Chapitre 19 - Retour à Equiviel

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Anika réouvrit les yeux, vaseuse. Se redressant, elle observa à nouveau ce décor affligeant. Prise d'une violente mélancolie, elle ne sut pas exprimer son sentiment. Pas une larme ni même un rictus ne façonnaient son visage; la Princesse ne montrait aucune expression mis à part un vide profond.

Sa tête était lourde. Elle avait l'impression d'avoir été piétinée par un géant au côté d'une mandragore hurlante. Les effets de la plaine des vérités avaient assez disparu pour lui rendre la raison. 

L'air était devenu froid, glacial, et pourtant elle ne se resserra pas sur elle-même dans l'espoir de se réchauffer ne serait-ce qu'un peu. Elle se releva comme désabusée et s'adressa d'une voix qui l'appuya :

— Allons-nous-en. On en a fini avec ça.

— À vos ordres, Princesse, acquiesça-t-il encore assis. 

Alors qu'il prit appui sur ses jambes, il entendit le pas lourd de la demoiselle piétiner les feuilles qui se brisèrent comme du verre. Lui laissant de l'espace, il la suivit comme une ombre. Ils regagnèrent peu à peu le haut de la clairière et la quittèrent elle et son tombeau. Les deux adultes s'enfoncèrent dans la forêt et retrouvèrent leur chevaux qui broutaient l'herbe verte. Sylas chevaucha sa monture et tira sur les rênes après une bonne tape sur la tête. Quant à Anika, elle posa une main hésitante sur sa crinière, puis l'empoigna fermement et monta l'animal. Sans un mot, ils se remirent en route au milieu de ces arbres qui n'avaient pas perdu de leurs couleurs.

Après quelques heures, ils sortirent de la forêt du Millenium et retrouvèrent la végétation habituelle. Dans un premier temps, tout semblait plus fade : les couleurs, les tons, les odeurs; tout avait perdu de leurs gouts. Puis ensuite, c'était comme si le balafré n'avait rien vu, comme si rien de tout cela ne s'était passé. Il se perdit néanmoins dans ses pensées et de ces deux démones. Quelque chose lui chuchotait qu'elles causeront bien de nouveaux ravages.

— Dites-moi Sylas, avez-vous déjà entendu parler de contes, légendes ou prophéties même, à propos du mal qui nous touche ? coupa-t-elle ce long silence.

- Vous savez, on m'en a raconté des histoires durant mes voyages ! Et c'est toujours pareil. Le bien triomphe du mal.

— Je me demande bien dans quelle contrée vous avez pu séjourner pour être aussi inculte ! Par delà les mers peut-être ? réussit-elle à en sourire.

- Imaginez tout ce qui vous plaira, votre Altesse, sourit-il, moqueur.

— " Quand le blanc, Réparateur de tous les anges, naîtra, il sera d'un sang pur et royal. Alors que le chaos chez les Hommes fait rage, il sera élevé avec le poids du futur sur ses épaules; car il rassemblera avec l'aide du destin, chaque ange orphelin. Ils vaincront le mal et restaureront la paix entre les peuples. La grande Reine des Démons, Cali, sera vaincue, ses monstres mourront, et le soleil heureux des pauvres gens reviendra. " Longue vie au Réparateur et à ses anges... soupira-t-elle.

— Je n'ai jamais entendu aussi niais et stupidement cliché, y répondit-il franchement. Et donc, où voulez-vous en venir, Mademoiselle la blanche Réparatrice ?

Elle resta silencieuse un moment alors que le noiraud attendit une réponse. Il plissa comiquement des yeux avant de prendre une subite inspiration.

— Non. Non, non'non'non, s'exclama-t-il. Vous croyez que parce que vous avez pu voir mes mémoires, vous pouvez m'embarquer dans vos histoires magiques piteuses et m'y rattacher ? C'est un grand non. Jamais je vouerai ma vie à une quête perdue. Les prophéties sont pour les croyants et les cons qui ne veulent pas d'une vie injuste pour eux.

— Vos parents sont morts quand vous étiez jeune... soumit-elle. Vous serez récompensé à vie.

— J'avais presque dix-huit hivers ! Je ne peux pas être considéré comme orphelin ! Question de bon sens, Princesse, protesta-t-il.

