La découverte | II-II Vortex [S-d-S_1]
II-II
C’est ici la couche la plus moelleuse et la moins étroite du logis, je l’adore. La chambre du couple. Bien qu’ancienne, robuste et endurante elle a su conserver son confort. Là, je vais pouvoir roupiller comme un nouveau-né.
Je passe de la lumière du plafonnier à celle de l’abat-jour et m’allonge. Je remonte la couverture écossaise roulée aux pieds sur moi, jette un mouchoir bleu sur la lampe de chevet que je n’éteins pas, pose mes mains croisées sur le torse et laisse lentement s’affaisser mes paupières lasses ; le regard doucement glissé dans le très simple et joli tableau rupestre accroché à la cloison d’en face – un paysage classique, du genre qui orne les salles d’attente.
L’aurore enveloppe de sa lueur blafarde la campagne profonde, où repose une cabane de pierre, de chaume et de bois, la porte et les volets clos, à l’orée d’un champ déjà été moissonné. De lointaines collines indistinctes se dessinent sur l’horizon. Devant : une charrette chargée de fagots, posée sur ses bras ; un cheval fatigué qui se repose sur le ventre, la tête entre les pattes ; un arbre modeste, se laissant caresser les feuillages par une douce brise…
...que je devine et crois sentir en m’endormant.
...
Combien de temps ai-je dormi !?
Je m'éveille dans un sursaut qui me fait bondir !
Je cherche l’heure à mon poignet… pas de montre ! Zut. Je me sens bizarre, étrangement léger, comme inconsistant. Soudain, une intuition ! je me retourne ! et me vois dans le lit ! Ca alors !
La surprise m’a ramené. J’ouvre les yeux sur le plafond. Encore vibrant de la légèreté qui flotte au dessus de moi. Je me regarde le poignet... la montre est là ! J’en souris, stupéfait. Quel rêve ! Seulement cinq minutes d’écoulées. Ouf. Je reviens alors au tableau et me laisse fondre à nouveau dans son décor familier, me demandant où a bien pû aller le propriétaire de cette masure au cheval abandonné…
Me revoici debout.
Je me retourne, mon corps est bien là, fidèle au poste, respirant lentement sous la couverture écossaise.
J’aime cette sensation de liberté qui m’habite depuis que j’ai quitté mon enveloppe. Je ne saurais dire si elle est illusoire, ou naturelle. Je la déguste...
Puis, me retournant cette fois vers le tableau, pour voir si j’y trouverais par hasard le bonhomme qui a laissé son animal de labours, seconde stupeur :
il n’est plus du tout question de paysage rustique, mais d’un océan stellaire, rempli d’étoiles !
Incroyable !
« Fantastique le réalisme de cette image, on croirait une fenêtre ouverte sur le cosmos », me dis-je en le décrochant délicatement du mur, pour l’emporter sur le matelas où je m’assied, et le pose sur mes genoux. Là, l’observant attentivement, je me sens peu à peu subjugué, appellé dirais-je, tel quelque chose de magnétique dans ses confins, me tractant sensiblement de l'avant…
Bientôt même les étoiles se mettent à clignoter ! véritablement !
J’aime de plus en plus ce que je vis dans cet étrange sommeil. Je décide alors de me laisser emporter par l'attraction irrésistible, mais aussitôt saisi d’une crainte, je résiste. Cette impression d’être littéralement aspiré m’a fait peur. La nouveauté en somme. Rien de pire.
« Allez, il n’y a rien à redouter, allons-y pour de bon ! »
Me voilà aspiré, à une vitesse vertigineuse, dans l’axe d’un tunnel tournoyant à vive allure, où se mêlent, dans son siphon continuel, une symphonie de couleurs chatoyantes aux éclats merveilleux !
Quelle beauté !
Un enchatement. Un ravissement.
Je devrais me trouver terrorrisé peut-être, or, je me sens en parfaite confiance. Quelque-chose d'indicible et impalpable me berce maternellement dans le plongeon stellaire. Et je dis stellaire, uniquement parce que se devinent les astres et les constellations à travers les parois diaphanes et multicolores de ce qui m’emporte...
Combien de secondes ou de minutes se sont écoulées ? Je ne saurais le dire, ni jamais l’estimer. Il me semble que le temps n’existe plus où je suis et à peine celui d’apprécier le voyage que me voilà à destination, semble-t-il – il a disparu instantanément, me laissant seul, en suspension dans le vide sidéral, au dessus d’un monde que j’ai tout d’abord pris pour celui que je connais déjà.
Combien d’astronautes donneraient une fortune pour vivre cet instant à ma place :
passager privilégié du cosmos, sans combinaison, ni air à respirer !
Nul danger et mieux encore : dans un état de sérénité savoureux.
C'est la curiosité maintenant qui me happe et m’entraîne, sans empressement, vers ce monde que, finalement, je devine trop massif pour être le nôtre. Affaire de sensation. Quoique la face qu’il présente soit plongée dans une nuit d’encre, m’empêchant de distinguer le moindre continent... je suis bientôt immergé dans ses hautes atmosphères : partout des nuages fins, grâcieux et déchirés ou en écharpes, qui flottent en ondulant parmi de plus lourds et laiteux moins mouvants…
La traversée de mon approche, tel un astronef alunissant en mode automatique, ne m’aura pas laissé le loisir de bader plus longuement la danse du ciel. Me voilà déjà au plafond d’une cité incroyablement futuriste dans son architecture. Formes géométriques variables, façades élancées ou discrètes, tantôt basses, tantôt hautes, par ci aux angles vifs, par là voûtées, toutes de verre ou d'un autre matériau... l'ensemble dans une harmonie dont nous n’avons encore jamais été capables.
Plus de doute possible, je suis bien ailleurs.
Je reste là, en apesanteur, dans ce décor urbain qui me berce, pour le savourer... rien ne presse. La ville sommeille dans sa nuit électrique apaisante. Nulles clartés aveuglantes. Ni surcharges ni éblouïssements. Il semble qu'elle dort…
Et en contrebas, à ma quasi verticale, un lac, relativement immense, dans la ouate tamisée de réverbères géants – hautes tiges au métal frêle, se courbant vers le sommet à la manière d’une tête de cygne. Et tels, que l’on voit suffisamment aux berges sans que la surface de ténèbre opaque des eaux ne soit dérangée.
Puis là, au coeur des limbes inertes, un dauphin au long museau qui me regarde !
Je me réveille, le coeur tambourinant, chez mon oncle et ma tante.
*
Depuis cette nuit, une seule idée obsédante, un seul voeu impérieux, maintes fois assouvi :
Y revenir, encore et encore, le visiter !
Mémoires oniriques
Hiver 2001 – Printemps 2023
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