Chapitre 5 - La Harpie
Sylas tourna la tête en direction de sa partenaire. Il fronça les sourcils la perçant d'un regard qui lui demandait clairement ce qu'elle faisait, ce qu'elle attendait. Ses yeux étant insistants, Chloé comprit qu'elle lui devait une explication. Mais à part une œillade troublée, des lèvres tremblantes et un non incontrôlé de la tête : elle ne savait que dire. L'homme perdait patience.
— Mais qu'est-ce qu'y t'prends, Chloé ? Tire bon sang ! chuchota-t-il avec insistance.
— J-je... Je ne peux pas, bégaya-t-elle.
— Pourquoi ? C'est ton premier contrat, tu ne veux pas le réussir avec succès ? Qu'est-ce qui te fait autant douter maintenant ? L'encouragea le Purificateur avec maladresse, pressé par le temps.
— C'est une petite fille... Une simple petite fille.
Sylas resta bouche bée durant quelque seconde. Comment avait-il pu être aussi inattentif et elle aussi inculte ? Elle joue les femmes fortes mais elle ne sait absolument rien du monde qui l'entoure si ce n'est utiliser sa magie, et encore : cela restait à prouver.
— La petite fille que tu vois est probablement bien plus vieille que moi. C'est comme si les Harpies étaient nées avec une bonne grosse coupe d'eau de Jouvence entre leurs serres. Elles ne vieillissent jamais. Elle est déjà adulte Chloé, alors tire ! L'incita t'il, insistant.
Mais elle resta silencieuse, comme paralysée par les évènements. Elle devait s'attendre à quelque chose de plus grand, plus puissant, de plus monstrueux et inhumain qu'une fillette. Sylas soupira et dans un dernier effort, il força l'adolescente à lui faire face. Prenant une voix plus calme, presque rassurante, il lui demanda dans un dernier espoir :
— Chloé, fais-moi confiance.
Mais voyant que celle-ci était encore plus perdue face aux informations qu'il venait de lui donner, Sylas décida de fermer les yeux sur la situation. Lui qui avait fait l'effort de ne pas se la jouer solo, de l'inclure au plan comme étant aussi importante que lui : voilà qu'elle le décevait grandement. Contrairement à lui, la rouquine n'avait pas un cœur aussi solide que l'adulte entrainé.
— On ne peut faire confiance qu'à soi-même, grommela-t-il.
Étant maintenant seul face à ce qui allait suivre, il tourna le dos à la gamine et épia la scène. Maintenant que le garçon avait sagement eut le temps de s'éloigner, l'aura de la fillette devint plus menaçante. Alors qu'elle était encore cachée dans la pénombre, Sylas dut très vite se cacher à nouveau derrière le cabanon car le petit garçon venait d'y entrer. Pourquoi diable n'avait-elle pas déjà attaqué ? Le temps d'une minute pour comprendre, il se leva soudainement, quelque chose à la main. La Harpie se transformerait pendant que le môme n'aurait pas la vision sur elle.
Le professionnel se décala d'un pas et brandit le réceptacle qui contenait une source magique. Une petite fiole de verre fin, facilement brisable dans lequel fourmillait une vive lumière blanche semblable à des milliers d'éclairs.
La métamorphe s'était stoppée pour tendre les bras le plus loin possible de sa personne. Des griffes acérées commencèrent à lui pousser tandis que son corps virant doucement au bleu s'élançait aussi gracieusement que pouvait l'être un métamorphe naturel. Sylas ne la laissa pas le temps de finir car avant même qu'une première plume ne pousse, il fit exploser le flacon aux pieds de la chose.
L'enfant hurla dans un cri d'abord distordu se rapprochant à celui d'un volatile souffrant le martyr avant de repasser à la voix de la fillette fragile et électrocutée. Tout comme sa voix, son corps reprit cette apparence simple de l'enfant maigrichonne et elle s'agenouilla au sol sous le poids de la douleur.
Sylas courut alors vers elle, épée en main. Mais celle-ci hurla de nouveau.
— Qui es-tu ? ordonna-t-elle de répondre.
Son cri était si puissant, si animal et douloureux qu'il fit repousser Sylas en arrière dans une hache de vent. Il décolla du sol atterrissant à peine plus loin que son point initial.
La lumière cloua la fillette au sol dans une prison électrique qui la punissait dès lors qu'elle essayait de s'enfuir.
