Chapitre 4
Erwan leva un regard blasé vers la pendule. 6h20. Cette journée lui paraissait déjà interminable. Qu'allait-il faire ? Un long soupir lui échappa. Rien. Comme tous les autres jours. Il observa sa maison autrefois si propre. Des bouteilles de bière et de vin vides trainaient partout. Des assiettes sales sur la table. Les pâtes commençaient à moisir. Il renifla. Fallait peut-être qu'il fasse quelque chose quand même.
Il prit une grande inspiration avant de se lever. Son corps lui paraissait toujours engourdi depuis que... Il ferma les yeux. Le souvenir encore vif. Les druides qui le maintenaient. La magie qui s'échappait de lui par tous les pores de sa peau. Un sanglot lui échappa. Quand il rouvrit les yeux, plus aucune envie d'agir ne l'habitait. Il resta affalé dans son canapé.
Il était pourtant capable de poser un regard critique sur lui. Il devenait chaque jour un peu plus une copie de son paternel. Son ventre s'arrondissait en manque d'exercice et en excès de boisson. Mais l'alcool lui tenait chaud et lui permettait d'oublier. Contrairement à son père, il avait des choses à oublier... Et puis, il arrêterait dès que ça irait mieux. C'était temporaire. Une simple dépression. Normal après ce qu'il venait de vivre.
Personne n'était venu prendre de ses nouvelles depuis qu'il avait été banni de l'Ordre. Il aurait pensé que tant d'années parmi eux lui auraient permis de nouer des liens. Quelle bande d'hypocrites !
Seul Tristan avait été un véritable ami, mais il était mort. Qu'est-ce qui l'avait pris aussi de défendre cette arrogante au point de mourir ? C'est comme ça qu'on concluait des années d'amitié ?
La colère lui apporta un regain d'énergie. Erwan se leva jusqu'à la cuisine. Il s'empara d'un verre et d'une bouteille entamée. De nouveau sur le canapé, il but avec avidité. Le vin n'avait pas d'autre saveur que celle de l'oubli. Il ferma les paupières.
Il s'assoupit ainsi et se réveilla au son de coups frappés sur la porte. Il se frotta les yeux, jeta un regard aux alentours. Qui pouvait bien venir ? Cela faisait des mois que personne n'était venu lui rendre visite. Peut-être un druide se rappelait enfin de son existence ? Ou mieux, ils s'étaient rendus compte de la stupidité de Hugues et désiraient son aide pour faire ressurgir Ys.
Il tenta de défroisser son tee-shirt. Les coups se firent plus insistants.
— J'arrive !
Il passa un coup d'eau sur son visage pour tenter de se donner bonne mine. Le miroir lui renvoya l'image de ses yeux injectés de sang. Difficile de faire illusion.
Il ouvrit la porte et grimaça. Pas le druide qu'il avait envie de recevoir.
— Bonjour fiston ! Ca a pas l'air d'être la grande forme... je peux entrer ? dit-il en le poussant pour forcer le passage.
— Salut.
— C'est comme ça que t'accueilles ton vieux père ? Tu devrais te réjouir. Je pense pas que t'aies grande visite en ce moment, non ? Tes amis druides t'ont tous lâché...
— Si t'es venu pour fanfaronner, c'est bon, tu m'as vu au plus bas... Tu peux y aller...
— Je suis pas venu te descendre, mais plutôt te soutenir. Je... Il tritura sa peau mal rasée. Je sais bien que j'ai pas été un très bon père. Mais t'es mon fils quand même...
— Ton fils ?! Je pensais que j'étais ton punchingball...
L'homme en face de lui plia et déplia ses doigts.
— Tu sais, j'ai honte de ce que j'étais. Mais je reconnais maintenant que j'étais alcoolique et... ça n'excuse rien... Mais je me rendais pas compte de ce que je faisais...
La bouche d'Erwan s'arrondit de surprise. Toute son adolescence, il avait tenté de convaincre son père de se soigner. Et maintenant que lui était au fond du trou, son père se relevait ! Quelle ironie !
— T'es sérieux là ?
L'homme au ventre bedonnant hocha la tête.
— Très. Je me suis inscrit aux alcooliques anonymes. J'ai un parrain qui m'aide. Je suis sobre depuis 5 mois.
Erwan eut une soudaine envie de s'arracher les cheveux. Apparemment quand tout va mal, on peut trouver encore pire. Un sourire désabusé se dessina sur ses lèvres.
— Tu plaisantes ?
Son père secoua la tête.
— Et t'es venu demander mon absolution ? Tu penses que j'en ai quelque chose à faire de ta tronche ? J'ai tout fait pour devenir quelqu'un parce que en étant ton fils je n'étais rien d'autre qu'une pauvre merde. Les gens me regardaient avec pitié. "Oh regarde c'est Erwan, le fils de Patrick, tu sais le pochtron. T'as vu, il a encore un œil au beurre noir, je suis sûr que son père lui tape dessus." Oh oui, tu peux baisser les yeux et regarder tes pieds ! Tu peux avoir honte !
— Ce que j'ai fait est impardonnable... Je pense pas que tu pourras arrêter de m'en vouloir un jour. Mais je voulais m'assurer que tu allais bien. Avec le retour d'Ys, je suis sûr que personne est venu te voir. Je me trompe ?
