14.
- Avec un peu de chance, on pourra arriver avant le crépuscule. Mais on peut s'arrêter un peu, si tu es fatiguée.
- Non, tante Ilda, ça va, on peut continuer, lui répondit Ouli avec un pâle sourire.
En réalité, une chaleur incandescente semblait lui brûler la plante des pieds depuis l'aube, lorsqu'elles avaient repris leur marche pour aller vers le sud.
Elles avaient passé la nuit précédente dans la gigantesque forêt luxuriante d'Awekalé. Ilda, grâce à ses pouvoirs, avait construit un abri temporaire et elles avaient ainsi pu se protéger des animaux sauvages. Elles se trouvaient désormais dans le désert de sable rose d'Okossaté, où un soleil ardent dardait ses rayons. Malgré la chaleur suffocante qui régnait sur les lieux, Ouli ne regrettait pas d'avoir accompagné Ilda dans ce voyage. Elle espérait sincèrement pouvoir venir en aide en quelconque manière à son amie disparue. Et aussi aider Ilda dans sa mission. Même si elle ne savait toujours pas en quoi ça consistait.
- On va la retrouver, Ouli, la réconforta Ilda avec un sourire sincère. D'accord?
- Très bien, tante Ilda. Et où va-t-on exactement ? Je n'ai pas osé te poser la question depuis qu'on a quitté Mawolo.
- N'aie pas peur de me déranger, quelle que soit la situation Ouli. Surtout durant ce voyage.
- Très bien, tante Ilda.
- Nous allons à la Cité d'Akissawo.
- La Cité d'Akissawo ?... Je n'en ai jamais entendu parler !
- C'est un endroit qu'on ne trouve pas facilement.
Ouli la regarda d'un air interrogateur.
- Pourquoi ?
- Une fois sur place, tu comprendras, lui répondit Ilda avec un sourire énigmatique.
Les dernières lueurs du jour laissaient peu à peu place à un ciel pourpre zébré de nuages orangés. Quelques étoiles y faisaient déjà leur apparition.
Ouli commençait à ressentir les effets de la déshydratation, mais n'en dit rien à Ilda. Tout d'abord, parce qu'elle savait qu'il ne leur restait pas beaucoup d'eau dans l'outre qu'elles se partageaient depuis le début de leur voyage. Mais aussi et surtout parce qu'elle voulait lui prouver qu'elle était forte et pouvait endurer ce genre de situation extrême.
Au bout d'un moment, elle aperçut quelque chose du haut de la dune où elles se trouvaient.
- Tante Ilda ! Regarde ! On dirait une oasis !
Son interlocutrice regarda le point d'eau bordé de palmiers de grandes tailles et qui reflétait les teintes du ciel crépusculaire.
- On pourrait y faire une halte pour la nuit, proposa Ouli.
- C'est bizarre, murmura Ilda, l'air soupçonneux. Il n'y a pas d'oasis dans le désert d'Okossaté.
Elle sembla comprendre instantanément quelque chose et se tourna vers la jeune femme :
- Ouli, à partir de maintenant, ne crois pas ce que tu vois.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Je crois que nous sommes aux abords de la Cité d'Akissawo, lui répondit-elle en regardant autour d'elle. On l'appelle également la Cité des Mirages.
- Pourquoi ?
Ilda regarda Ouli.
- Comme son nom l'indique, c'est un lieu peuplé d'enchanteurs. Une bonne partie des awoularés ont trouvé refuge ici après l'ascension d'Akissambo au pouvoir. Il est sûr et certain qu'on n'y accède pas de manière aisée, car les Anciens disaient de cette cité qu'elle se déplace d'un endroit à l'autre du royaume. Maintenant, reste concentrée et prudente. Et ne t'éloigne pas de moi, sous aucun prétexte. D'accord ? Bien, avançons.
Elles reprirent leur marche, mais cette fois en restant sur leur gardes, et parvinrent à accéder au chemin plat qui menait au point d'eau.
L'eau était cristalline et les palmiers se balançaient légèrement au gré d'un vent agréable, qui rafraichissait l'atmosphère. Ouli semblait attirée par le point d'eau mais Ilda s'en aperçut, la prévint une nouvelle fois :
- Cette oasis est une illusion, Ouli. Elle n'existe pas.
- Cela semble si réel, pourtant, dit-elle en fixant la surface de l'eau, qui semblait l'attirer comme un aimant.
- Ouli, résiste et ne crois...
Une nuée d'oiseaux gigantesques apparurent brusquement dans le ciel. Tandis qu'ils se rapprochaient lentement d'elles, Ilda observa qu'ils avaient un aspect étrange. Ils étaient roses et comme recouverts d'une fine poussière brillante.
- Tante Ilda, qu'est-ce...
- Ouli, reste derrière moi ! Ils sont destinés à nous attaquer, ajouta-t-elle en voyant les volatiles déployer leurs griffes acérées et accélérer leur battements d'ailes.
Ilda se concentra en fermant les yeux et lorsqu'elle les rouvrit, ils s'illuminèrent en prenant une teinte dorée. Elle tendit ses mains devant elle et souleva une certaine quantité de sable, qu'elle transforma en un aigle gigantesque. Celui-ci se fondit sur les oiseaux magiques, qui disparurent aussitôt dans une poussière rose étincelante.
Ouli pressa fortement le bras d'Ilda et celle-ci, en tournant la tête, constata avec horreur qu'une dizaine de hyènes géantes les entouraient à distance. Elles semblaient avoir été créées de manière astrale, étant donné leur apparence fantomatique.
