Murphy

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(suite)

Plus tard, nous descendons dans la piscine couverte et chauffée de la villa et effectuons quelques longueurs dans une ambiance chaude et humide. Christian a amené une enceinte qui diffuse à plein volume Beach Boys et d’autres morceaux des années 70. Nous nous éclaboussons et jouons à toucher le fond de la piscine de notre main, puis nous nous battons en duels d’apnée, ce qui m’ennuie en temps normal, mais pas aujourd’hui. Christian parvient plusieurs fois à retenir sa respiration plus de deux minutes. Une fois, je l’attrape même par les cheveux pour le forcer à sortir de l’eau, de peur qu’il suffoque.

Nous sommes allongés sur les transats, la pluie martèle le plafond vitré qui protège la piscine et nous parlons de tout et de rien (d’une certaine soirée du Nouvel An qui aurait fini en orgie, bien que ce ne soient que des rumeurs, des vacances de nos rêves, de séries et de films…) quand la grande porte coulisse en produisant un couinement qui me fait sursauter. Je me retourne et là, sur l’embrasure, se tient un inconnu en maillot (slip rouge moulant) de bain, serviette sur l’épaule et une sorte de sourire ravageur aux lèvres. Sa ressemblance avec Christian est évidente : même visage carré, même mâchoire large, mêmes lèvres larges et pulpeuses. L’inconnu est cependant blond (Christian est brun) et encore plus musclé que lui. Et il y a dans son regard un air conquérant quand celui de Christian est plus sombre, cynique. Je me tourne vers mon copain en haussant un sourcil, et l’inconnu écarte les bras en riant aux éclats, d’un rire… cristallin.

— Oh, excuse-moi, dit-il à Christian, je ne savais pas que t’étais avec ta princesse.

— Murphy, voici mon frère, Rutger, annonce Christian d’un air profondément navré.

— C’est moi, répond l’intéressé.

Il pose sa serviette sur mon transat, me donne une petite claque à la jambe, monte sur le plongeoir et après avoir effectué une série d’étirements destinés à montrer l’étendue du jeu de sa musculature, saute dans l’eau. Son corps perfore la surface sans la moindre éclaboussure, et il nage en apnée sur toute la longueur, puis sur le retour, sans reprendre son souffle une seule fois.

— Je ne savais pas que tu avais un frère, fais-je remarquer, presque vexée, à Christian.

Il hausse les épaules.

— Je n’en ai pas vu l’utilité.

— Tu ne sembles pas l’apprécier…

— C’est le fils de mes parents. Comment pourrais-je l’aimer ?

Je m’apprête à l’interroger sur cette dernière fausse-logique mais Rutger émerge de l’eau et grimpe sur la petite échelle pour sortir de la piscine. Il me lance un sourire plein de confiance et attrape sa serviette sur mon transat avant de se la passer autour du cou en adoptant une pose de mannequin. Son regard ne me lâche pas.

— Donc tu es… Murphy ?

J’opine en détournant les yeux.

— Étant donné les goûts de mon frère en matière de filles, je t’avoue que j’appréhendais un peu ce… premier contact. Mais finalement, je suis agréablement surpris. Tu es ravissante.

— Ferme-la, gronde la voix de Christian au loin.

— Merci, dis-je en essayant de ne pas rougir.

Rutger s’accroupit au sol et se penche vers moi, chuchotant :

— Tu l’as sans doute constaté, mon frère est un peu… particulier. Le pauvre a grandi dans mon ombre, ce que tu dois aisément comprendre. Il est jaloux, c’est horrible… Alors parfois, il peut mal se comporter. Si jamais cela arrive, n’hésite surtout pas à venir me voir. Je saurai apaiser tes craintes, te donner du réconfort…

— Merci, je pense que tout ira bien, confié-je en souriant bêtement.

— Je vais lui péter la gueule, déclare Christian, à bout de nerfs. Murphy, il t’a dit quoi ce bouffon ?

Rutger l’ignore et me souffle à l’oreille :

— Tu es tombée amoureuse de lui. Mais après tout, nous sommes presque identiques…

Puis il se redresse, l’air de rien et lance à Christian :

— N’aie pas peur, je ne vais pas te la chiper. Je lui disais qu’elle a une chance incroyable d’avoir croisé la route d’un Descartes, même si ce n’est qu’un Christian.

Il ne laisse pas le temps à son frère de répondre et disparaît derrière la porte, après m’avoir lancé un clin d’œil faussement complice.

— Connard, murmure Christian entre ses dents.

— Oh, je suis sûre qu’il plaisantait…

Je hausse les épaules comme si cela m’importait peu. Christian fait la moue, mauvais.

— Non. Il ne plaisantait pas.

— Il te taquine. C’est ton frère, après tout…

— Il se fout de ma gueule. C’est un clown égocentrique et narcissique.

— Je ne l’ai pas trouvé si… égocentrique que ça. Enfin, peut-être un peu mais… disons qu’il a conscience de ses qualités, non ?

Peut-être ne pensé-je pas réellement ce que je dis, mais j’aime voir Christian s’énerver.

— Ses qualités ? répète-t-il, offusqué. Il est beau et c’est tout. Une coquille vide. Comme si quelqu’un avait lentement aspiré à la paille toute sa matière grise.

— Tu es méchant… Il s’agit de ton frère !

— T’as raison, ironise-t-il. Je devrais le complimenter et lui rappeler à quel point il est somptueux, génial et divinement intelligent à longueur de journée. Avec un peu de chance, sa tête gonflerait tellement qu’elle finirait par éclater…

La porte coulisse à nouveau et Rutger s’avance d’un air innocent dans notre direction.

— Je crois que j’ai oublié ma serviette. Au fait, j’ai ramené de la Sangria, vous en voulez ?

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