— Pourquoi tu m'as fais ça ! continua-t-elle.
Le cabanon se mit à trembler, autant que l'herbe recouverte de rosée, menaçant de s'envoler. Le Purificateur se releva difficilement encore surpris du choc. Essoufflé, il s'avança pas à pas vers l'enfant piégée mais néanmoins encore dangereuse.
— L'heure n'est pas aux questions, Harpie.
— Réponds Purificateur ! hurla-t-elle de nouveau amenant avec son cri un nouvel éclat de vent.
— Je suis Sylas LOCBARD et je purifie la terre des démons et autres conneries dans ton genre, Louisa, se résigna-t-il.
La Harpie laissa échapper un petit rire malicieux.
— Et tu oserais me tuer alors que je porte un prometteur enfant ?
— Il sera tué avant même d'atteindre votre majorité avec les papilles que tu lui donnes, l'incrimina-t-il.
— Et c'est pour ça que tu viens m'assassiner ? Alors que je ne fais que me nourrir tel le veux dame Nature ? Vous n'êtes pas tout puissant, des animaux sont là pour vous manger tout comme vous en mangez également, ricana-t-elle, se défendant.
— Et moi je réduis vos familles. Dois-je te rappeler que vos principaux plats sont, et de loin, de vulgaires rongeurs et des restes de cadavres ? annonça-t-il en haussant un sourcil. Non pas de vous servir à la source. Mais je vois que ta lâcheté n'a d'égal que l'âge de tes proies...
La gamine grogna ne sachant quoi rétorquer. Vaincue par l'évidence et la connaissance du professionnel, elle tenta en vain de se libérer à nouveau. Les éclairs la traversèrent la faisant pousser de nouveaux cris et grognements de rage.
— Toi et ton enfant, vous êtes finis. Tu savais ce qu'y t'attendait : ne sois pas surprise, prononça-t-il d'une voix douce amère.
— Non ! hurla-t-elle d'un cri sans fin.
Alors qu'il s'était avancé si près de la créature, celle-ci hurla si fort, si distinctement et effroyablement qu'une tempête se créa autour d'elle. La magie qui l'emprisonnait se fit avaler dans un tourbillon de vent assourdissant et en harmonie avec sa voix. Une voix qui se tordait. Louisa prenait forme et alors que Sylas grinçait des dents, Chloé était subjuguée par le spectacle et toutes ses lumières aussi dangereuses soient-elles.
Son corps se teinta d'un bleu céleste aux plumes azur avec de magnifiques reflets cyan quand ceux-ci bougeaient au rythme du vent. Ses bras s'allongèrent d'une façon si fluide que l'on préférait croire à la transformation d'une créature des dieux. De petites plumes, semblables à un doux duvet les recouvrirent ne laissant apparaitre que de gigantesque serres en ivoire. Sa robe blanche laissait entrevoir de fines écailles descendant de ses joues jusqu'à son bassin avant qu'elles ne se confondent avec des plumes si fines qu'elles ressemblaient à de la fourrure. Alors que ses jambes prenaient la forme de pattes de poule, des serres aussi tranchantes qu'une épée grandissaient à vue d'œil au bout de celles-ci.
Sa métamorphose naturelle était inarrêtable. Ses ailes avaient fini de prendre forme. Elles étaient majestueuses, brillantes et gigantesques. Elles ressemblaient à celle des Phoenix bleus car une longue queue en adéquation avec celles-ci lui poussa également. Une queue fine de plumes longues et raffinées.
Ses cheveux blonds avaient blanchi tout comme ses yeux. Impossible de savoir où la Harpie regardait. Ce qui ressemblait à deux crêtes bleues ou bien à des cornes ailées lui poussèrent en pic parmi ses cheveux.
Chloé n'arrivait pas à détacher son regard de la créature. Elle était si belle, si élégante et majestueuse.
Sylas non plus ne pouvait détacher le sien, elle était devenue bien trop dangereuse telle une rose venimeuse. De plus, il pouvait voir le ventre de la Harpie, rond. L'œuf était pratiquement prêt et ça le dévorait.
L'oiseau avait terminé. Déployant de tout son long ses ailes hypnotique, elle les abattit en direction du Purificateur. En un battement d'aile, une rafale de vent s'explosa contre l'homme.
— קЯΦŦεĠεЯε !