Erwan posa une main sur le mur pour le soutenir. Un malaise le saisit. L'alcool ingurgité lui sembla soudain de trop. Il retint un haut-le-coeur et s'enfuit vers les WC.
Quand il sortit, son père l'attendait dans le salon et étudiait la pièce avec un visage fermé.
— Tu ne devrais pas noyer ton chagrin dans l'alcool... C'est encore pire.
— Je t'ai pas demandé ton avis. Le retour d'Ys ?
Peut-être avait-il mal entendu.
Un hochement de tête lui répondit.
— Comment ?
— La fiancée de Tristan, Mae...
— Maëlyne
— Oui, c'est ça. Bah, avec deux autres morganes, elles sont allées sur l'île. Parait que les korrigans lui avaient filé les clefs...
— Mais pourquoi ? Je veux dire, elle n'a jamais voulu le faire quand je lui ai demandé. Au point de s'allier avec cette psychopathe de Dahut pour me faire tomber.
— Peut-être... Peut-être qu'elle t'en veut d'avoir tué son fiancé ?
Erwan passa une main dans ses mèches décoiffées. C'est vrai qu'il ne devait pas faire partie de ses personnes favorites.
— Sûrement. Et Dahut a laissé faire ? Elle n'avait pas l'air d'avoir envie qu'Ys revienne.
— ça, tu peux le dire. J'ai entendu qu'elle s’est attaquée plusieurs fois aux morganes et aux druides.
— Aux morganes ?
— Les deux qui se sont enfuies pour aider Maëlyne. Celles qui nous ont aidé à partir du palais.
— Je vois.
Erwan passa les mains sur son visage.
— Tu te rends compte ? J'ai tout fait pour le retour de Ys et je ne vais même pas pouvoir aller la voir de mes propres yeux !
— Bah, tu sais c'est pas très intéressant. Pour l'instant c'est qu'un bout de terre entourée de murailles. Y a pas de maisons. Y parait que les korrigans sont en train de bâtir des maisons. Mais vu les lutins que c'est, ils vont sûrement nous construire des huttes en paille...
Erwan s'affala sur une chaise.
— Et personne n'est venu me dire ce qui se passait... Personne... Après tout ce que j'ai fait pour eux... Sans moi ils n'auraient jamais su que Maëlyne était l'élue !
Son père s'assit en face de lui.
— Moi, je suis venu.
Erwan lui jeta un regard noir pour lui faire comprendre ce qu'il pensait de sa visite. Cependant, il souhaitait plus d'informations.
— Où est l'île ?
L'homme aux cheveux grisonnants mordilla ses lèvres. Quand il comprit qu'Erwan ne lâcherait pas, il murmura :
— Au large de la baie de Douarnenez. Mais...
— Mais quoi ?
— Sans magie tu pourras pas la voir. Y parait que ça fait partie de la magie des korrigans.
Erwan serra les poings. Autrefois, il aurait senti ses pouvoirs prêts à réagir quand une telle colère l'habitait. Le néant avait pris la place.
— Il doit exister un moyen de récupérer ma magie, non ?
Les yeux du vieux s'affolèrent dans ses orbites.
— Absolument pas. T'es malade ou quoi ?
— Vu ta réaction, je suis persuadée qu'il y en a un... Dis m'en plus. Tu me dois bien ça !
— C'est une légende... Il parait que certaines créatures magiques peuvent donner la magie aux hommes. Les Faes, je dirais. Enfin, tu serais bien malin si tu trouvais un Fae dans le coin. ça fait un bail qu'ils sont tous partis pour Autremonde...
Les épaules d'Erwan s'abaissèrent. Il cherchait des solutions concrètes et son père ne répondait qu'avec des histoires à dormir debout.
— T'as d'autres choses à m'annoncer ?
L'homme secoua la tête.
— Alors, pars... Je n'ai pas envie de toi, ici !
— T'es sûr ?
— Parfaitement.
L'homme partit la tête baisse. Une fois la porte verrouillée, Erwan se laissa glisser le long du mur. Et lui qui pensait avoir touché le fond ! Savoir qu'il avait été à deux doigts de sauver Ys empreignait sa bouche d'un gout amer.
Maëlyne, cette garce ! Elle s'était bien joué de lui avec ses airs d'ingénue. " Non, je sais pas comment faire ressurgir Ys". Et dire qu'après, elle l'avait fait. Elle avait attendu qu'il ne soit plus là pour s'attribuer toute la gloire ! Mais sans lui, jamais elle n'aurait su qu'elle avait de la magie. Tristan le lui aurait caché jusqu'à sa mort. Il se mit à quatre pattes avant de se relever. D'un pas décidé, il ramassa les cadavres de bouteilles et les entassa dans un sac poubelle avec les restes décrépis de nourriture. Son père avait raison sur un point, l'alcool ne réglerait aucun problème.
Ils avaient voulu le laisser moisir. Il ne leur ferait pas ce plaisir. Il trouverait un moyen de se venger. Il avait toute la vie après tout. Les mains enduites de savon, un sourire froid se dessina sur ses lèvres quand il s'imagina triomphant sur son île.
Annotations
Versions