Chapitre 14
Je fus réveillé par des murmures de voix. Je fis semblant de rester endormi, pour écouter ce que mes deux nouveaux compagnons de route avaient à se dire :
- Je ne sais pas si on fait bien de rester avec lui, disait Cléa. Il ne m’inspire pas confiance.
- Tu as vu ce qu’il a fait hier ? Il peut nous défendre si besoin.
- Je ne pense pas qu’il cherche à nous défendre, répliqua Cléa. Pour lui, si on se fait attraper, c’est tant pis pour nous, et il continuera sa route comme si de rien n’était.
- Tu es méchante avec lui, soupira Corentin. Tu as vu ce qu’il a fait avec ses cartes ?
- C’est justement ce qu’il m’inquiète ! On ne sait pas l’étendue de son pouvoir avec ça. Et si l’envie lui prend, il peut nous tuer sans le moindre remords.
- Non, ça c’est faux, dis-je en me relevant. Je garde le visage des personnes que je tue dans ma mémoire. Maintenant, levez-vous, on a une longue journée de marche à faire.
Cléa me regarda d’un air mauvais, tandis que Corentin fronçait les sourcils. Je défis mon campement et distribuai des rations de baguette et de pain aux deux autres. Cléa protesta :
- Mais c’est minuscule !
- Il faut s’habituer à se nourrir de peu et de survivre avec ce qu’on a, répondis-je sèchement.
Cléa grommela quelque chose en retour que je n’entendis pas. Pendant que je calculai le nombre de jours que nous pourrions tenir avec ce que nous avions, Cléa et Corentin se levèrent enfin en grimaçant. J’annonçai :
- Si on se maintient à ce rythme, on peut tenir cinq jours, peut-être six.
- On n’a donc pas besoin de s’approcher trop des villes, dit Corentin d’un air soulagé.
- En effet, ça vaudrait mieux pour tout le monde, acquiesçai-je.
Sans plus discuter, nous quittâmes le lieu de notre campement provisoire. Il ne se passa pas cinq minutes avant que Corentin ne demanda :
- Comment tu as fait pour les cartes ?
- Je ne veux pas vous le dire, répondis-je.
- Mais pourquoi ?
- Parce que si dans un accès de folie - dans le cas où nous n’avons plus de nourriture - vous m’attaquez, je garde un avantage sur vous.
- On connaît où se trouve tes cartes, répliqua Cléa.
- Oui, mais vous ne saurez pas vous en servir.
- Tu auras un avantage en moins, et nous serons au même niveau, dit Corentin.
- Non, puisque j’ai mon revolver, dis-je.
- C’est vrai, admit Corentin. Mais ça aussi on peut te le voler.
- De toute façon, je garde mes armes sur moi lorsque je dors. Vous ne pourrez jamais me les voler sans me réveiller.
- Qui t’a dit que nous allions de les voler dans ton sommeil ? riposta Cléa.
- Donc vous prévoyiez vraiment de me tuer pour récupérer mes armes et ma nourriture ! dis-je en éclatant de rire. Et bien, après vous vous demandez pourquoi je me méfie de vous !
- Il n’est pas question de t’assassiner, refusa Corentin. Tu nous as sauvé la vie, on t’en doit une !
- Encore une fois, je n’ai pas besoin d’aide ! grognai-je.
Nous marchâmes en silence pendant près d’une heure, lorsque nous entendîmes un cri. Cléa, qui était restée en arrière, se débattait dans les bras d’un homme massif.
Corentin s’élança d’un coup vers l’homme, tandis que je restai sur place à repérer les alentours. Lorsque je fus certain qu’il n’y avait personne d’autre, je l’élançai à mon tour. Corentin avait déjà atteint l’homme, qui l’assomma d’un coup de poing.
Je sortis mon revolver et criai :
- Arrête-toi et repose-la !
L’homme se figea, puis, dans un élan de lâcheté, plaça Cléa devant lui. Il se mit à reculer lentement sans que je ne puisse tirer. Et lorsqu’il fut assez loin de moi, il s’enfuit en courant. Je baissai les bras, désespéré, et m’accroupis auprès de Corentin.
- Ça va ?
- Où est Cléa ? murmura-t-il.
- Elle s’est fait prendre. Je suis désolé, je n’ai rien pu faire.
- Quoi ? fit Corentin en se relevant d’un coup. Mais il faut aller la rechercher !
- C’est impossible, dis-je doucement. L’homme court trop vite, on ne pourra jamais le rattraper.
- Mais on ne peut pas l’abandonner ! cria Corentin.
- Elle est perdue, dis-je. Libre à toi d’essayer d’aller la chercher, mais ce serait courir à ta perte !
- Je ne peux pas l’abandonner ! Elle est comme une sœur pour moi ! On se connaît depuis l’âge de trois ans !
- Je suis désolé, mais on ne peut rien faire. Il faut te résoudre à l’idée qu’elle soit morte.
- Non ! Hors de question. Je pars la chercher. S’il te plaît, accompagne-moi !
J’hésitai un instant, puis secouai la tête négativement :
- C’est trop risqué. On va mourir si on le poursuit.
- Mais il est seul !
- Tu n’en sais rien, répliquai-je. Si ça trouve, il est accompagné d’une troupe d’une centaine d’hommes.
- Donne-moi ton arme !
- Qu’est-ce que tu pourrais faire contre une centaine d’hommes ? Rien. Pas plus que contre une dizaine.
- Alors donne-moi ton paquet de cartes ! dit Corentin, d’un ton suppliant. S’il te plaît...
