Je les emmerde parce que je me souviens… De lui, en particulier. De l'aboutissement d'un jeu de séduction savamment mené. Cette nuit ardente, un lendemain de Toussaint. Sa peau douce. Ses baisers fougueux. Sa virtuosité ; caresses caniculaires. Ces spasmes sauvages. Ces frissons vertigineux. Ses coups de reins. Rythme effréné. Mes muscles brûlaient. Vision trouble. Désir dévorant. Grincements du lit, gémissements. Déferlements de plaisir. Ralentissements intenses jusqu'à effluence. Il s'est reculé, rapidement rhabillé, joues rosies, sourire en coin. Regard espiègle, cheveux désordonnés. Je le scrutais, fumant ma cigarette préférée. Celle qui suit l'apothéose. Et très vite, le murmure de sa voix grave, rugueuse, profonde. Il devait partir. Pour une soirée, avec on-ne-sait-quels-amis. Une bise, et il disparaissait. Sans préavis. Une bise ! Tout mon être réclamait un baiser. Alors je me rhabillais, et m'observais dans mon miroir… Un pull en cachemire rouge. Trop doux pour être caressé par lui. Des collants effilés. Des pieds meurtris par des talons trop hauts. Des effluves de parfums capiteux. Une journée passée à mettre en valeur mes attributs. A camoufler défauts et imperfections sous d'innombrables artifices. Puis, une conversation futile ; infecte mascarade faisant office de parade nuptiale. Je lui contais mes récits, un riff de guitare électrique diffusé en fond sonore. Comblant le précédent silence étourdissant, tout en sachant bien qu'il s'en foutait. Prétexte, alibi, formalité. Le riff persistait, en boucle, après son départ. C'était la nuit noire. Retour du froid. Je me réfugiais auprès de la cheminée. Et je donnais tous nos souvenirs aux flammes… Jusqu'à retourner dans mon lit, cherchant un sommeil introuvable. Bras de Morphée, marchand de sable, qu'importe, j'avais besoin d'aide. Mon maquillage sombre dégoulinait, tâchait les oreillers. Des oreillers encore imprégnés de l'odeur de tabac froid, et de celle, virile, répugnante, de transpiration de ce dernier connard qui y est passé. Il n'a jamais vu tout ce que je ressentais pour lui. Aveugle...
Aujourd'hui, j'en ai choisi un autre. Un fantasme sur pattes. Charmeur, raffiné, rayonnant par un sourire permanent. Sensuel, voix suave ; surtout lorsqu'il chante en espagnol. Lui aussi aime les riffs de guitare électrique. Mais lui, la dernière nuit, est resté dormir à mes côtés, froisser les draps jusqu'à l'aube. Il m'a souri au réveil, dans la lueur des premiers rayons de soleil. Alors un autre riff persistait, en boucle, après qu'il soit parti travailler. Nuage rose. Je nettoyais rêveuse les tâches de vin rouge sur la table. Me répétais racontais interprétais la moindre de ses paroles le moindre de ses gestes. Je lui ai envoyé quelques mots de tendresse, modérés mais révélateurs. Auxquels il n'aura jamais jamais jamais répondu… Je me suis consumée de rancœur. Dès l'enfance j'ai eu ça dans le sang, ne pas tricher ! Remettre Apollon à sa place, refuser de feindre l'Amour ; assumer que Désir ne soit parfois que Désir ! Il m'a flouée. Laissée immobile ; muette. Incapable de réagir… C'était la nuit noire. Retour du froid. Mon maquillage sombre dégoulinait, tâchait les oreillers. Des oreillers encore imprégnés de l'odeur de tabac froid, et de celle, virile, répugnante, de transpiration de ce dernier connard qui y est passé. Je commence à le haïr. Je le fuis. Il est partout. Je ne peux plus le voir en photo je ne veux pas entendre parler de lui… Plus voir sa sale gueule, surtout s'il sourit, ni entendre le son de sa voix, surtout s'il chante. Surtout en espagnol ! Je lui souhaite les pires douleurs les pires supplices, j'espère qu'il souffre ! Son sourire m'insupporte sa voix m'insupporte tout chez lui m'insupporte !
C'est ainsi la fin de ces coups de cœurs ces coups de foudre ces coups de reins ; tous ces prétextes à coups de fil à des confidents… Jusqu'à ce que la pucelle émoustillée que j'étais disparaisse dans le néant. A quoi bon ? J'aimais l'Amour, d'ailleurs même plus que je n'aimais ces hommes. Désormais j'emmerde l'Amour. J'emmerde tous les amours : le passionnel, l'obsessionnel, l'exacerbé, le complice, l'admiratif, le colérique, l'enragé, l'engagé, le pour-la-vie, le dubitatif, le relatif, le niais, le mièvre, le mielleux, le facile, le faible, le faux, le feint, le sans lendemain. Je les emmerde parce que je me souviens…