Chapitre 8 - À la recherche du Berkgolm
Sylas et Chloé avaient accompagné Léo Théodore BALMUND à sa séance d'escrime en plein air. Tout ce que le professionnel voyait était uniquement cette affreuse queue de cheval qu'il regardait voler dans le sens du vent et au rythme de ses mouvements. Ses cheveux qui brillaient au soleil lui rappelaient à quel point il avait envie de les brûler. Cette pensée fit apparaitre une flamme dans les yeux du froid personnage. Il trouvait cette marque d'élégance affreusement ridicule et il comptait bien le lui apprendre un jour. Cela dit, ses mouvements n'étaient pas à plaindre. Il devait admettre que le prince devait être un bon chevalier, car celui-ci avait un coup d'épée d'une finesse presque inhumaine tellement elle était peu commune pour un humain lambda. Et il l'épia ainsi 3 heures durant, et ce jusqu'à l'heure du bain.
Pendant ce temps, Chloé s'était sentie inutile jusqu'ici. Observer ; il fallait seulement observer. Mais qu'est-ce que c'était ennuyant comme boulot ! Alors oui, elle observa, à la recherche d'un dit Berkgolm. Elle arpenta les allées, sans s'éloigner, s'arrêtant à quelques parterres de fleurs où d'autres gravures honorant certains soldats morts au combat. Chacun de ses pas laissait ressentir sa joie à propos de son séjour au château de Slemorean. Une joie nulle. Pour finir, elle trainait des pieds faisant racler ses semelles abimées tout en sifflotant des airs qui lui venaient en tête.
Une fois la séance de sport terminée, le combattant rangea son arme dans son fourreau et la remit à un garde qui s'en alla pour aller la ranger avec les autres. Le prince reprenait lentement son souffle, et couvert de sueurs, il invita les deux compagnons à le suivre jusqu'aux bains.
Là, Chloé ne voulu rien savoir. Jamais elle n'accepterait le fait de ne serait-ce qu'imaginer le corps nu d'un homme qu'elle n'admirait plus. Alors devoir le regarder se déshabiller pour soi-disant surveiller une présence monstrueuse, trop peu pour elle. Gentiment, elle s'invita elle-même à rejoindre la salle à manger dans laquelle ils se rejoindraient ensuite. Mais Sylas dut accepter ce fait ; et il l'accepta avec le plus grand des calmes et la plus grande ouverture d'esprit qui soit. Un corps était un corps, et s'il n'était pas intéressé par celui-ci il ne ressentirait rien.
Et c'est ce qu'il se passa. Son Altesse s'était hâtée de retirer tout son attirail puant la sueur pour vite aller se cacher dans l'eau chaude que lui avaient préparé ses dames de chambre. Visiblement, il n'était pas aussi à l'aise que le Purificateur.
— Belle cicatrice, fit remarquer Sylas à la vue de l'immense trace dans le dos de son employeur.
— Au lieu de m'épier, occupez-vous plutôt des alentours et du Berkgolm, ordonna-t-il, un peu honteux.
Un ordre était un ordre, et celui-ci était simple. Le barbu sourit, moqueur, et détourna alors le regard empli de rire. Le chevalier faisait la fine bouche et il trouvait la situation amusante ; celle de suivre le demandeur jusqu'à l'endroit qui lui était le plus intime et ce, dès le premier jour de côtoiement. En général, il partageait cet espace avec les putains ou les brèves compagnes qu'il avait trouvées sur la route et non pas un prince. Alors il fixa un point précis au loin sans un mot de plus.
*
— Eh bah, vous n'avez pas été long pour un bain royal ! fut étonnée la rouquine.
— Disons qu'il avait quelques problèmes de pudeur, expliqua Sylas avec encore ce sourire en coin.
— Hum, toussa faussement son Altesse intimant de taire ce sujet.
Chloé était déjà assise, servie d'une adorable salade verte accompagnée d'autres légumes et végétations comestibles du coin. Mais elle était plus occupée par jouer avec l'argenterie que la nourriture disposée dans l'assiette. Peut-être les avait-elle attendus pour commencer ?
