Effluve
Il était parti joyeux, sûr de sa force et de sa jeunesse. Le combat qu'il s'en allait mener était juste. A son retour, il serait devenu un héros. Sa mère avait un peu pleuré bien sûr et elle avait voulu le retenir, mais son père, lui, ne cachait pas sa fierté. Il était heureux que son fils ait suffisamment de courage pour aller défendre sa patrie... car il était volontaire, comme l'était l'ensemble de ses futurs compagnons d'armes.
Tous ces jeunes gens s'embarquèrent, sourire aux lèvres. Ils allaient lutter pour la liberté et la victoire, on le leur avait assuré, ne faisait aucun doute. Mais ce qu'on ne leur avait pas dit, c'est que face à eux, il n'y aurait pas que des soldats. Nul ne les avait préparés à combattre des femmes et des enfants... On ne leur avait pas décrit la misère de ceux qu'ils allaient affronter ni la peur, ni la faim qu'on lisait dans leurs yeux, habitués à contempler toutes sortes d'horreurs.
Les attaques désespérées de ces gens qui n'avaient plus rien à perdre, les avaient pris par surprise et leur avaient à jamais ravi leur sourire et leur bonne humeur. Certains y avaient laissé leur vie. Lui, que l'on prétendait chanceux, avait perdu la vue, soufflée dans l'explosion d'un bombe artisanale.
Son retour au pays avait été discret. Il s'était fait en catimini et personne n'était venu saluer le héros... il n'était plus qu'un indigent comme il en revenait tant. Parfois, il se demandait si ses parents n'avaient pas été déçu de le voir revenu en vie... Ceux qui avaient perdus leurs enfants à la guerre en tiraient des honneurs, mais lui, diminué comme il l'était, il deviendrait un poids pour les siens. Sa mère avait gémi en voyant le gros pansement qui bandait ses yeux. Elle s'était accusée de n'avoir pas su l'empêcher de partir et lui en avait demandé pardon.
Cela l'avait agacé. C'était sa souffrance ! Elle lui appartenait... Voilà ce qu'il avait gagné à la guerre ! Ne pouvait-elle pas comprendre que c'était le tribut qu'il payait à la nation ? Ne pouvait-elle l'honorer pour cette blessure si durement acquise ? Il ressentait ses sanglots et ses jérémiades comme autant d'insultes. Il ne souhaitait qu'une chose : être seul pour qu'on lui fiche la paix !
Il avait été exaucé. Ses parents n'étaient pas revenus. Ils prenaient peut-être de ses nouvelles auprès des médecins, mais ils n'osaient plus entrer dans sa chambre. Quoiqu'il n'en était pas sûr ! A plusieurs reprises, il lui avait semblé sentir l'effluve du parfum porté par sa mère. Ses parents étaient-ils là, assis sans rien dire, à le regarder ? Il aurait voulu s'excuser pour ce qu'il avait déclaré : il ne le pensait pas. Il aurait aimé leur dire combien leur souvenir lui avait été précieux au coeur des combats, mais il avait peur, en brisant le silence, de les meurtrir davantage.
Pendant plusieurs jours, il trouva du réconfort dans cette odeur de lilas qu'il associait à sa mère et à des temps plus heureux, lorsque petit garçon, il se réfugiait dans ses bras. Le parfum se faisait quelquefois très fort, comme si elle était toute proche de lui. Un soir, n'y tenant plus, il lança sa main et saisit un bras...
Ce n'était pas sa mère. C'était une infirmière. Sa voix était aussi douce que son parfum. Lui qui s'était muré dans un silence têtu depuis son arrivée, prit plaisir à discuter avec elle. La guerre lui avait pris un fiancé et un frère. Au lieu de rester chez elle à les pleurer, elle avait choisi de se rendre utile. Il découvrit soudain que le courage était aussi du côté de ceux qui étaient restés au pays. Eux aussi, à leur manière, avaient dû lutter...
Finalement, ce fut à elle qu'il avoua son remord d'avoir rabroué si durement sa mère et sa crainte d'avoir déçu les siens. Elle rit et lui demanda d'attendre quelques instants. Une main se glissa dans la sienne. Des lèvres se posèrent sur sa joue.
-Maman ? dit-il ému.
-Oui mon grand, je suis là.
-Et l'infirmière ?
-Elle est dans le couloir. Elle ne voulait pas déranger.
-C'est elle qui est venue te chercher ?
-Oui, elle est gentille cette petite. Nous avons sympathisé avec elle à force de venir tous les jours. C'est grâce à elle que nous avons eu de tes nouvelles quotidiennement et que nous avons réussi à tenir le coup. Je lui ai même fait un petit cadeau : une bouteille de parfum. Tu sais, celui au Lilas que ton père et toi vous aimez tant ?
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