— Dans certains pays ou même contrées, la majorité est au-delà. 

— Et dans d'autres, elle est plus jeune. Donc on fait partie de votre foutue prophétie dès que ça arrange ? Dés qu'on brandit une épée ? Qu'on maîtrise les arts magiques de base à partir du moment qu'on a perdu nos parents avant vingt ans ?

— Je pense que c'est plus simple que ça. Si l'on considère que Dieu est notre père, sous sommes tous orphelins. Il est un peu comme porté disparu...

— Je ne suis pas sur que les chrétiens apprécieraient votre point de vue, Princesse. Le père est si puissant, si omnipotent ! Il veille sur nous et nous protège du mal... se moqua-t-il, condescendant.

— J'emmerde ces chrétiens qui pensent que Dieu peut protéger tout le monde. S'il nous protégeait tous individuellement, il n'y aurait pas autant de souffrances depuis Cali, rétorqua-t-elle, sèchement. 

— Hm, souffla le Purificateur du nez. C'est nous qui nous coltinons les créatures de Satan pendant que les prêtres, bien au chaud, assoient les petits sur leurs genoux. 

— Certes... Mais j'aimerais que vous y réfléchissiez de temps à autres. Derrière un verre par exemple, seul ou avec des amis. J'offrirai un échange équivalent à votre dévouement. 

— Attendez-vous à un non.

— Vous êtes bien agressif et planté sur vos convictions, remarqua-t-elle.

— Je sais juste à quoi m'attendre. Rien ne se passe jamais sans pertes comme le voudrait le peuple. Si la prophétie parlait de fleurs jaunes et qu'à la place ils y trouvaient des fleurs bleues, ils gueuleraient plus fort que si leur maudite légende n'était pas exaucée. Au moins, une prophétie non exaucée continue à exister et à leur procurer un espoir infini.

— Je ne peux que vous donner raison avec un tel point de vue. Mais il y a toujours une chance que tout cesse. Je préfère me battre et essayer l'impossible plutôt que de rester les bras croisés. De toute façon, je n'ai pas le choix.

— Vous avez toujours le choix, rétorqua-t-il amèrement d'une dure tristesse comme s'il avait vécu sa peine.

Anika resta droite, silencieuse et fit alors taire le sujet. Ses sourcils s'étaient froncés sans qu'elle ne le remarque et ses lèvres étaient légèrement pincées. Ils venaient de sortir de la forêt et étaient entrés dans une large prairie, parsemée de petites fleurs jaunes. Elles firent pousser un grognement du professionnel, suivit d'un roulé d'yeux vers le ciel, lui faisant écho à ce qu'il avait dit plus tôt. Ils coupèrent au milieu et rejoignirent un petit sentier qui départageait l'herbe en deux. 

Lorsque le ciel arbora des couleurs orangées et que le soleil disparût à vue d'oeil, cheveux-blancs s'arrêta à côté d'un arbre et descendit de son destrier aux côtés de son employé. Ils attachèrent leur chevaux et de nouveau, ils installèrent leur campement. Cette fois, rien n'était habituellement préparé; il n'y avait pas d'ancien feu de campement ni même une large place pour dormir. Alors, ils s'installèrent confortablement dans l'herbe, Sylas le premier.

Son Altesse s'accroupit. Posant ses mains parterre, elle prit une grande inspiration et la contint. Sa peau reprit un aspect brillant aux lueurs blanches, et lorsqu'elle souffla d'une traite, sa nouvelle couleur se concentra sur ses mains. En une demie seconde, le sol se blanchit autour deux et un dôme se créa. L'arc de cercle luisait, brillait parfois d'une lueur transparente tantôt bleue, tantôt verte. Il était assez grand et assez haut pour englober également l'arbre et les chevaux.

Intrigué, l'homme se déplaça sur ses genoux et tendit le bras vers cette protection étrange. Stupéfait, sa main s'engloba de cette même couleur tel un gant fin ne rompant pas le sort.

— Je vous déconseille de sortir de la bulle. vous ne pourrez plus revenir à l'intérieur.

Silencieux, il acquiesça et s'allongea. Non loin, elle l'accompagna mais ne lui tourna pas le dos cette fois. Face au ciel, il contempla la première étoile qui apparut à son rythme et peu à peu, le soleil se coucha. Il sentait encore la brise fraîche de la nuit chatouiller son nez. Il avait presque froid avec ses lambeaux de vêtements. Peu à peu, il ferma les yeux et s'endormit paisiblement.

