Le casque de Pluton.4

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IV. La bataille d’Alalia.

Une chaleur étouffante régnait depuis le début de l'après midi sur la ville de Tharsis. Depuis le balcon du palais princier, la princesse Amara observait les derniers feux du soleil se noyer dans l'océan immobile d'un rouge vermeil.

Chaque soir, depuis des mois, elle se remémorait le départ précipité de son frère le prince Astrios pour cette expédition lointaine vers le levant. Pourtant, grâce aux nombreuses lettres envoyées par les scribes de l’expédition, elle n'était jamais restée très longtemps sans nouvelles de lui. La première lettre qu'elle avait reçue de son frère l’avait pourtant beaucoup inquiétée.

— La traversée de la mer intérieure est dangereuse en raison de la présence de navires carthaginois isolés. Leurs attaques surprises ont déjà eues raison de trois de nos vaisseaux.

Mais le message suivant était déjà d'un ton plus optimiste.

— Notre flotte a atteint aujourd'hui les côtes de la colonie phocéenne et nous y avons été accueillis chaleureusement sous les acclamations de son peuple.

La succession des messages envoyés par son frère reconstituait peu à peu la trame de son récit épique :

— Les Phocéens disposent d'un grand port bien abrité où ils ont réuni une flotte de cinquante vaisseaux de guerre.

— La préparation de la bataille demande une organisation rigoureuse. Nous avons uni nos combattants à ceux de Massalia, nos armées participent aux mêmes entraînements et nous partageons les secrets de nos techniques militaires avec les Massaliotes. Depuis des mois, nos amis phocéens d'Alalia, habitants de l’île torréenne de Corsica, subissent le siège des Etrusques. Nous prendrons prochainement la mer pour repousser ce blocus abominable et libérer nos amis.

— Le grand jour est enfin arrivé ! Par dizaines nos navires ont quitté le port phocéen de Massalia. Les habitants de la cité grecque qui n’étaient pas en âge de combattre nous ont encouragés depuis le quai d’embarquement jusqu'à l'horizon.

Le message suivant que reçut la princesse lui annonçait que la bataille était imminente :

— La flotte ennemie nous est soudainement apparue alors que nous approchions de la côte corse. Composée de vaisseaux carthaginois surarmés et de galères étrusques reconnaissables à leurs larges voiles noires, cette armée nous surpassait totalement en nombre et en puissance. Les bateaux de nos camps adverses se placèrent en formation, puis le combat commença. Les navires phocéens amis s'opposaient de front aux forteresses navales carthaginoises. Malgré leur infériorité numérique, les Phocéens parvinrent à contenir l'armée carthaginoise grâce aux techniques que leur avaient enseignées leurs ingénieurs militaires. Chaque fois qu'un navire grec était coulé, il entraînait avec lui par le fond deux navires carthaginois. Les vaisseaux de Tharsis, plus souples, adoptèrent une autre technique d'attaque en cherchant à contourner les lourds bateaux étrusques ; nous réussîmes ainsi à couler un grand nombre de leurs navires. La bataille se poursuivit ensuite au corps à corps et nous nous jetâmes sans pitié sur nos ennemis. Ces combats terribles durèrent des heures sans qu'aucun des deux camps ne semblât devoir l'emporter. Les morts se comptaient par milliers et nous n'étions plus ni les uns ni les autres, assez nombreux pour vaincre l’adversaire. Lorsque nous vîmes arriver au-delà de l'isthme nord de l’île des dizaines de vaisseaux carthaginois venant en renfort à la flotte ennemie. Etrusques et Carthaginois survivants poussaient déjà des cris victorieux, tandis que nous restions figés devant l’arrivée de cette nouvelle flotte. C'est alors que réussissant à me débarrasser du prince étrusque contre lequel je me battais par un dernier coup d'épée fort bien placé, je m'engouffrai sans plus réfléchir dans le château arrière de notre bateau. Les renforts ennemis n'étaient plus qu'à une encablure de nos vaisseaux lorsque je ressortis de la dunette, coiffé de mon casque brillant de mille feux. Je me positionnai face aux vaisseaux ennemis et manipulai la cassette que je tenais en main. C’est alors que mes hommes découvrirent pour la première fois la puissance de mon nouvel armement. J’avais toujours hésité à l’utiliser auparavant de peur d’en perdre la maîtrise mais comme la situation était maintenant désespérée je ne pouvais plus reculer. Un tourbillon commença à se créer au dessus de la flotte ennemie, puis progressivement atteignit la cime des mâts des bateaux carthaginois. La tornade redescendit encore, commençant à faire tourner les vaisseaux adverses autour de leur axe, puis il atteignit les coques qui finirent par exploser les unes après les autres. La flotte ennemie arrivée en renfort ne fut plus bientôt qu'un amoncellement de planches de bois et les rescapés affolés cherchaient maintenant à regagner l’Etrurie à la nage. Lorsque j’arrêtai mon arme magique, les survivants carthaginois et étrusques avaient compris de quelle puissance j’étais capable. Ce qu’il restait de la coalition ennemie sonna alors précipitamment la débâcle et leurs derniers bateaux s'éloignèrent rapidement vers le sud. Comblés par cette victoire implacable, nous laissâmes éclater notre joie. Notre flotte avait été décimée mais nous avions libéré Alalia de ses assiégeants et l'honneur de nos peuples était sauf. Comme tu aurais été fière de me voir combattre durant toute cette bataille, Amara. J’ai montré mon courage et j’ai survécu miraculeusement à toutes mes blessures. Nous avons ensuite rendu hommage à la mémoire des guerriers tués et fêté notre victoire durant toute la nuit.

