portent plus, elle est épuisée. Elle ne sait plus que faire. Elle sait qu’il est mort. Elle a vu ses yeux. Elle ne veut plus les voir. Elle avance avec peine jusqu’au téléphone, le saisit, mais au moment de composer le bon numéro, elle le laisse tomber et hurle à nouveau. Ses tremblements deviennent incontrôlables, et le bruit sourd de la détonation résonne dans sa tête une fois encore. Elle s’affaiblit, mais l’adrénaline la maintient debout. Que vient-il de se passer ? Pourquoi elle ? Pourquoi fallait il que ça se termine ainsi ? Pourquoi avait-elle pris cette arme ? Pourquoi avait-elle tiré ? Il l’aurait frappée de nouveau, elle serait morte dans le cas contraire, mais n’est-elle pas en train de mourir ? Va-t-elle mourir ? Faut-il qu’elle meure ? Mérite-elle de vivre ? Bon sang pourquoi a-t-elle tiré ?

  Des flashs lumineux attirent son attention par la fenêtre, des éclats bleus, rouges, la police ? Les secours ? Non, il ne faut pas ! Il ne faut pas qu’ils rentrent ! Ils ne peuvent pas rentrer ! Pourquoi ne sont-ils jamais venus avant ? Pourquoi aujourd’hui et pas hier ? Pourquoi a-t-elle tiré ? C’était plus fort qu’elle, il le fallait ! Mais elle l’a tué, elle ne voulait pas, elle le jure !

  Si seulement elle n’était pas rentrée plus tôt, si seulement elle n’avait pas su qu’il avait un pistolet, si seulement elle n’avait pas été si fatiguée, si elle était allée faire les courses comme il le lui avait demandé, si elle ne l’avait pas énervée, si elle avait été à la hauteur, si elle avait écouté sa mère, si elle avait appelé à l’aide plus tôt, si seulement elle pouvait revenir en arrière, il serait toujours en vie, elle n’en serait pas là !

  La sonnerie retentit. Elle sursaute. Ils sont là, ils sont à la porte ! Elle s’effondre, comme si toutes ses forces venaient de lui être ôtées. Le glas a sonné.

  Grand dieu, l’enfer. Elle ira en enfer. En enfer ! Elle n’y échappera pas. Elle qui avait toujours œuvré pour le bien, elle ne s’échappera pas. Elle pleure silencieusement. Elle entend à peine les violents coups contre sa porte. Elle sait que c’est terminé. Tout est terminé. Elle n’aura ni vie ni grâce, personne ne le croira. C’est une meurtrière au sang froid, c’est un monstre. La douleur s’atténue, elle se sent disparaître enfin. Une lumière blanche envahit son champ de vision brouillé. Une silhouette se penche sur elle. Ses oreilles se mettent à siffler, sa bouche s’entrouvre, ses épaules tombent et son corps s’écrase sur le parquet collant. Et enfin, le silence…

Le médecin souffle lourdement :

 « Je ne sens pas son pouls, elle a dû succomber à l’hémorragie »

Et, s’adressant au policier derrière lui :

 « Quel désastre... »

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