Décembre 2022
9 décembre 2022
Lisa est revenue. La femme de ménage m’a retrouvé caché derrière le lavabo : je déréalisait depuis 30 minutes. Et puis défilé de médecin : pourquoi tu pleures ? Tu veux en parler ? Je ne sais pas à qui ils s’adressaient. S’ils voulaient parler à Valentine, dommage, elle était déjà plus là depuis longtemps. Et mon psychiatre qui ne me comprend pas : qui ne comprend pas pourquoi je ne veux pas être heureuse. Plus le bonheur est grand et plus Lisa est forte derrière. Pour arrêter l’une, on arrête l’autre : zombie. Ça fait longtemps que je n’avais pas fait de crise comme ça : se cacher dans un coin écouter une musique jusqu’à ce que l’on arrête de respirer. Je suis encore parti ailleurs. Les filles de l’étage était en train de décorer le sapin pendant que je considérais arracher ma sonde et jeter mon plateau par la fenêtre. Je ne sais même pas si j’ai envie de terminer mon plateau de ce midi. Lisa ne veut pas. Je suis faible, je suis pratiquement sûre que je vais le terminer. Je me déteste. Quelle journée de merde. J’ai très mal dormi, j’ai eu une prise de sang, et l’infirmière m’a réveillé pour la pesée. Je n’ai envie de rien aujourd’hui. Je crois que je vais mourir ça réglerait quand même pas mal de problèmes. Je déteste la réalité. Je ne suis plus là. Je ne suis plus là. Laissez-moi partir.
Toujours dans le même état. J’ai refait deux crises de panique. Je ne sais déjà plus qui je suis. Lisa est là. Mais qui je suis ? Putain j’ai peur. J’ai vraiment peur. Je pleure encore, je pleure encore. Ai-je rechuté ? Je ne veux pas revenir à mes jours en terminale, je ne veux plus jamais ressentir ça. J’allais bien hier qu’est-ce qui a changé ? J’ai peur de Lisa, et si elle restait pour toujours ? Qu’est-ce que je vais faire ? Je n’ai rien fait aujourd’hui, absolument rien fait. Je suis un zombie, je n’ai ni parlé ni souris. Mais qui suis-je ? Hier tout allait bien. Pourquoi Lisa a-t-elle choisi de revenir aujourd’hui ? Je me sens exactement pareil qu’en terminale. Aidez-moi. Sortez-moi de là. Je suis toute seule dans cette clinique. Je ne peux pas continuer comme ça j’ai besoin d’aide. S’il vous plaît. S’il vous plaît aidez-moi. Si je reste seule je vais craquer. Je vais encore déréaliser dans mon lit. Ce sera comme si je n’avais jamais existé. Il fait beau dehors. Pourquoi suis-je encore en train de pleurer ? Mais qui va venir me sortir de ce trou ? J’ai peur de devoir vivre comme ça pour toujours. J’ai peur d’être maudite. Lisa ne partira jamais. Seule la mort nous séparera.
12 décembre 2022
Je viens de sortir de mon rendez-vous avec la psychologue et il me reste à peu près 30 minutes avant le début de la relaxation : j’ai une matinée plutôt chargée. Aujourd’hui je me sens beaucoup mieux : moins malade, moins fatigué et moins triste. Mais il ne faut pas que je me force à être heureuse. C’est un des trucs dont on a parlé avec la diététicienne : arrêter d’être bloquée sur tout blanc, tout noir. Je vais essayer d’accepter les émotions, les sensations qui se présentent à moi sans jugement. Par exemple j’ai un peu froid, j’ai mal au ventre, et bien que je sois dans un bon mood, je me sent un peu seule. J’ai vu le psychiatre ce matin et il n’a pas parlé de rajouter des médicaments donc je suis plutôt rassurée. Par contre on a parlé de sortie définitive. Je me sens prête à sortir si je suis suivie par une psychologue et une nutritionniste. En plus, j’aurai le soutien de la famille, je reprendrais les cours sans pression et je pourrais reprendre une vie normale petit à petit. Pondéralement je n’ai fait aucun progrès depuis deux semaines. Je vais demander à la diététicienne de faire quelques modifications sur le protocole : rajouter les biscuits à 16h par exemple.
14 décembre 2022
Aujourd’hui j’accepte d’être triste. Je n’ai pas très bien dormi, j’ai encore perdu des cheveux, mon poids a augmenté. Le psychiatre n’est pas là alors j’ai vu un autre. Je l’aime bien : il écoute quand je parle. J’ai l’impression d’avoir perdu le but de ma guérison : je n’arrive pas à voir ce que je vais faire après la clinique. J’ai atteint un palier et je n’ai pas encore trouvé la force pour le surmonter. Mais je fais de mon mieux et c’est épuisant.