Dans une autre lettre, Astrios poursuivait son récit :

— Aujourd'hui nos deux armées ont repris la route du port de Massalia.

Chaque nouvelle lettre apportait son lot d’informations :

— Lorsque nous sommes arrivés au port phocéen, nous avons été portés en triomphe par la population. J’ai reçu les honneurs officiels de la ville et les habitants m'ont élevé au rang de grand dignitaire.

— Ces dix derniers jours ont été consacrés à célébrer notre victoire. Nous avons été heureux de partager ces moments de joie avec les massaliotes mais le pays nous manque …

— Nous avons décidé de repartir dans quelques jours pour le Royaume d'Argent.

— Les Massaliotes ont préparé des victuailles en quantité pour nous permettre de reprendre la route.

Puis dans ses dernières lettres, Astrios décrivait son retour à Tharsis :

— Ce matin, nous avons levé les voiles pour Tharsis à la tête d'une flotte reconstituée de dix bateaux. Nous laissons derrière nous une population amie et alliée.

— Voici dix jours que nous naviguons et nous n'avons rencontré aucun navire carthaginois. Les conditions de ce voyage de retour sont bien différentes de celles de notre départ.

— Nous devrions bientôt être en vue de Tharsis.

Le dernier message qu’avait reçu la princesse remontait tout juste à deux jours. La nuit était tombée sur Tharsis et de majestueux flambeaux illuminaient la grande salle marbrée du palais princier. Assise dans un large fauteuil de bois précieux recouvert de cuir, Amara relisait chacun des messages qui lui étaient parvenus de son frère. Elle connaissait en détail les épreuves qu’il avait vécues et elle savait que son armée approchait du royaume. Un intendant entra et lui annonça l’arrivée prochaine du prince. Une vigie avait aperçu ses vaisseaux à l’horizon et son frère serait là tout au plus dans une heure.

— Vous voilà revenu mon frère ! Dit Amara lorsque le prince entra dans la salle du palais. Après votre départ, nous étions fort inquiets pour vous et pour votre armée.

Le jeune prince était un fier garçon de dix sept ans et ses longs cheveux bruns bouclés lui donnaient une apparence léonine. Il était vêtu d’une tunique bleu-océan ornée d’un lion tissé d’or qui recouvrait en partie son pagne de tissus gris.

— Ma sœur, sachez que je que je suis heureux de vous revoir. Répondit Astrios et si vous avez lu mes lettres, vous savez que nous revenons victorieux de cette bataille. Les hommes de Tharsis ont fait preuve d’une grande vaillance et nous ont permis de rendre sa liberté à notre royaume.

— Vous voulez sans doute parler de la liberté de ceux qui sont revenus ? Mais cela semble bien peu, si on les compare aux centaines d'hommes qui sont partis avec vous ? Pensez-vous que les autres hommes soient davantage libres, maintenant qu’ils sont morts au combat ?

— Je savais que vous n'approuveriez pas mon plan de libération d'Alalia.

— Vous avez raison ! À aucun moment je n'aurais pu soutenir une telle folie. Vous saviez pourtant que notre roi avait entamé des pourparlers. Pourquoi n’avez-vous pas attendu les résultats de ses négociations ? Par votre impatience, vous avez fait échouer toute tentative de conciliation.

— L'usage de la force était nécessaire pour faire respecter nos droits. Répondit le prince victorieux. Ma stratégie a fait ses preuves, puisque nous sommes sortis vainqueurs de cette confrontation.

— Vous vous souciez peu d'avoir décimé notre flotte et fait massacrer nos meilleurs combattants ! Je n'appelle pas cela une victoire ! Lança la jeune princesse, courroucée.

— Votre opinion ne m'intéresse pas ! Répondit son frère piqué au vif. Chacun sait que j'ai combattu avec bravoure et je suis ici pour en retirer la reconnaissance de notre peuple. J'exigerai maintenant que notre père, le roi, abdique immédiatement en ma faveur.

C'est alors que l'intendant entra précipitamment dans la salle du palais.

— Maître, Maîtresse ! Les guetteurs nous alertent de l'arrivée de dizaines de vaisseaux carthaginois.

Astrios se tourna vers sa sœur et vit de la peur dans ses yeux.