*

Soudainement, il se réveilla par le jappement aigue d'un loup qui vint se heurter contre le dôme. Il se jeta sur son épée posée non loin de lui et se releva. Quatre de ses confrères grognèrent, montrant leurs dents. Un à un, ils chargèrent sur le sort d'Anika et se firent rejeter par la barrière. Aucun d'eux ne passèrent l'épreuve qui était dressée entre leur faim et le gibier sereinement protégé. 

Astucieusement, ils tentèrent de le briser en fonçant chacun leur tour sur le même point, en vain. Les genoux fléchis, il resta sur ses gardes. Mais voyant qu'ils n'arrivaient à rien, ils hurlèrent de mécontentement et s'enfuirent. Décontenancé, il relâcha ses épaules et regarda la douce, endormie. Il soupira de soulagement.

*

Cela faisait déjà plusieurs heures qu'ils s'étaient remis en selle. Ils avaient dépassé les étendues de champs et ils pouvaient voir au loin le dessin de certaines bâtisses. Une fois devant, ils descendirent de leur monture et tinrent leurs rênes. Entrant dans la ville, Sylas ne sut pas si on les dévisageait parce qu'il avait une tenue plus que discutable, ou si parce que la Princesse se tenait droite à côté de lui.

— Hey ! Sylas ! les interpela un jeune homme.

L'homme en question était plus petit que Chloé. Il ne devait pas dépasser les un mètre soixante-dix. Il portait des habits sans artifice; de grosses bottes noires, un pantalon bleu marine moins large qu'un sarouel, un haut vanille et bouffant, aux longues manches refermées par de petits lacets, pour ne pas gêner ses longues mains couvertes de bandages. Il avait une grosse ceinture à la taille qui retenait un peu mieux l'excès de tissu et une sacoche qu'il portait en bandoulière. Le haut de sa tête était recouvert, tel un voile négligé, par une longue écharpe couleur brique. Elle était naturellement posée sur ses épaules et réchauffait son cou. L'une des extrémités du tissu tombait en avant alors il l'avait reliée à sa ceinture. 

L'on pouvait voir de grandes oreilles sortir de ses cheveux décorés par de jolies boucles d'oreilles en pierre de jade. Ses cheveux étaient de la même couleur que les tables faites d'acajous et étaient coiffés en bataille sur l'avant de sa tête. Ils se rejoignaient en une fine queue de cheval qui pendait dans son dos. Ses yeux noisettes étaient malicieux, avec de longs cils. Son nez, lui, était un peu aplati et plus rougi que ses joues. Quant à son sourire, beau et grand, de profondes fossettes marquaient son visage fourbe.

— Wow, Sylas ! Ca fait un bail depuis ta promotion ! s'exclama-t-il à nouveau. Je vois que la nuit a été sauvage, ronronna-t-il d'un regard curieux qui dévisageait l'état de ses vêtements ainsi que la femme qui l'accompagnait.

— On se connait ? grogna le balafré, mécontent de le voir.

— Ne fait pas l'idiot avec moi... Tu changes de continent et voilà que tu mordrais presque ton ancien camarade !

— Et si vous vous présentiez ? Peut-être que ça éveillera sa mémoire, au lieu de stagner, suggéra Anika en regardant le jeune homme de face.

— Ooooh... Très bien accompagné même, laissa-t-il échapper dans un chuchotement avant de faire sa plus gracieuse révérence. Milles excuses votre Altesse. Ezra DROGLIN, Purificateur spécialisé dans la magie élémentaire, et ancien camarade de Sylas ! Nous étions de bonne compagnie, ajouta-t-il, fier.

— Non, grogna le concerné de nouveau.

— Une connaissance de l'école ? questionna-t-elle.

— Bien plus qu'une connaissance, oui ! Nous avons travaillé ensemble. Lui et moi étions dans la même promo, expliqua-t-il en passant son bras autour de la Princesse. 