Les hyènes étaient des animaux nécrophages et avaient de ce fait une mâchoire puissante capable de croquer des os, sans difficulté. Bien qu'elle fût sur le point de défaillir, Ouli resta courageusement debout et était prête à défendre Ilda contre ces bêtes, même si ça pouvait lui coûter la vie.
- Ouli, reste derr...
La jeune femme saisit une grosse pierre acérée qui se trouvait non loin d'elle sur le sable, avant de la lancer avec force sur une des hyènes qui disparut aussitôt, suivie de près par toutes les autres.
Ouli se tourna vers Ilda.
- Tante Ilda ?
- Je suis là. Viens.
Malgré une certaine anxiété, Ouli ne bougea pas de là où elle se trouvait. Elle avait constaté un instant plus tôt que l'expression du visage d'Ilda reflétait une haine anormale.
Ne crois pas ce que tu vois.
- Viens, Ouli ! Viens, l'intima Ilda une nouvelle fois, en lui tendant les bras.
Son geste n'était pas naturel et Ouli comprit aussitôt qu'il s'agissait probablement d'une illusion.
- Non ! Où est Ilda ?
- Tu ne ressortiras pas vivante d'ici ! rugit le clone d'Ilda, en faisant apparaître un arc et une flèche. Elle était sur le point de lui décocher une flèche lorsqu'elle émit un cri de douleur, en se transformant en une nuée d'oiseaux de forme astrale, qui disparurent au loin.
Ouli se retourna lentement et vit à deux pas d'elle Ilda, qui semblait visiblement à bout de forces.
- C'est une illusion qui a pris mon apparence, lui expliqua-t-elle, en haletant légèrement.
Elle inspira fortement avant de reprendre :
- Mon double astral m'a enfermé dans une sorte de bulle invisible à l' œil nu, dans le but de s'en prendre à toi ensuite. Par chance, j'ai pu m'en sortir à temps pour la neutraliser avec mes pouvoirs.
Ouli continua à la regarder sans mot dire. Ilda comprit qu'après ce qui venait de se passer, elle devait lui donner la preuve absolue qu'elle n'était pas un autre mirage.
- Ouli, si ça peut te rassurer, je sais que tu as laissé tes frères et soeurs chez tes grands-parents à Mawolo pour me suivre dans ce voyage. Tout à l'heure, je t'ai fait aussi une promesse, à savoir qu'on va tout faire pour retrouver Awilé.
Ouli ne masqua pas son soulagement et alla se blottir dans les bras tendus d'Ilda.
- Je suis désolée, tante Ilda ! sanglota-t-elle.
- Ne le sois pas et je...
Au même moment, le sol se mit à trembler légèrement, puis de plus en plus fort.
- Ouli ! s'écria Ilda. Tiens ma main et ne la lâche surtout pas !
- Oui ! Mais qu'est-ce... qu'est-ce qui se passe ?
Le paysage et le sol sablonneux se déformèrent soudain et il semblait qu'un tremblement de terre d'une forte magnitude était en cours. Ouli, qui pensait que leur dernière heure était venue, ferma lentement les yeux, tout en continuant à se blottir contre Ilda.
Quelques instants plus tard, les secousses cessèrent. Ouli regarda autour d'elle et ce qu'elle vit devant elle la laissa paralysée de stupeur.
Une cité gigantesque, avec des structures de pierre blanche de la taille d'une colline se dressait désormais à la place de l'oasis.
- Tante Ilda... Est-ce... ?
- Oui, Ouli, lui répondit-elle simplement, tout en contemplant avec ravissement la magnifique cité, qu'elle ne pensait pas trouver aussi rapidement.
Au même moment, une dizaine de guerrières à cheval vinrent vers leur direction. Elles avaient la carrure d'amazones, avec leurs armures dorées et cuivrées et leur crâne rasé.
La plus grande d'entre elles descendit de sa monture. Tout comme les autres guerrières, elle était impressionnante avec sa musculature, ainsi qu'un beau visage marqué probablement par de nombreuses batailles. Elle tint son épée avec une certaine détermination en marchant d'un pas vif vers elles. Ouli ne put s'empêcher de frissonner.
À leur grande surprise, l'amazone ne leur porta aucune animosité et elle rangea son arme dans son fourreau.
- Je suis Askamé. Amazone et Général des armées, mais aussi Grande protectrice de la Cité d'Akissawo et de notre reine, Gassiwa. Vous avez réussi à déjouer, et avec courage, les pièges mortels de la Cité. Cela prouve que vous êtes des awoularés et non des ennemis, déclara-t-elle en les dévisageant tour à tour.
Elle reprit :
- Vous êtes donc dignes d'être reçues par notre reine, qui vous attend. Veuillez nous suivre.
- Comment sait-elle qui nous sommes et aussi que nous avons déjoué tous ces maléfices ? demanda témérairement Ilda, en fixant Askamé.
Celle-ci eut étrangement un air amusé.
- Parce que c'est elle qui a mis en œ vre ces pièges et le mode de protection de la Cité, il y a de cela un siècle. Pour combattre de tels pièges, un akawoussi aurait fait preuve de malice, contrairement aux awoularés qui sont de nature bienveillante et qui savent utiliser leurs pouvoirs à bon escient. Elle m'a également chargé de vous dire, au cas où vous vous poseriez cette question, qu'elle sait que vous êtes venues chercher ce qui vous aidera dans votre quête. Celle de rétablir la justice et la paix dans le royaume.
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