Sylas prit le réflexe d'invoquer un sort de protection faisant apparaitre un mur magique qui se dressa devant lui d'une lueur blanche aux reflets dorés. Par précaution, il planta sa lame dans la terre et s'y cramponna fermement ; et il eut raison car l'attaque fut si puissante qu'il manqua de peu de suivre le chemin violent que lui aurait dicté la tempête. Il grogna face à l'intensité de sa fureur et en sentant quelque chose percuter et briser son enchantement.
La Harpie avait plongé en sa direction en se confondant avec sa propre magie. Elle s'était heurtée à l'invocation, la repoussant dans un choc brûlant dont elle fit vite partir le peu de flammes d'un seul coup d'aile.
Son rire était aigu, distordu comme le souffle du vent. Elle riait de colère, d'un rire jaune et moqueur.
— C'est ça la magie d'un rang démon ? Et tu oses prétendre pouvoir me tuer moi et mon enfant ? Défendit-elle.
Sa voix était semblable à un chuchotement céleste, presque démoniaque et bouffé par la colère. Une voix qui rentre dans la tête et qui ne semble ne jamais pouvoir en sortir, comme un parasite inépuisable qui te pousse dans un vice agréable.
— Tu es aussi incapable que tes congénères humains, dit-elle avec plus d'intensité.
Et elle plongea de nouveau, tranchant l'air en deux en direction de Sylas. Lui, pendant ce temps, sembla marmonner des mots incompréhensibles.
Mais quelque chose transperça l'aile gauche de la bête. Alors qu'elle battait de l'aile laissant du sang se disperser autour d'elle, cet acte fit dévier sa trajectoire et elle rata sa cible. Surpris, l'homme dirigea un regard en direction de Chloé.
La petite rouquine s'était écartée du cabanon et un cercle ésotérique blanc à la lumière bleue l'entourait. Elle tenait une invocation, une arme dans ses mains. Elle était fine ornée des mêmes couleurs que l'enchantement et elle la pointait encore en direction de la proie. Un fin filet de lumière transperça la seconde aile au niveau du bras.
La Harpie fut électrocutée pendant un court instant la faisant pousser un râle de souffrance sans pareil jusqu'à maintenant. La puissance était bien loin devant celle du Purificateur. L'effet se propagea dans l'air tout autour de Louisa la rendant faible et l'épuisant.
— Tu n'étais pas seul... souffla-t-elle.
— Non, répondit-il en crachant dans l'herbe l'excès de salive mélangé au sang.
— Elle en a mis du temps à agir... souligna-t-elle alors qu'elle bouillonnait de rage.
— Non. Juste à temps.
Louisa tenta de voler à nouveau durant ce moment de calme mais elle venait de perdre l'usage de ses ailes pour un moment. L'air électrique qui l'entourait l'étouffait et la fatiguait considérablement. En connaissance de cause, elle se résigna à rester au sol.
Elle s'élança de nouveau contre l'homme et alors que celui-ci se mit en position de défense, la Harpie bondit de ses pattes et fit battre ses ailes, lui donnant de l'élan, en direction de Chloé leurrant ainsi le professionnel. Dans un excès de rage, elle leva ses serres en même temps que Sylas leva sa main en direction de l'adolescente.
— קЯΦŦεĠεЯε ! lança t-il de nouveau.
Ce même mur protégea l'invocatrice de l'attaque désespérée du rapace alors qu'elle hurla de terreur. Celui-ci se brisa en éclat la repoussant de nouveau en arrière et Chloé avec, les faisant s'éloigner l'une de l'autre. Le purificateur, lui, se propulsa en avant et asséna un coup de bas en haut à l'aile gauche, la moins endommagée des deux. La première partie se trancha comme une feuille de papier avant qu'il ne sente le reste se déchirer jusqu'à ce que l'os ne stoppe son mouvement. Alors que ses plumes volaient indépendamment de son corps, elle coupa son hurlement dans un nouveau battement d'aile incontrôlé pour faire partir l'épée. Mais ce geste la fit gémir de plus belle. Sa chair, elle aussi volait indépendamment de sa volonté, elle qui n'était même pas totalement coupée.
Elle se débattit alors, brusquement, et Chloé tira une nouvelle fois dans ses plumes. Alors qu'elle visait la poitrine, son autre aile la protégea, annulant le coup fatal mais l'électrocutant à nouveau.
