VII
Comme l’hiver commençait à tout recouvrir d’un manteau de neige, les fenêtres étaient de moins en moins ouvertes et de moins en moins longtemps. La pestilence s’intensifiait. Même quand quelqu’un prenait la peine de jeter quelques pelletées d’excréments dans le jardin pour ménager un peu de place aux suivants, les effluves étaient telles qu’elles avaient imprégné le sol, les pieds du canapé et le petit tapis étendu devant lui. Les occupants, toutefois, n’avaient aucun mal à circuler dans leur environnement. Leurs allées et venues décrivaient un bal tout à fait naturel.
Élaine avait développé une stratégie. Quand elle ne pouvait échapper à ces visites sans éveiller la suspicion et que les trois frères occupaient leur dimanche après-midi à un jeu d’ordinateur sur la table du salon, elle se pelotonnait précautionneusement au milieu du divan, les jambes ramenées contre sa poitrine, et elle lisait. Le secret résidait dans son marque-page : un double rectangle de tulle, bien cousu sur les bords, rempli de pétales de lavande. Si la sensation de fraîcheur n’était que limitée, le parfum embaumait suffisamment à mesure qu’elle tournait les pages et l’agitait pour faire concurrence à la puanteur alentours.
De temps en temps, pendant une pause entre deux parties, Xavier venait la voir, se recroquevillait sur le canapé et blottissait sa tête dans le giron de la jeune fille. « Ça sent bon, près de toi », murmurait-il en fermant les yeux. Élaine souriait, lui caressait les cheveux. « C’est Rabelais / Kafka / Poe », disait-elle selon les occasions. Elle espérait ainsi l’habituer à une atmosphère plus salubre et délicate, et l’amener à terme à prendre le problème à bras-le-corps, soit en se lançant dans un ménage de fond en comble soit en prenant l’initiative de déménager dans un logis à lui, plus intimiste et mieux entretenu.
Xavier souriait à son tour, écoutait Élaine lui lire quelques bonnes lignes, puis après un petit moment de câlins, se préparait pour une nouvelle manche.
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