C’est bientôt la fin de la journée. Mon après-midi s’est super bien passé : je suis allé à l’atelier peinture, et j’ai fait une une peinture de Van Gogh au couteau que j’ai super bien réussi. Demain j’ai la sortie au musée avec la clinique et puis si la diététicienne n’est pas là, je vais à la maison récupérer des affaires propres. Vendredi après-midi, j’ai accepté de voir mon amie même si je n’ai pas du tout envie pour me forcer à voir des gens de l’extérieur. Par contre si la diététicienne ne vient pas demain, je ne pense pas avoir le droit de sortir ce week-end sans un protocole clair et précis.
17 décembre 2022
Je suis près du feu à la campagne. Dehors la neige a recouvert tout le jardin. Après de multiples problèmes ce matin, nouvelle infirmière qui avait oublié de faire signer ma Perm, oubli du portefeuille, arrêt de métro manqué. Je suis finalement arrivé à la maison on m’attendait maman, prête à partir pour la campagne. J’ai pris ma collation mais à part ça tout est parti en cacahouète : déjà je sais d’avance que je n’aurai pas mon complément alimentaire et puis je n’ai pas forcément beaucoup mangé au petit-déj’. C’est là où je réalise que je n’ai pas vraiment avancé à la clinique, quoi qu’avant je n’aurais ni manger de yaourt nature ni de collation : c’est mieux que rien.
18 décembre 2022
Je suis de retour à la clinique après un super week-end à l’extérieur. Ce matin j’ai pris mon petit café au lait près du feu. J’ai fini par avouer à maman que j’avais menti et que j’avais modifié le protocole en faveur de la maladie. Elle m’a un peu crié dessus en disant qu’on ne pouvait plus me faire confiance, que je mentais surtout et qu’elle ne pouvait pas savoir quand j’étais moi-même. Puis elle s’est mise à pleurer. À midi j’ai repris un complément alimentaire donc au final je n’ai pas trop raté. Je me suis occupé de mes poules et puis sur le trajet du retour maman et moi avons réfléchi à un plot pour le futur livre que je vais écrire. Puis à 15h, on est allé au théâtre pour voir 42nd Street et c’était absolument incroyable.
22 décembre 2022
Parfois j’oublie que je suis en clinique et que les autres filles sont malades. Ce matin c’était la pesée d’une des filles de l’étage. Normalement je ne suis pas forcément censé être au courant mais je pense que tout l’étage elle a deviné. Elle a dû voir un poids qu’il ne lui a pas plu car elle s’est mis à crier et à pleurer. Très fort. C’est difficile pour elle : elle a fait plein de cliniques, de hôpitaux, elle a refusé la sonde et elle se retrouve avec des compléments alimentaires à boire. Mais c’est aussi dur pour les autres qui souffrons un peu en silence. J’avais pas forcément besoin qu’on me rappelle que moi aussi j’ai pris du poids surtout pendant le petit déjeuner.
23 décembre 2022
Depuis mercredi, j’ai pris 600 g. Je ne comprends pas ce que j’ai fait. Alors que j’ai marché beaucoup hier et avant-hier, que je n’ai pas mangé mes collations, ni mes protéines. Enfin qu’est-ce que j’ai fait ? La diététique m’avait dit que lundi prochain je devrais être à 42 kg et je suis déjà à 41,75. Pourquoi j’ai pris autant ? Et ce putain de petit-déj’ qu’on me dépose sur mon lit. Ce n’est pas comme si je pouvais l’éviter. J’ai mis 15 minutes avant de commencer à éplucher mon orange. J’ai repas thérapeutique aujourd’hui et je n’ai pas envie, je ne vais pas avoir la possibilité de ne pas manger. Surtout aujourd’hui. Comment j’ai fait ? Je m’étais pas encore habitué au 41 kg et maintenant je suis presque à 42. Ils se foutent de moi. Je vais clairement demander à ce qu’on enlève la sonde.
24 décembre 2022
Joyeux Noël ! Je suis à la campagne avec les parents et ma sœur. Honnêtement j’aimerais dire que tout va parfaitement bien mais ce serait mentir. Il y a des trucs sympas comme faire le sapin, lire au coin du feu et faire des petits marque-pages à l’aquarelle. Mais j’ai stressé comme jamais pour le déjeuner, j’ai eu envie de pleurer en mangeant ma pomme. Papa avait promis de faire des trucs simples mais voilà qu’il décide de faire lui-même des raviolis et de les fourrer aux légumes. Littéralement la consigne c’était de pouvoir voir tout ce que je mange il décide de faire des pâtes et des raviolis qui plus est.
