Chapitre 12 - Une invitation
Léo se tenait droit, fier, devant le petit groupe. Il avait l'impression de ne pas avoir dormi comme ça depuis des lustres. Il se sentait reposé, apaisé, serein : sans doute avait-il passé la meilleure des nuits ! En se levant, il avait aperçu un bien étrange tableau. Contre le mur se tenaient Chloé dans les bras de Bethie, et Sylas tout à côté, tous endormis. Les cernes creusaient leurs joues. Tendrement, il souriait et concluait que la menace était éliminée.
Il les laissa dormir ainsi encore un peu et alla les attendre dans son bureau.
*
— Bien dormi ? demanda le Prince, perdu dans ses papiers.
Les gardes avaient prévenu les invités de la position de Léo qui les attendait patiemment. Ils s'y étaient rendus sans tarder. Ils avaient bien évidemment tous la tête ailleurs, mais Chloé était la plus silencieuse, la plus discrète.
Quand ils avaient ouvert la porte, son Altesse les avait accueillis avec calme et sérieux.
Voyant qu'aucun ne daignaient répondre, il releva la tête et ignora sa propre question.
— Racontez moi tout, comment avez-vous fait ?
— Le plus important n'est pas le cheminement mais le résultat, répondit Sylas.
— Il est vrai, mais cela ne rassasit pas ma curiosité pour autant, rétorqua-t-il.
L'aubergiste s'avança d'un pas.
— Ma condition pour vous aider était de ne rien dévoiler quant au pourquoi du comment. Je maintiens cette condition, que ne vous en déplaise. Je resterai intransigeante sur ce point.
L'homme aux longs cheveux blonds acquiesça lourdement de la tête. Malgré sa déception, il ne pouvait refuser sa requête. Il soupira longuement.
— Je comprends. L'Ombressaress est donc définitivement partie ?
Le barbu marcha jusqu'à la table. Intrigué, le Prince le laissa faire dans l'attente d'une parole ou d'une action. Le balafré y déposa alors des morceaux du peigne cassé en guise de réponse. L'ancien détenteur de l'objet haussa un sourcil.
— Merci d'avoir détruit un bien inestimable que l'on m'avait offert. C'est pour signifier que le combat a été rude et pour expliquer la pagaille dans mes appartements, je présume ? demanda t-il d'un sourire narquois.
— Pas vraiment, débuta Sylas. Ça en fait parti, mais je vous présente surtout le réceptacle de l'espion. Comme je vous l'avais expliqué, l'Ombress-
— Le traître ! jura-t-il en premier.
Très vite, il vint poser sa tête au creux de ses mains dans une longue inspiration; il ferma les yeux. Il ne voulut y croire. Cette information ne lui plaisait guerre. Il passa sa main dans ses longs cheveux qu'il vint ramener sur le côté droit de son épaule. Les caressant, il s'adossa, fatigué, contre sa chaise.
— Cela va faire plus de 4 mois que l'on m'a donné ce peigne lors d'un bal. C'était le Lord DRADEIGNE ou... DRADING... Quelque chose comme ça. Quelle plaie. J'aimerais bien jurer de lui faire la peau, mais je ne sais même pas où le trouver, soupira t-il.
— A quoi ressemblait-il ? questionna la barmaid.
— Petit, chétif... Coupe au carré, brun... Des petits yeux ridés aussi, dans la fleur de l'âge. Des habits discrets, tout comme sa personnalité. Mais il était humble et agréable. Jamais je n'aurais pu penser que... Mais le mal est déjà fait. Mon escadron a payé pour ma faute, rajouta-t-il dans un souffle résigné.
Chloé baissa la tête, se rendant encore plus discrète et les adultes restèrent silencieux un moment; ils ne disaient rien.
Après quelque secondes, Léo coupa néanmoins le silence.
— Vous pouvez rester autant de temps qu'il vous faudra, dans la mesure du raisonnable. La nuit a dû être éprouvante et puis, nous avons de belles rues à Slemorean. Vous pourriez vous-
— Je pense qu'on va y aller, interrompit Bethie. Nous ne voudrions pas abuser de votre générosité et même si, vous voudriez de la compagnie, vous avez besoin d'être seul, de réfléchir et de faire votre deuil. Vous ne pouviez pas savoir, ajouta-t-elle.
Sylas aurait pu rétorquer qu'elle avait eu envie de se rendre au marché, mais il n'en fit rien. Il comprit que la situation devait rester plate, sans suite. Peut-être faisait-elle ça en partie pour Chloé après tout. Il n'avait pas moyen de discuter de ce sujet, Bethie était en droit de partir et lui de la suivre. Il n'avait plus aucune raison de rester.