Le Roi et la Reine BALMUND étant en déplacement, ils eurent le plaisir de partager ce repas à trois, aussi intime que possible. Le silence couvert par le son des fourchettes et des couteaux grinçants dans l'assiette devenant lentement gênant, le prince des terres de l'Est ouvrit la conversation.
— Depuis combien de temps êtes-vous à Equiviel, Monsieur LOCARBD ? demanda-t-il.
Ce dernier haussa un sourcil alors qu'il recevait le plat principal. Une bonne tranche de sanglier en sauce venue tout droit de la forêt d'à côté servit sur son lit de champignons et accompagnée de sa purée de patate.
— Quelques jours seulement. Je suis de passage, ajouta-t-il sous le regard concerné de Chloé qui ne fit aucune remarque verbale.
— Oui... J'ai entendu dire que vous aviez réglé l'histoire du Loup-Garou qui sévissait à la sortie de RAIGER avec succès, en compagnie de mademoiselle Chloé également. Et qu'il s'agissait enfaite d'une Harpie bleue.
Cette dernière serra les dents. Le fait qu'elle ne soit que l'accompagnatrice passive à la quête ne lui plaisait guère. Elle aurait aimé faire partie intégrante de l'histoire, même dans la bouche de Léo, et non pas être mise de côté de la sorte.
— En effet, Chloé m'a pas mal aidé sur certains points, acquiesça-t-il en terminant sa première bouchée avec appétit.
— Certes. Comment avez-vous fait pour la vaincre ? On m'a aussi rapporté que le combat avait été loin de toute facilité.
— On vous rapporte beaucoup de chose dites-moi, souligna le balafré.
— Honnêtement, c'est moi qui ai demandé, avoua-t-il. J'ai demandé à ce qu'on me parle des exploits d'un bon Purificateur pour ainsi lui proposer ma requête. Et pour ça, il fallait une demande dangereuse pour le dégoter. Et donc, vous voici, expliqua-t-il. Alors ! Racontez-moi, je vous en prie. Je suis friand de ce genre d'histoires.
— Moi aussi j'ai entendu dire des choses à votre sujet. On m'a rapporté que vous avez été bon chevalier, évita-t-il le sujet avec délicatesse.
— Oh mais je le suis toujours ! Ne m'avez-vous pas vu m'entrainer ?
— Je suis là pour observer la présence d'une créature, pas vous épier entrain de vous battre contre le vent, mentit-il.
— Eh bien vous savez, moi aussi j'ai mes exploits. Je combats des hordes de Kappas, repousse les goules et j'ai encore anéanti un loup-garou la semaine dernière justement. Ma réputation n'est pas là pour rien.
— N'était pas là pour rien, tu veux dire, corrigea Chloé dans un soupir.
— Non, elle est. Si ton mentor a entendu parler de moi c'est justement parce que ma réputation me précède et est encore d'actualité.
— Il a entendu parler de toi, parce que je lui ai parlé de toi, avoua-t-elle. Il ne connaissait même pas l'existence de Anika avant notre grand tour en calèche, alors c'est pas ton existence qui va l'intéresser. Et, ouais. Ta réputation est peut-être encore d'actualité mais pour aucune raison valable maintenant. Voilà pourquoi j'ai dit qu'elle n'était pas là pour rien avant, insista-t-elle sur ce dernier mot. Parce qu'avant il y avait une raison à-
Léo frappa soudainement son poing sur la table dans un geste lui ordonnant de se taire. L'eau des verres trembla alors que les assiettes se cognèrent contre la table. Cet acte la coupa dans sa phrase et eut l'effet escompté. Elle le regarda longuement d'une tête légèrement baissée montrant sa partielle soumission et son écoute. Puis l'adolescente pinça ses lèvres en écarquillant les yeux sur son plat.
Le prince souffla du nez pour retenir son soupir d'une gêne qu'il essayait tant bien que mal de dissimuler. Il fit un léger signe de tête comme pour se remettre les idées en place et desserra lentement son poing qu'il fit glisser jusqu'à son repas où il y découpa un morceau qu'il plaça dans sa bouche, sans un mot. Son visage était devenu froid avec un léger sourire faux. L'ambiance n'était déjà pas bien folle, mais après ce geste, la salle semblait s'être soudainement rafraichie.