— Les troupes ennemies nous ont suivis depuis Alalia ! Lança t-il.

Le prince tituba jusqu’à un fauteuil proche et s’y effondra. Il ne s'attendait pas à devoir reprendre si vite les armes, après ce long voyage.

— Et maintenant, où sont vos armées pour nous défendre ? Lui demanda énergiquement sa sœur et où sont donc vos alliés Massaliotes ?

L’air hébété, Astrios ne répondait pas. Amara se dirigea alors vers la porte de la salle princière.

— Je pars pour le palais royal ! Annonça-t-elle. Seul le roi peut encore sauver la cité de la situation dramatique où vous nous avez conduits.

— Il est trop tard ! Répondit Astrios. Aucun moyen diplomatique n'arrêtera les Carthaginois après la défaite que nous leur avons infligée à Alalia.

Le prince se releva brusquement.

— Que pensez-vous faire, Astrios ? Lui demanda sa sœur.

— Je ne me déroberai pas à mon devoir. Je livrerai cette bataille pour notre liberté, dans l'honneur, même si elle devait être la dernière.

— Astrios, je vous supplie de ne pas engager notre peuple dans une lutte à mort contre l'ennemi. Le roi a peut-être encore les moyens de compenser financièrement la perte de leurs navires et nous disposons sans doute de richesses qui ne laisseront pas insensibles les Carthaginois.

— Notre peuple mérite mieux qu'une négociation commerciale ! Répondit sèchement le prince. Les Tharsiens sont fiers et veulent reprendre le contrôle de leur destinée. Nous sommes aptes à défendre notre royaume et notre puissance est beaucoup plus grande que vous ne l’affirmez, ma sœur.

— Vous pensez sans doute à utiliser de nouveau cette force diabolique que vous avez décrite dans les messages que j’ai reçus ?

— Exactement. Je dispose de cette force surpuissante qui nous permettra de résister encore une fois à cette attaque.

Astrios se leva brusquement et se dirigea vers la porte. Amara tenta de le retenir mais il la repoussa et Amara, déséquilibrée, chuta sur les dalles blanches de la salle du palais. La princesse tenta alors d’appeler son intendant pour qu’il l’aide à retenir le prince mais lorsque le serviteur arriva, Astrios avait déjà quitté la salle et était déjà loin. L'intendant aida Amara à se relever.

— Préparez immédiatement un char ! Je dois me rendre rapidement auprès du roi Arganthaunis. Ordonna-t-elle encore choquée par la brutale réaction de son frère.

Dans les rues de la cité, son attelage parvenait difficilement à se frayer un chemin entre les convois d'habitants qui fuyaient Tharsis. Lorsque la princesse parvint enfin au palais royal, elle fut conduite auprès du roi.

Arganthaunis était un vieil homme usé mais son épaisse barbe poivre et sel, ainsi que sa belle chevelure couleur ébène, lui conservaient encore beaucoup de majesté. Son nom évoquait les richesses incommensurables en argent de Tharsis mais depuis le décès de son épouse Assomptia, il ne parvenait plus à diriger seul ce prestigieux royaume.

— Nous pourrions proposer nos richesses en compensation de la perte de leurs navires, père. Proposa la princesse.

— Malheureusement, Amara, il n'est maintenant plus temps de négocier. Astrios a humilié Carthage et notre cité ne s'en remettra pas …

De son côté, le prince Astrios était maintenant très conscient que la situation était devenue dramatique. Les guerriers de Tharsis avaient rejoint leur famille après leur long voyage de retour et il ne serait pas possible de réorganiser rapidement la défense de la ville. Dans de telles circonstances, l’utilisation de la puissance magique dont il avait fait usage durant la bataille d'Alalia s’imposait à nouveau à Astrios.

Le prince quitta Tharsis par l'une des issues secrètes du palais et galopa à bride abattue en direction de la grotte des oubliés, où il avait déposé le casque avant de se rendre au palais princier pour y rencontrer sa sœur. Mais à mi-chemin, le prince se retrouva face à quatre combattants carthaginois fraîchement débarqués sur la plage d’une galère qu’ils avaient ancrée à quelques dizaines de mètres de la côte. Les guerriers ennemis dégainèrent ensemble leur glaive.

L’un d’eux se jeta sur Astrios, l'arme en avant. Le prince esquiva le coup mais vit que les autres hommes se précipitaient ensemble sur lui et il ne put éviter une nouvelle fois leur estocade mortelle.

Au même moment, son père, le roi Arganthaunis, se posta à la fenêtre de la salle royale où Amara le rejoignit. Du balcon de la salle du palais, ils découvrirent le spectacle des dizaines de navires carthaginois qui entraient dans le port de Tharsis.

Les vaisseaux ennemis commençaient à lancer des bombes incendiaires contre les bâtiments tharsiens. L'un de ces projectiles atteignit le palais royal, tuant d’un seul coup le dernier roi de Tharsis et sa fille.

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