— Aucun problème, je comprends, acquiesça t-il. Servez-vous... Il y a bien plus que promis. Ce n'est pas matériel, mais vous avez mon amitié et mon respect également. Je vous suis reconnaissant.
Sur la table étaient posées deux lourdes bourses; sans doutes étaient-elle remplies de pièces d'or. Le Purificateur s'en empara sans un mot. Il ne les sous-pesa même pas; il se contenta juste de les ranger bien au chaud sans se poser de questions.
— Je ne vais pas vous le cacher, je me doutais déjà que vous partiriez aussitôt le monstre vaincu... La voiture est déjà prête et elle vous attend. Je vous prie de m'excuser, je resterai finalement ici pour vous saluer et vous remercier une dernière fois.
Léo faisait profil bas. Il arrivait à peine à leur faire face. Lui qui était si reposé semblait s'être pris un violent coup de fatigue; il était abattu. Néanmoins, il réussit à regarder Chloé; ou du moins ses cheveux.
— Est-ce que tout va bien, Chloé ? demanda t-il, inquiet.
Sa question étonna Bethie et ne fit ni réagir le professionnel, ni la principale concernée. Elle ne bougea pas d'un cil et répondit encore moins. Elle se contenta d'attendre que son interlocuteur abandonne toute réponse : ce qu'il fit. Le Prince baissa de nouveau la tête vers ses feuilles, et n'en fit rien.
— Vous pouvez disposer. Merci Purificateur. Merci Invocatrice et merci... Bethie, finit-il aussi solennel que possible. Ne répondez rien. Je ne veux pas de politesses. Seulement du silence.
Tout trois s'exécutèrent comme ils le faisaient déjà. Ils étaient tous attristés, et se sentant concernés par les sentiments de son Altesse, ils partirent.
*
Le trajet fut encore plus long pour les héros, encore plus pesant, plus lourd. Bethie était extenuée, Sylas semblait muet et Chloé pensive.
*
Depuis la quête du soi-disant "Faucheur", le Purificateur avait travaillé seul. La rouquine n'avait plus insisté pour l'accompagner lors de ses quêtes, et l'elfe était redevenue souriante, compréhensive et bonne vivante. Pendant ce temps, le professionnel avait fait plusieurs petites annonces de passages.
En premier, il eut affaire au fantôme de l'ex mère du propriétaire d'une petite maison de la ville. Elle était décédée de causes naturelles mais ne s'était résolue à partir car son fils n'avait toujours pas trouvé le trésor familial. Il en hérita une partie.
En second, il dut retrouver une marchandise perdue entre le chemin d'Aalmbress et d'Ergone qui recouvrait un large territoire. Le cheval s'était, de ce que disait le marchand, enfui tout seul sans raison valable. Il découvrit, sans grande surprise, que le marchand avait traversé de nuit et qu'un groupe de Kolirs avait entrainé l'animal hors des sentiers. Elles avaient été attirées par des bijoux qui brillaient d'une vive lueur au clair de lune, ce pourquoi elles sont appelées " les pierres de lunes ". Curieuses, elles avaient déchiqueté l'équidé pour en observer le contenu et s'étaient emparées des biens précieux. Sylas avait alors dû dégoter une pierre du soleil, puis trouver le groupe de voleuses et échanger la pierre qui brillait le jour contre celles qui ne brillaient que la nuit.
Entre tout ça, il fut obligé de convaincre une bonne femme que si sa poêle était si foncée qu'elle noircissait les aliments, c'est qu'elle était bien trop usée et non hantée. Mais il dut aussi s'occuper de trouver un Kolir qui se trouvait être un opticien, et dont le client n'était pas content car le vendeur demandait, apparemment, plus d'or que permis. Entre les demandes de garde du corps, de chats saignés par les vampires alors qu'ils sont juste morts ou perdus, de fausses annonces de pertes de poupons pour finalement en recevoir la garde durant un batifolage... L'homme était épuisé par tant d'absurdités.
Alors qu'il venait raconter son énième folle aventure de mégère, Bethie l'accosta d'un sourire franc qui en disait long.
— Toi, tu as une bonne nouvelle à m'apporter, souria-t-il, déjà satisfait.
— Oh que oui ! s'impatienta-t-elle. Assieds-toi, assieds-toi !
Naturellement, elle lui servit un verre d'Olkiu, pour changer. Le Purificateur s'installa à un tabouret et empoigna le récipient dont il descendit le contenu à une allure lamentable.