Comme à son habitude, Sylas ne fit aucune remarque rendant la situation encore plus gênante. Quand il ne regardait pas son assiette, il se contentait d'observer un point fixe au loin, derrière son interlocuteur.
Et le repas se termina dans un silence insoutenable.
*
— Toi qui n'es pas intéressé par la politique, tu vas en bouffer aujourd'hui ! chuchota-t-elle de son grand sourire amusé à l'oreille de Sylas.
Celui-ci tiqua de mécontentement et suivit son employeur jusqu'à sa salle de réunion.
Celle-ci était cernée de murs sans fenêtres. La seul échappatoire ou moyen d'entendre les conversations s'y passant était soit d'avoir buté les gardes qui se tenaient devant pour écouter à la porte, soit d'être dans la pièce elle-même. Celle-ci était petite. Une grande table ronde était disposée à son centre avec une dizaine de chaises l'entourant dont la finesse des gravures était si belle que n'importe qui aurait eut peur d'abimer ces merveilles. C'était comme si à elles seules, elles racontaient une histoire. Une grande carte du pays était disposée sur toute la table ne laissant place qu'à un petit carnet pour chaque invité dans l'optique de prendre des notes. La salle était aussi décorée de peintures de guerres et d'exploits historiques du royaume comme le couronnement du premier Roi, la bataille qui avait fait rage entre les terres du milieu et les terres de l'est, le premier traité de paix, la première alliance... Un tas de grands évènements réunis dans une seule pièce. Cette salle avait surement entendu un nombre incalculable de plans de batailles et de réunions secrètes.
Devant eux se tenaient des hommes et femmes, tous aux cheveux longs, dévisageant avec stupeur le Purificateur. C'était limite si la petite rouquine dérangeait moins que le professionnel crasseux.
— Excusez-moi mais... Qui sont-ils ? demanda l'un d'eux.
— Des nouveaux soldats employés pour la garde rapprochée, répondit le Prince du tac au tac. Bien. Pour l'heure, reluquer mes invités n'est pas le sujet du jour il me semble. Je vous prierai de cesser de les dévisager comme étant des bêtes de foire et de vous concentrer sur notre réunion, messieurs, mesdames. Que ceux n'étant pas d'accord avec cet ordre sortent sur le champ, dit-il en montrant la porte du doigt.
Personne ne se permit de le contredire. Ils acquiescèrent et semblèrent alors tous oublier l'existence des deux compagnons, comme s'ils n'étaient jamais entrés dans la pièce. Chloé n'avait peut-être pas de respect pour lui, mais les autres oui. Et elle devait reconnaitre que Léo avait de l'autorité et la confiance de son peuple. Une confiance presque aveugle. Gênée de sentir un gout d'admiration dans sa bouche, elle remplaça celui-ci par du dégout et détourna la tête un moment. Son compagnon, lui, fixa un coin de la salle. La réunion débuta.
— Comment avance votre mariage avec la princesse Anika ROSWELT ? demanda un vieillard qui semblait bien en forme pour son âge.
— Les préparatifs avancent mais elles ne sont pas autant que vous l'espérez. Nous ne nous marierons pas dans le mois si c'est cela votre question.
— Mais alors quand ? Ce n'est pas comme si la question était nouvelle, maugréa l'interlocuteur.
— Quand le moment sera venu. Pour le moment, la princesse et moi nous entendions très bien alors l'alliance de nos deux royaumes ne sera pas remise en cause de sitôt. Nous préférons attendre une stabilité suffisante quant aux actions de l'Alrune. Nous jugeons plus important de trouver un terrain d'entente avec le Royaume du Sud dans l'optique d'une nouvelle alliance.
— Eh bien justement, s'immisça une jolie blonde au regard perçant. Où en êtes-vous avec tous les arrangements dont vous nous avez parlé à ce propos ?
— Disons que le prince héritier d'Isagecaea est capricieux et ne voit pas l'intérêt d'une alliance; et encore moins de simplement nous écouter sous prétexte que je suis... un homme, avoua-t-il d'un ton qui cachait son avis fâcheux sur le sujet.
