L'hiver a son premier jour et Ronchon du mal à émerger. Elle aussi, ce sont ses premières heures de l'année et, après neuf mois de profond sommeil peuplé de rêves frustrants, elle se frotte les paupières en regardant par la fenêtre. Dehors est triste. La salle est froide. L'antique cuisinière n'a pas eu son content de petit bois et Michette, la lutine d'automne, a oublié de réapprovisionner la réserve de café. Bref, l'année part du mauvais pied, un peu comme tous les ans depuis que Michette a remplacé Belzégonde.

Sacrée Belzégonde. Elle, c'était un numéro ! Elle semait partout, n'importe où, dans les pommes, sur la porte des gogues, dans les bottes et les sandales, épinglait les rideaux, ses petits mots de popoèse. Énervante et enchantante Belzégonde. Un petit soleil dans la mauvaise saison. Michette, à côté, est le frimas incarné. Pas une pensée pour la suivante.

Dehors, le premier matin n'engage à rien. Pas de vent, pas de chaleur, pas de lumière. Là-haut, au-dessus de la clairière, une vague lueur blafarde émise par une moitié de lune signale qu'un brouillard poisseux s'est invité avec l'intention de résister le plus longtemps possible. Ronchon se désespère. Son ventre vide la conforte dans l'idée que ses parents l'ont ratée. Quelle idée de la faire naître en décembre ! Même si janvier ou février n'aurait rien changé à la donne. Même si lors des festivités de Lugnasad, l'air est irrespirable, les nuits trop chaudes et trop courtes. Toutefois, même l'été semble plus joyeux. Ronchon soupire. Son coeur n'a pas ce qu'il désire. Elle ne sait trop quoi d'ailleurs, peut-être se dit-il que Samain et Beltaine sont bien loin. Le premier matin de l'hiver, comme souvent, est débordant de planitude.

Toutefois, Ronchon aime les nuits, et la première heure d'après minuit ne s'est pas écoulée qu'elle a mis le nez dehors. Les lutines, en général, se dévergondent dès la tombée du soir et deviennent d'humeur plus taquine. Elles ont assez de leurs neufs mois de sommeil pour être sage. C'est la première malédiction des lutins : trois mois pour vivre à fond et le reste de l'année à ne pas vivre du tout. La seconde malédiction porte sur les trois mois de vie : ce sont toujours les mêmes mois, la même saison, ad vitam. On ne peut échanger sa saison contre une autre, ni avec un autre lutin. Certaines légendes courent parfois à ce sujet, mais ce ne sont que des contes de vieilles sorcières. Sous les grands chênes, Ronchon ramasse quelques brindilles et de bonnes poignées de feuilles mortes. Elle prend le temps de humer l'air humide et s'enivre des bonnes odeurs de champignons. De baveuses omelettes en devenir la font déjà saliver.

De retour dans la salle, elle dispose avec soin feuilles et brindilles dans le foyer de la cuisinière. Au moment d'allumer, elle peste contre Michette. Mais où sont donc rangées les allumettes ? Et le briquet offert par Jean Der a lui aussi disparu ! Elle finit par trouver une boîte d'allumettes presque vide, et recouverte d'une épaisse couche de poussière, sous la cuisinière. Michette n'a pas dû faire le ménage là-dessous une seule fois durant l'automne. Ronchon déniche un chiffon crasseux et redonne quelques couleurs à la boîte. Elle gratte une allumette et s'émerveille du résultat. Schrattt, et voilà lumière et chaleur au bout des doigts. C'est magique ! La magie continue quand les feuilles mortes s'enflamment. Elle reste assise, face au feu, le cerveau calé dans un coin de sa tête, tranquille. Finalement, il suffit d'un rien pour rendre un matin coton et chaleureux.