Il est 17h30, j’ai faim et envie de pleurer. J’ai hésité à jeter ma pomme au feu et je me sens pas bien. J’ai envie de ne rien manger mais le corps a faim. Et je déteste quand mon corps veut des choses que je ne veux pas. J’ai fait des cartes de Noël que j’ai donné aux filles du cinquième étage à la collation du soir. J’espère que ça va aller. Je me sent coincé dans mon corps. J’ai envie de fuir sans pouvoir me cacher nulle part. Je ressens tout ce que le corps ressent et ça m’envahit. Je suis submergé par des sensations que je ne peux pas supporter ni fuir. Claustrophobe de mon propre corps.
25 décembre 2022
De retour à la clinique. Ce Noël était difficile. Vraiment difficile. J’étais stressé alors ça rendait les repas encore plus difficiles. J’ai stressé sur l’entrée: de l’avocat et du saumon découpés en forme de rond : rien de plus simple. Sauf la forme. Ça fait quoi trois ronds d’avocat ? Comment je compte, comment je contrôle ? J’ai paniqué. J’ai mangé trois ronds et j’ai donné à ma mère le reste. Les raviolis ça allait, et en dessert une pomme. Ma mère m’a fait stresser sur le complément alimentaire alors je ne l’ai pas pris, trop compliqué : dîner de Noël catastrophique. Puis on a fait les cadeaux. Toute la famille était plutôt contente de tous les petits trucs que j’avais fait. Moi par contre je n’avais demandé aucun cadeau et j’ai été ultra gâté.
Le lendemain réveil à 9h. J’ai mangé mon petit-déj’ vers 10 heures, je précise l’horaire parce qu’il était source de stress, seulement avec ma mère et ça s’est très bien passé. J’ai fait tout comme le sur le protocole. Puis maman me rappelle que je n’ai pas pris mon complément alimentaire celui que je devais prendre au dîner et je me mets à pleurer. Finalement je l’ai pris juste avant le départ. Mon père et ma sœur était déjà dans la voiture et ma mère elle est fermé la porte de la maison. Je me suis rappelé que si je voulais que le prochain Noël se passe mieux il fallait que je guérisse alors j’ai couru à l’intérieur et j’ai pris mon complément. Instant de culpabilité dans la voiture. J’ai mangé tout mon plateau du dîner. Puis j’ai pleuré et j’ai fait une petite séance de sport.
26 décembre 2022
Je me suis rendu compte que la clinique m’a rendue ultra rigide question nourriture. Je me demande combien de pommes font certains fruits. Je suis obligé de me couper ma pomme d’une certaine façon. C’est vraiment très bizarre mais bon c’est comme ça.
Je viens de faire une crise. Aujourd’hui j’ai passé une très bonne après-midi je suis allée au cinéma et j’ai même demandé ma clémentine à 16h. Mais arriver au dîner c’est la panique je repense à mon poids, à mes bonnes joues, à la sauce que j’ai mangée, et je crise. Détour sur la terrasse jusqu’à ce qu’une fille me demande d’arrêter de tourner en ronds dans ton très désagréable, une discussion avec l’infirmière au bord des larmes et 20 minutes sous le lavabo avec une musique à fond dans le casque. Je me sens pas bien du tout. J’ai aussi fait une minute de gainage. Je ne me sens pas bien. Et ce soir il y a ce complément alimentaire à 21h. Je pense que je vais aller prendre une très longue douche sous l’eau chaude.
27 décembre 2022
Cette nuit, j’ai enchaîné les cauchemars. Des cauchemars qui ne font pas forcément peur mais le corps se crispe soudainement et on se réveille en sueur. Je suis allé sur la terrasse vers sept heures mais je me sentais intensément seul. J’ai pas réussi à finir le plateau du petit déjeuner. J’ai mangé le pain et le miel de manière compulsive. Puis j’ai complètement culpabiliser alors je n’ai ni fini mon yaourt ni ma pomme. C’est vraiment dur en ce moment. Je me trouve grosse, je ne vois pas comment je devrais grossir encore. Cet aprèm, je vois la psy et puis je sors me promener avec ma mère. J’espère qu’on va beaucoup marcher. Je suis arrivé à un pallier de ma guérison et je n’arrive pas à le dépasser. D’accord, j’ai besoin de manger pour survivre mais je n’ai pas besoin de miel, de biscuit ou de sauce dans les plats. Je suis devenu paranoïaque du nouveau cuisinier, j’ai l’impression que c’est énorme et que c’est à cause de lui que j’ai autant grossi récemment. Il faut que je retrouve mes motivations : pourquoi je fais ça. J’ai l’impression qu’il n’y a plus rien. Je suis juste fatigué. J’ai vu la psy et on a discuté pendant une heure. Elle a bien vu que j’étais en difficulté et que les soins était un petit peu dur en ce moment. Ce midi j’ai encore eu la paranoïa du nouveau cuisinier je n’ai ni manger mon fruit, ni mon entrée, ni la sauce. J’ai cru que le poisson était plein de gras, enfin bref déjeuner compliqué. Là je vais aller me promener avec ma mère et je vais bien faire attention à prendre la collation.
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