Lorsque sa main toucha l'épaule de la dame, elle fut prise d'une douce hallucination qui la transporta dans le temps. Elle y vit un jeune garçon aux cheveux noirs, un peu plus long qu'aujourd'hui, qui riait à gorge déployé alors que son visage était recouvert d'une substance violette. À ses côtés se trouvait ce Ezra, plus jeune, mais étrangement il avait le nez retroussé et il portait des vêtements riches en couleurs. Ils se tenaient aux côtés d'autre Purificateurs et Purificatrices qui riaient eux aussi de bon cœur.

— On était jeune ! Il était bien plus drôle et souriant que maintenant, d'ailleurs. On faisait des bêtises à notre échelle, et on a surtout travaillé ensemble ! Notre petit groupe me manque, simula-t-il.

Il la serra un peu plus fort contre lui rentrant totalement dans son intimité; un geste qu'elle repoussa sans hésitation et l'écarta de sa personne. L'air de rien, il sourit de toutes ses dents et prit la main de cette dernière qu'il baisa élégamment. 

— Veuillez m'excuser. Ce genre de choses se fait facilement d'où l'on vient ! 

Il la regarda droit dans les yeux et la dévisagea sans honte d'un sourire plus malicieux, charmeur. Anika le regarda, prise au dépourvue.

— Si j'avais su que les étrangères pouvaient être aussi sublimes, je serais venu plus tôt... Vous avez des yeux encore plus verts que mes bijoux et vos cheveux, sans compter ce parfum si... énuméra-t-il.

— Ici, c'est toi l'étranger, maugréa Sylas en le coupant tout en se rapprochant de son employeuse. Alors habitue toi vite au fait de ne pas toucher tout ce qui bouge, et encore moins ceux de sang royal.

Comme pour se donner un air innocent, il releva les mains en l'air et ouvrit grand les yeux. Il s'écarta de quelques pas et les rabattit sur sa sacoche qu'il tira légèrement. La Princesse le regarda froidement, ennuyée même. Elle retira sa main sans savoir quoi faire ni même ou la placer désormais.

— Tu as tout à fait raison ! Les vieilles habitudes, he, rit-il faisant apparaitre de plus profondes fossettes. Chasse le naturel et il revient au galop ! 

— Très bien trouvé quand on est en face de chevaux, ironisa la magicienne.

— Oh mais c'est un proverbe ! Je ne cherchais pas à être drôle bien que la situation soit plutôt comique.

— Comique ?

— Oui ! Retrouver Sylas ici, sur un autre continent et aux côtés d'une Princesse qui plus est... Il n'y a pas plus surprenant comme hasard ! Encore plus avec son accoutrement et sa perte de vitalité. Tu es devenu bien terne camarade. L'âge ne te réussit pas !

— À toi non plus, le fusilla-t-il du regard. Encore plus chiant et trouble fête.

— Trouble-... En voilà une bonne ! s'interrompit-il. Maintenant si vous voulez bien m'excuser, vous semblez être tout aussi pressés que moi... Nous nous reverrons sans doutes si vous restez dans le coin ! Et ne t'avise pas d'être nonchalant en rétorquant quelque chose qui laisserait sous-entendre que tu partirais à cause de moi, tu ferai peine à voir.

— Tu fais déjà, peine à voir, marqua-t-il méchamment.

Inébranlable, Ezra étouffa un rire et fit une dernière petite courbette suivie d'un dernier au revoir avant de courir en direction d'une ruelle. Le Purificateur ne soupira même pas.

— C'est bizarre mais je ne vous vois pas du tout être amis désormais ! 

— À qui le dis tu.

— Tout ton contraire de la tête au pied, jusqu'au caractère, sourit-elle.

— Je ne veux pas de commentaire sur la projection dont il t'a fait part, ordonna l'homme.

— Ici c'est moi la Princesse, alors c'est moi qui exige. Et j'exige que je n'ai pas envie de savoir le pourquoi du comment pour le moment.

Elle vint amicalement tapoter l'épaule du noiraud avant de lui sourire une dernière fois. Elle prit les rênes de l'autre cheval et marcha en direction du château.

— Nos chemins se séparent ici. Vient me voir demain pour que je puisse te donner de nouveaux vêtements. Tu en as bien besoin.

Il acquiesça silencieusement et alors qu'il s'apprêtait à retrouver Bethie à la taverne, elle se retourna une dernière fois.

— Merci Sylas.

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