Le covoiturage

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 Manon venait de passer ses examens de fin d'année. Elle avait désormais les trois mois de la saison estivale devant elle. Ayant trouvé un petit job d'été dans sa ville natale, elle décida de réserver un covoiturage plutôt que de prendre un billet de train. C'était bien plus avantageux pour son porte monnaie. Elle nettoya son studio de fond en comble, prévint sa propriétaire de son absence, alla boire un dernier coup avec ses amis et rentra préparer sa valise. Le voyage était pour demain, à 9h30, sur le parking d'un centre commercial.


 Patrice était un sexagénaire aux cheveux blancs sur les côtés et au crâne luisant sur le dessus. Il portait une chemise ocre à manches courtes mal boutonnée où l'on pouvait apercevoir des auréoles de transpiration. Il avait un short gris qui laissait apercevoir des jambes fluettes et des tongs en caoutchouc qui devaient avoir été blanches dans une autre vie. Patrice était donc le pilote de cette magnifique Fiat Punto phase II, d'un vert à la nuance indéterminée et où un collier de fleurs était accroché autour du rétroviseur.


 Manon salua ce personnage à l'air affable mais un peu excentrique. Il avait déjà récupéré deux demoiselles. Celles-ci, bouclées à l'arrière, fenêtres grandes ouvertes, n'étaient pas sorties et on pouvait les voir scruter l'écran de leur téléphone portable. Patrice ouvrit le coffre où se trouvaient les bagages des filles, des caisses avec plusieurs cubis de rosé et un grand sac en plastique plein à craquer de vêtements d'homme. Manon réussit à caler sa petite valise ; heureusement qu'elle avait pris l'habitude de voyager léger.


 Elle s'installa donc à la place passager. Elle salua gentiment ses deux comparses qui lui répondirent vaguement. Manon sentit que ce n'était pas avec elles que de grandes discussions allaient pouvoir s'enclencher. Patrice se remit en selle, sortit ses solaires aux verres rouges et le convoi démarra pour 4 heures de route.


 Une fois arrivé à l'autoroute et lancé à pleine vitesse, l'équipage ferma les fenêtres. C'est au bout de quelques minutes seulement que Manon respira une odeur à faire pâlir les morts. Elle se demanda si quelqu'un dans l'habitacle ne s'était pas oublié une seconde. Or, sentant que l'effluve persistait, elle se dit que l'origine devait être tout autre. Elle observa dans le rétroviseur que les deux jeunes filles avaient leurs genoux remontés près de leur visage, les yeux toujours sur le téléphone mais avec un mouchoir sous le nez. Il ne restait ainsi que peu de coupables dans cette Punto. Avec les fenêtres fermées, et le soleil qui brillait joyeusement, l'odeur redoubla d'intensité. « C'est les tongs » se disait Manon. L'odeur était typiquement celle d'une personne qui suait des pieds. Moite et âcre. « Il reste 3 heures à faire, je ne vais pas tenir » pensa Manon.


 C'est au moment où elle se disait cela que Patrice pila sur l'autoroute. Les filles derrière, devant la violence de l'à-coup, lâchèrent leurs téléphones. Manon ouvrit la bouche sans qu'aucun son ne sorte et s'était agrippée instinctivement à la poignée du plafond. Les lunettes de Patrice avaient fichu le camp et il avait poussé un juron carabiné avant de reprendre le contrôle de son bolide.


 - Merde ! Ça va les miss ? J'ai glissé dans ma tong. Il fait tellement chaud que j'en transpire des pieds et …


 Manon était blanche. Tout en tenant fermement la poignée, elle assurait que ça allait, qu'il y avait eu plus de peur que de mal. Les filles à l'arrière ne faisaient pas les fières. Elles marmonnèrent qu'elles allaient bien puis se replongèrent dans leur mutisme. Patrice se lança dans des explications farfelues pour broder et faire passer l'événement plus vite. Manon ne l'écoutait qu'à moitié, répondant par monosyllabes. Le trajet se poursuivit ensuite silencieusement.


 Patrice loupa la sortie où il devait déposer les deux jeunes. N'ayant pas le choix, il continua jusqu'à la destination de Manon. Une fois arrivée sur un petit parking en sortant de l'autoroute, elle s'échappa bien vite, lança un regard de soutien aux filles qui allaient devoir supporter encore un peu plus l'odeur des pieds de Patrice et remercia ce dernier pour le voyage.


 La maman de Manon l'attendait. Après s'être dit bonjour et embrassées, elles pénétrèrent dans la voiture familiale. La mère demanda si elle avait fait un bon voyage. Elle lui répondit que la prochaine fois, elle prendra le train.

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