— J'ai en effet quelque chose d'intéressant, de bien des manières, pour toi. Enfin, pour tout le monde...
Il haussa un sourcil. Comment ça tout le monde ?
— Comme tu as déjà dû l'entendre de bien des façons... Un bal se prépare au sein du Royaume d'Equiviel.
— Non, nia-t-il. Je ne veux pas de ton invitation.
- Et donc, l'ignora-t-elle respectueusement. Je veux, et je pèse mes mots, que tu m'accompagnes Chloé et moi à cet évènement.
— Non.
— Tu n'as rien à craindre, c'est un bal masqué. Quoi que, vu tes cheveux courts, on te prendra, à la limite, pour un paysan du bas peuple. Rien de bien méchant, tu auras juste à supporter quelques remarques. Tu pourras toujours rétorquer que tu es un envoyé d'Isagecaea. Bien évidemment, la coupe et le barbier te seront offerts ainsi que la belle tenue qui va avec...
— C'est un non, répéta-t-il.
— Je sais, je sais... Tu ne veux pas, c'est catégorique, et ça le sera encore pour les quelques secondes qui vont suivre. C'est écrit sur ton visage. Les grandes cérémonies, ce n'est clairement pas pour toi.
— Exactement. Donc je n'y serai pas. Les racontars insipides de la haute société et les blagues qui ne font rires que les hypocrites me répugnent. Encore plus les sourires modestes et les au revoir qui m'envoient me faire foutre.
— Mais Chloé sera là. Vous n'aurez qu'à vous moquer ensemble ! Tu sais à quel point elle a du mal à s'en remettre. Je n'ai pas besoin de te dresser un tableau de la situation, dit-elle avec des pincettes et d'une petite voix.
— Non, mais ça ne change en rien ma position.
— Sylas, tu sais qu'elle t'apprécie. Je me dis que de la musique, se cacher derrière un loup et danser sans se soucier de ses pensées pourrait l'aider à avancer. Encore plus avec quelqu'un qui comme elle, n'aime pas les grandes fêtes.
— Je croyais que vous étiez pacifiques et que la torture ne faisait pas partie de vos méthodes.
— N'exagère pas. Je parle sérieusement et puis... Ce n'est pas la seule raison.
— Ce sera toujours non.
— Quelqu'un, marqua-t-elle un temps de pause, aimerait te rencontrer. Quelqu'un d'important. De très important, insista-t-elle.
— Et bien qu'elle me convoque comme son Altesse BALMUND. Si sa requête est si importante, ça ne devrait pas poser de problème.
— Et si ça en posait un ? Elle a exigé de cette façon et pas d'une autre. Disons qu'elle est plutôt du genre joueuse et qu'elle a une quête de haute importance à te soumettre. Non négligeable.
— Je ne suis pas seul à pratiquer ce métier.
— Mais tu es le seul dont je lui ai parlé... soumit-elle.
— Commère, l'insulta-t-il.
— Faux. Je fructifie tes affaires en te donnant quelque chose d'intéressant à faire et de nouveau depuis ces derniers jours ! Tu devrais me remercier. Tu vas pouvoir te gaver d'alcool et de mets couteux sans te soucier du prix, écouter de la musique et récolter des adresses de jolies filles à tout va. Que veux tu de plus ? Un salaire ? Miséricordieux, tu en auras un !
Sylas grogna et leva les yeux au ciel. En réalité, il venait tout juste de sortir d'une maison close et était déjà plus qu'éméché. Non, il ne s'était pas ruiné. Il avait été bien conscient de sa situation; tellement que s'en était pitoyable. L'alcool était cher, mais la fille aussi.
La tête lourde, il croisa les bras sur le comptoir et y déposa sa caboche.
— Très bien... Quel genre de quête ?
— C'est tellement secret que même en tant que confidente, je n'ai le droit à rien. Alors il te faudra y aller pour savoir !
Il soupira longuement et à nouveau, comme il en a à chaque fois l'impression, il se résigna.
— Quand ? l'interrogea-t-il.
— Dans trois jours exactement. Puisque tu me viens de nuit... Tu veux une chambre, je parie ?
— Tu gagnes d'office le pari, rit-il, fatigué par les effets de son breuvage. À quoi bon parier quelque chose quand tu en connais déjà la réponse ? C'est contraire aux paris.
— Mais pas interdit, souria-t-elle. Tu es bien placé pour savoir que les paris sont souvent truqués.
— Tu ne me feras pas dire ce que je n'ai pas dis.
— Oh, ça je le sais bien. Je l'insinue c'est tout.
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