— Alors envoyez lui une messagère, suggéra-t-elle.
— Justement. À ce propos, commença-t-il en déglutissant silencieusement, la princesse Anika souhaite se rendre en personne là-bas pour en discuter plus calmement, annonça-t-il.
— C'est une bonne chose.
— Avez-vous reçu les nouveaux prototypes d'armes de Vimore ? Il parait qu'elles feront un malheur, s'immisça un autre.
— Un malheureux carnage oui, soupira Léo. Non, je ne les ai pas encore reçus, mais j'en ai assez entendu parler pour savoir que ces armes ne sont pas au point. Elles sont bien trop fragiles à l'emploi, surtout auprès des maladroits. Elles peuvent exploser à tout moment dans les mains de mes soldats. Je pense avant même de les avoir essayées, les retourner avec plusieurs choses à redire, expliqua-t-il. Mais nous verrons ça le moment venu.
— Avez-vous enfin parlé à la princesse de Vrealyra ? Vous deviez déjà le faire la dernière fois à propos de la Bleuse Sifflante... demanda une autre.
— Oui, plus ou moins. Je n'ai pas encore reçu les résultats vis-à-vis de la plante. Elle travaille encore dessus. Je devrai probablement recevoir un rapport prochainement.
— Votre Altesse, vous êtes bien pâle. Seriez-vous malade ? s'inquiéta l'un des conseillers.
— Pâle ? Moi ? Absolument pas, je dois seulement être fatigué. Continuons je vous prie.
Mais plus la réunion durait et plus Léo semblait livide. Son front commençait à perler doucement. Il avait beau vouloir maintenir cette réunion et s'efforcer de paraitre le plus calme et professionnel possible qu'il dut se faire une raison et écourter l'entretien.
Sylas décrocha son regard seulement à partir du moment où tout le monde se leva pour sortir de la salle à la demande de leur prince. Une fois qu'il ne restait plus qu'eux trois, l'élégant homme les invita à nouveau à le suivre et sans un mot, il essuya le haut de son crâne d'un revers de la main.
*
Léo et sa fameuse garde rapprochée s'étaient rendus jusqu'au bureau de son Altesse. La pièce était remplie d'étagères de livres sur les royaumes, les langues et autres formalités pour devenir le meilleur des rois. Il les avait invités à s'assoir ou bien à feuilleter ce qu'ils voulaient. Monsieur avait de la paperasse à faire et il se hâta à la tâche. Pendant ce temps, Sylas continua de fixer un point fixe de la pièce à attendre que le temps passe.
Chloé, elle, vagabondait dans les rangées de livres. Tous aussi barbants les uns que les autres, elle se contenta de les feuilleter de temps à autre. Il y avait des rangées destinées à chaque royaume. Le royaume du Sud, de l'Ouest, du Milieu, du Nord... Et une étagère entière des terres et du royaume de l'Est. Tant d'histoires que Chloé ne connaissait guère. À côté étaient recensés chaque décret, chaque moment de vie de chaque Roi, chaque Reine, chaque Prince et Princesse depuis la création du royaume de Slemorean. " Qu'est-ce que ça doit être crevant d'être une princesse. Pour rien au monde je n'échangerais ma vie contre la leur. " pensa-t-elle tout bas. Sa remarque ne fut pas relevée.
Après bien deux bonnes heures d'écrits et de lectures, le prince BALMUND se mit à gémir légèrement dans ses soupirs. Sa tête était douloureuse et il avait beau masser ses tempes ou bien se tenir l'arrête du nez que la douleur ne s'estompait pas. Il avait l'impression que plus il luttait, plus il souffrait. Il laissa tomber le travail laissant rouler son beau stylo sur le papier.
— Est-ce que vous le sentez Sylas ? Dites-moi que vous le ressentez-vous aussi.
— Ressentir quoi ? demanda Chloé sortant de ses rêveries.
Sylas ne détourna pas son regard en direction de son employeur. Il se contenta simplement de répondre.
— Oui je le sens. Je le vois, même, avoua-t-il.
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