Rojas

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L’après-midi, le soleil entame déjà sa descente dans le ciel nuageux et c’est une bonne journée pour un mois de février, comme ne cesse de le répéter Laura Brossard, qui se rapproche de plus en plus de moi parce que malgré tout, on est quand même toujours en hiver et il fait frais. Son visage est à moitié enfoui sous une épaisse écharpe. Elle est jolie et elle est branchée sur moi, selon Da Costa, alors je me dis pourquoi pas. D’un geste discret, elle me montre la chaufferette dans la poche de son manteau à fourrure et comme je fais mine d’être intéressé, elle attrape ma main et la met dans sa poche, pour que je puisse toucher la chaufferette, même si je sais que ce n’est qu’un prétexte pour créer un rapprochement physique.

De mon autre main, je tiens mon propre sac de sport. Je l’ai récupéré chez moi pendant la pause de midi et en ai profité pour déposer dans ma chambre celui de Serena, celui avec toute la drogue à l’intérieur. De toute manière, elle n’a visiblement pas prévu de la récupérer aujourd’hui, ce qui me met les nerfs.

Quelqu’un m’attrape vigoureusement à l’épaule, sans prévenir. Je sursaute. Je lâche la main de Laura et me retourne, effrayé, pour croiser le regard d’une espèce de boule de graisse (enfin, je pense qu’il s’agit de graisse et non pas de muscle) au visage inexpressif. Que me veut ce type ? Je remarque alors un deuxième inconnu juste à côté de lui : un Arabe, petit, cheveux frisottants et regard sympathique.

— Rojas Lagrange, c’est bien toi ? interroge l’Arabe sans me lâcher du regard.

J’ai un instant d’hésitation, où je me demande si être celui qu’ils recherchent est une bonne chose.

— Une meuf t’a pointé du doigt quand on lui a dit qu’on cherchait Rojas Lagrange, explique-t-il.

Je hoche la tête et resserre machinalement la prise de ma main sur mon téléphone dans ma poche, comme s’il pouvait me sauver.

— On se connaît ? je lâche finalement.

— On n’est pas du lycée, avoue l’Arabe. (puis, plus doucement :) On est des amis de Serena, elle est malade et elle nous a dit de te trouver, parce que c’est toi qui a le sac. Tu sais…

Oui, je sais très bien de quoi tu parles… Je m’écarte de mes amis tout en faisant un clin d’œil à Laura afin de lui signifier que tout va bien. Puis je chuchote à l’Arabe et son gros copain :

— Vous voulez récupérer le sac ?

Il tend un pouce levé vers moi.

— Ce serait vraiment cool.

— Mais qu’est ce qui me dit que vous êtes vraiment des amis de Serena ?

Son sourire vole instantanément en éclats, remplacé par un masque glacial.

— Tu ne me crois pas ?

— Donne-moi au moins ton nom, elle m’a peut-être parlé de toi…

Il y a dans l’air de ce gars un je-ne-sais-quoi de menaçant, comme si à tout instant, un couteau pouvait apparaître entre ses doigts et plonger dans mon ventre.

— Strige, répond-il du tac au tac. Et lui, c’est Hurle.

Hurle se frappe le torse en répétant « Hurle ».

— Il s’appelle vraiment comme ça ? demandé-je, histoire de détendre un peu l’atmosphère et détourner leur attention du sujet de notre discussion.

— Écoute mon gars, on a vraiment pas le temps…

— Oui, je comprends. Mais elle ne m’a jamais parlé de vous et vous comprenez que…

Strige fait un signe de main pour me faire taire et me tend son téléphone, sur lequel je peux lire la récente discussion qu’il a eu avec Serena. Elle lui demande effectivement de récupérer le sac auprès de moi.

— Mais pourquoi elle ne m’a pas envoyé de messages pour me prévenir ?

Quelque chose ne va pas dans cette histoire. Strige rapproche son visage du mien. Son haleine empeste la cigarette.

— J’en sais rien.

J’attrape mon téléphone et commence à écrire à Serena pour réclamer des explications, mais Strige m’interrompt aussitôt.

— On n’a pas le temps pour ça… Alors, tu nous files le sac ?

— J’aimerais bien, seulement…

— Quoi ? me coupe-t-il en se retournant comme s’il venait de voir un fantôme. Seulement quoi ?

— Le sac est chez moi, expliqué-je. Comme Serena n’est pas venue, je ne l’ai pas gardé, pour éviter les vols.

Strige grimace et Hurle pousse une sorte de ronronnement félin. Puis Strige aperçoit mon sac et tend un doigt dans sa direction.

— Et ça, c’est quoi ?

— Un sac de sport.

— Tu viens de dire que tu l’as déposé chez toi.

— C’est mon propre sac, pas celui de Serena. Celui de Serena est chez moi.

Sa lèvre supérieure semble se retrousser sous la colère.

— Essaie pas de nous embrouiller !

— Je ne vous emb…

— Fouille son sac, ordonne Strige à son compère.

Aussitôt, Hurle m’arrache l’objet des mains et inspecte l’intérieur avec le plus grand soin. Après quelques secondes, il lâche le sac et balance dédaigneusement mes affaires de sport par terre.

— Y’a rien.

Strige me lance un doigt menaçant.

— Demain, 14h au parc public, devant la fontaine. Si tu ne ramènes pas ton cul, on te retrouvera, Rojas Lagrange…

Ils disparaissent dans la foule. Je m’agenouille et remets mon jogging et ma veste de sport à l’intérieur du sac, en essayant de réprimer le tremblement incontrôlable de mes mains. Serena aurait dû me prévenir, un simple message, au lieu de quoi elle me laisse en plan me débrouiller avec ces espèces de… que sont-ils exactement ? On aurait dit des truands dans un film d’action. Strige semblait carrément avoir un garde du corps ! Son copain, Hurle, aurait bien pu me casser les dents si l’autre le lui en avait donné l’ordre…

Juste un peu de beuh pour une pote…

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