Hors d'elle, Louisa se débattait davantage alors que Sylas tentait de la maitriser ; et dans un dernier coup : elle choppa l'épaule de l'invocatrice. Cette dernière hurla longuement avant de jurer de tous les noms dans le vide.
— Sylas ! L'implora-t-elle.
La gamine se tenait l'épaule. Elle avait beau faire pression sur la plaie, celle-ci continuait de couler le long de son bras l'effrayant et la faisant gémir. La douleur devenait plus intense la brûlant de l'intérieur.
— Sors Chloé ! Écarte-toi ! Lui ordonna-t-il.
— Non ! Hurla Louisa.
Alors que la Harpie étendit sa jambe d'un rapide coup en direction de la blessée qui tenta de reculer, Sylas la freina en tranchant sa pâte écailleuse. Malheureusement, celle-ci était bien plus résistance que les ailes fragiles et délicates car à part une simple entaille, ce coup ne put rien faire de plus. Ses serres tranchèrent en partie la jambe de la petite qui hurla à nouveau et tombait parterre. Alors qu'elle aurait aimé continuer à hurler, geindre et se morfondre jusqu'à ce qu'on la soigne, Chloé prit néanmoins son mal en patience et tout en s'aidant de ses membres intactes, elle s'éloigna suffisamment pour être hors de portée des griffes de l'animal.
Sylas se jeta sur la créature prenant ainsi le dessus sur celle-ci.
L'adrénaline aidant beaucoup, Louisa portait ses griffes au cou du Purificateur dans le but de se sortir de là en lui donnant la mort. Lui qui était au-dessus d'elle empêchant ses jambes de l'atteindre, il n'eut pas à réfléchir bien longtemps.
Il empoigna cette main ailée et la brûla sans la lâcher. Le feu se propagea dans le bras cramant une à une ses belles plumes bleues. Gémissante et épuisée, elle reprit son apparence de petite fille implorante.
Son bras était brûlé, noir, aux cloques immondes alors que l'autre n'était qu'à moitié coupé et saignait abondement, sans compter les nombreuses coupures et les impacts magiques de Chloé qui lui avait traversé ses mêmes membres fragiles. La Harpie pleurait et d'un sourire forcé implorant la pitié, elle arrêta d'hurler.
Une odeur de cramé fit sécher les lèvres de Sylas. Dieu qu'il avait soif. La fillette ne se débattait plus, elle implorait seulement du regard.
— Je suis une Harpie, vous n'êtes pas censé nous tuer... Nous sommes rares et en voie d'extinction. Je porte un enfant, je suis fertile et je pourrais encore pondre pour perpétuer notre espèce ! essaya-t-elle de le convaincre.
— Justement. Vous n'êtes pas censé tuer les humains, rétorqua-t-il.
— Tout ça n'était qu'un violent avertissement, n'est-ce pas ? préféra t-elle espérer.
— Tout comme vous essayant de tuer ma coéquipière et de me trancher la carotide ?
— Parce que vous tentiez de me tuer moi et mon enfant, se défendit-elle.
— Et qui a commencé en se faisant remarquer ? l'accusa-t-il.
Louisa se tut un instant. Elle accepta sa situation, sa sentence. Alors que le Purificateur semblait encore hésitant, elle demanda :
— Épargnez au moins mon enfant. S'il vous plait.
Sylas serra les dents et baissa la tête vers le ventre rond de la petite fille. La seule chose qui avait gardé son apparence volatile était son abdomen, dans l'unique but de garder sa progéniture à l'abri de l'extérieur et du corps humain bien plus fragile. Il resta silencieux.
L'homme croisa le regard souffrant de l'adolescente.
— Harpie, commença-t-il captant l'attention de celle-ci. Si je fais ce métier, c'est que je ne suis pas comme tous les autres humains.
Et ainsi, il lui perfora le ventre sous les yeux des deux gamines, transperçant le bébé avec sa mère.
— Monstre ! hurla-t-elle une dernière fois de cette voix céleste venue des profondeurs des enfers vers le plus lointain des mondes.
Dans un dernier râle d'agonie, celle-ci mourut en sentant l'âme de son petit partir avant la sienne. Son visage se crispa et ses yeux virèrent au blanc et alors qu'elle rendit son dernier souffle, Sylas soupira.
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