- Tu ne sais pas t’en servir, refusai-je.
- Accompagne-moi ! Je sais que tu as entendu notre conversation de ce matin. Prouve-nous que tu ne nous abandonnes pas !
Je soupirai, puis dis sèchement :
- Vous n’êtes rien pour moi.
- Tu ne peux pas dire ça. S’il te plaît...
Son ton suppliant et son regard malheureux eurent raison de moi. Je grommelai :
- Tu as de la chance que j’ai un bon cœur. Trop bon, même.
- Merci ! Merci... Je ne t’ai jamais demandé ton prénom.
- Matt.
- Merci Matt ! Maintenant il faut la sauver tout de suite, sinon je ne sais pas ce qu’il va lui arriver !
Alors qu’il s’élançait vers la colline, je le rattrapai par le bras et le retins. Je lui dis :
- Ne t’élance pas comme ça, ça ne sert à rien. Il nous faut un plan, et de toute façon notre homme est trop loin.
- Mais raison de plus pour foncer tout de suite ! On la rattrapera plus vite !
- Je te dis que ça ne sert à rien ! criai-je. Calme-toi et réfléchissons.
- Il n’y a pas à réfléchir ! protesta Corentin. On y va maintenant.
- Tu veux que je t’accompagne ou pas ? menaçai-je.
Corentin se calma immédiatement. Je dis :
- Montons doucement au sommet de la dune pour voir où va notre homme.
Corentin monta aussitôt au sommet de la dune pour voir l’horizon. Je le rejoignis peu après. Du haut de la dune, on pouvait voir tout le paysage alentour, ce qui était bien comme mal, car j’avais peur que l’on nous repère de haut.
Dans la direction qu’avait prise l’homme, on pouvait voir un homme qui avançait rapidement, courant presque. J’arrêtai Corentin d’un geste, car il était près à courir pour le rejoindre. Je lui dis encore une fois :
- Il est trop loin, tu ne pourras pas le rattraper ! Autant voir où il va, et agir calmement.
Même si Corentin tremblait d’impatience, il resta où il était. Je plissai les yeux pour voir où allait l’homme mais ma vision se troublait à cause de la chaleur qui augmentait, et à cause de la distance également. Je demandai :
- Tu n’as pas des jumelles, ou quelque chose comme ça par hasard ?
- Si, j’en ai, dit Corentin contre toute attente.
Il sortit de son teeshirt une paire de jumelles et me les tendis. Je m’exclamai :
- Tu ne pouvais pas le dire plus tôt ? Et comment ça se fait que tu en aies ?
- Mon père me l’avait offert, dit Corentin en baissant la tête.
Je m’abstins de répondre, car le : avait, signifiait soit que son père était mort, soit que Corentin l’avait volé. Je les pris et regardai dans la direction de l’homme. Je pouvais voir assez distinctement le corps de Cléa qui se balançait sur son épaule.
Au loin, on pouvait voir les toits d’une ville. J’annonçai :
Mauvaise nouvelle. Notre homme se dirige vers une ville.
- Pourquoi est-ce que ça serait une mauvaise nouvelle ? demanda Corentin en fronçant les sourcils.
- Parce que de toute façon, une ville veut dire plus de personnes, donc plus d’ennuis. Ensuite, il est fort probable que l’homme ne soit pas seul, s’il se dirige vers la ville. Donc, ce qui veut dire, plus de personnes à neutraliser. Et pour finir, ça veut dire que c’est un regroupement de personnes, sûrement des Affamés, qui vont vouloir notre nourriture.
- Ça ne s’annonce pas super bien, grimaça Corentin. Mais on n’a pas le choix, on doit y aller.
- Je suis d’accord, approuvai-je. On va suivre notre homme. Par contre...
- Quoi ? demanda Corentin, agacé.
- Avec la chaleur qui monte, je ne suis pas sûr que ce soit très prudent, complétai-je.
- Est-ce que tu vois un abri assez proche ?
- Non, admis-je en regardant aux alentours.
- Donc on n’a aucun moyen de s’abriter. S’il faut y aller, autant le faire tout de suite.
- Tu as raison, dis-je. Allons-y.
La ville était plus loin que nous le croyions au départ. Nous marchâmes toute la journée, sous la chaleur écrasante - en fait, nous avançâmes à peine. Nous avions une certitude cependant : l’homme se dirigeait effectivement vers la ville.
Lorsque la chaleur redescendit un peu, nous nous arrêtâmes pour faire un pause. Je proposai :
- On n’arrivera jamais à la ville avant la tombée de la nuit. Ça ne change plus rien. On peut faire un campement ici et dormir pour la nuit.
- Mais on ne sait pas ce qui attend Cléa là-bas ! protesta-t-il. Ce sont peut-être des cannibales ! Ils vont la bouffer si on fait rien !
- Je préfère dormir maintenant plutôt que d’arriver cette nuit complètement épuisé et incapable de faire quelque chose, répliquai-je. On dort une ou deux heures, puis on s’y remet, d’accord ?
Corentin allait protester, mais je le devançai :
- De toute façon, l’homme que l’on poursuit n’est pas encore arrivé à la ville. Il va avoir besoin de faire une pause lui aussi.
- Justement ! Si on y va tout de suite, on peut lui tomber dessus sans avoir besoin d’entrer dans la ville !
- Il est beaucoup trop loin, ça ne sert à rien. On dort deux heures, puis on recommence à marcher, d’accord ?
Corentin grommela quelque chose d’incompréhensible mais se coucha par terre. Je fis de même et ne tardai pas à m’endormir.
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