Rojas
EN ENFER, AU-DELÀ DE TA FENÊTRE.
J’ai vu la mort et ça ne m’a rien fait. Aucun sentiment d’horreur, ou même de désespoir. Juste la fatalité qui souffle : « Ce sont des choses qui arrivent. »
Je me traînais vers la salle des fêtes dans la nuit de vendredi à samedi. Il y avait une petite soirée dans un local qui jouxtait le grand bâtiment. J’étais persuadé que Murphy s’y trouvait, puisque j’avais croisé dans l’après-midi ce type, Rémi Rodrigo, qui parlait de la rejoindre là-bas. Je me suis dit que comme je reprenais ma vie en main (cette reprise en main consistait alors à trouver un abris dans la rue ou sous un pont et y passer la nuit dans mon sac de couchage sous un plaid usé. Mes parents devaient penser que j’étais chez des copains et que je les boudais pour une raison quelconque mais bientôt, ils s’inquiéteraient et alors, les flics me retrouveraient et me forceraient à rentrer. Sauf si j’étais plus rapide, plus malin qu’eux…), c’était le moyen idéal de tout avouer à Murphy : les magouilles de sa meilleure amie, les problèmes que j’avais à cause de ces magouilles et, accessoirement, lui rappeler à quel point j’étais fou d’elle.
Je suis arrivé assez tard, minuit passé, et il y avait beaucoup de basses dans le local. J’ai essayé de forcer la porte mais elle était fermée de l’intérieur, alors je me suis planqué derrière un scooter et j’ai attendu que quelqu’un l’ouvre. Un mec allait forcément avoir envie de pisser et là, j’aurais juste à dire que je m’étais retrouvé bloqué dehors pendant que je jugulais ma vessie.
Les problèmes ont commencé un quart d’heure plus tard. Les clés de la serrure ont tourné (le métal rouillé s’entendait de loin) et un type est sorti, une silhouette vaguement familière mais méconnaissable dans le noir. Il portait un bagage sur l’épaule, visiblement lourd. Il a jeté des regards à droite et à gauche, pour s’assurer qu’il était seul et par chance, il ne m’a pas surpris. Il s’est approché de la benne à ordures et a déposé le bagage contre des sacs poubelle, puis il est reparti, l’air de rien.
De nouveau seul, je me suis décalé sur le côté afin que l’angle de la lumière d’un réverbère me permette d’observer le bagage. Il s’agissait d’un sac de couchage, aucun doute là-dessus. Plein. J’ai pensé que quelqu’un dormait dedans et que ce type avait voulu lui faire une blague en le déposant ici.
J’allais m’approcher du sac quand la porte du local a claqué, crachant deux types facilement identifiables : un Arabe plutôt fin à la démarche souple et arrogante et son acolyte, énorme et au visage démesuré. Ils ont échangé quelques paroles et j’ai frissonné. C’était Strige et Hurle. Je me suis tassé derrière le scooter tout en gardant un œil sur eux. Strige observait les alentours comme s’il cherchait quelque chose et soudain, Hurle a pointé le sac du doigt en s’écriant : « Elle est là ! ». Strige s’est précipité sur le sac et a dégagé la tête d’une fille. Hurle a sorti un sac plastique de son manteau et l’a tendu à Strige. Strige a de nouveau inspecté les environs mais il n’a vu personne alors il a passé le sac sur la tête de la fille et, choqué, je l’ai vu l’étouffer avec. La fille n’a même pas semblé se débattre, elle devait déjà être à moitié morte. Strige a maintenu le sac une bonne minute, pendant que son collège assurait la garde. Tout ce temps, il a énuméré à voix haute :
— On ne trahit pas Strige. On ne vole pas Strige. On ne ment pas à Strige. Et surtout, on n’essaie pas de le balancer aux flics. Pauvre idiote.
Il a enlevé le sac et a écrit quelque chose sur un mur avec un stylo, ou un marqueur. Il a fait signe à Hurle de le suivre et la nuit les a avalés.
J’étais transi de peur. Je n’ai pas osé vérifier l’état du corps, ni m’assurer qu’il était bien mort. J’avais l’étrange certitude que je connaissais la personne dans le sac de couchage. Que ça pouvait bien être une amie. Mais je n’ai rien fait. Cette histoire ne me concernait pas et j’avais mes propres problèmes à régler. Ces types étaient suicidaires et la police les retrouverait vite. Mais moi, mon simple état de témoin me mettait en danger. J’ai commencé à avoir de grosses sueurs alors j’ai rassemblé mes affaires et j’ai filé.
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