16.

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  • Meylani, est-il possible de...
  • Non, je viens d'essayer à l'instant, l'interrompit-il, avec un soupçon de regret dans la voix.

Il regarda Leyti avant d'ajouter :

  • Son esprit semble fermé à toute forme possible de communication mentale. C'est désormais une akawoussi. Nous ne pouvons plus rien pour elle, du moins pas dans l'immédiat.

Leyti tourna à nouveau la tête vers sa sœur, les larmes aux yeux.

  • Leyti, nous devons regagner notre pirogue ! lui intima Ama. C'est maintenant ou jamais !

Il lui tendit la main et, à nouveau, elle porta son regard sur Aïda. Cette dernière tendit ses mains devant elle sans crier gare et des éclairs fusèrent dans leur direction. Meylani se mit au-devant de Leyti et reçut de plein fouet la décharge électrique.

  • Meylani ! hurla son épouse. Meylani !
  • Attaquez-les ! ordonna Koroma à ses hommes.

Ceux-ci s'élancèrent vers leurs cibles, en poussant un cri de rage. Soudain, un bruit de craquement se fit entendre et le bateau perdit en stabilité. La poupe commença à s'enfoncer dangereusement dans la mer.

Une bonne partie des brigands perdit l'équilibre, avant de disparaître dans les eaux profondes de l'Akiseba. Ama s'agrippa d'une main ferme au support du mât amovible de l'embarcation, tout en maintenant sous son bras Meylani, qui reprenait lentement conscience.

L'ancien chef des armées chercha du regard Leyti. Avec soulagement, il constata qu'elle avait pu s'accrocher à temps à l'espar de l'embarcation, avec l'aide de grosses racines qu'elle avait probablement fait surgir de nulle part, grâce à ses pouvoirs.

  • Ama ! s'écria-t-elle.

Elle tendit la main et propagea les racines qui allèrent s'enrouler autour de lui et de Meylani. Ama posa sa main sur une des racines qui les reliaient ensemble et ils se retrouvèrent aussitôt dans une grosse pirogue, amarée non loin. Ajané, en les voyant apparaître brusquement, ne put s'empêcher de pousser un cri de surprise. Le jeune musicien akawoussi était, quant à lui, toujours inconscient et allongé non loin d'elle.

  • Prince Meylani ! Ama ! s'écria la jeune fille en accourant près d'eux. Vous allez bien ? Oh... Leyti !

Cette dernière, n'étant pas habituée aux effets de la téléportation, avait la tête qui tournait horriblement.

  • Ajané ! s'exclama-t-elle lorsqu'elle reconnut sa jeune amie. Que je suis heureuse de te revoir !

Elles se serrèrent brièvement dans les bras l'une de l'autre. Meylani semblait aller un peu mieux et pressa dans un geste amical l'épaule d'Ama. Un bruit de tonnerre se fit entendre et en tournant la tête, ils virent à dix mètres d'eux l'embarcation, qui sombrait peu à peu dans l'océan.

Sur la proue, se tenaient Koroma et Aïda, qui les observaient de loin. Cette dernière, les mains emplies d'éclairs, arborait un air démoniaque.

  • Aïda, murmura Leyti, les yeux embués de larmes qui se mirent à couler sur ses joues. C'est de ma faute si leur bateau coule ! J'ai employé mes pouvoirs dans ce couloir et par inadvertance, j'ai causé des failles sur la coque ! L'eau a dû s'infiltrer et...
  • Leyti, nous devons quitter les lieux, l'interrompit Ama. Nos pouvoirs ne sont plus à leur pleine capacité et il serait dangereux de les combattre à nouveau dans ces conditions.

Elle acquiesça lentement et, aussitôt, ils disparurent dans un écran de fumée avec leur pirogue.

Une heure plus tard, la nuit commençait à tomber et un croissant de lune trônait fièrement, dans un ciel indigo constellé d'étoiles. La mer était calme et le petit groupe voguait sur leur embarcation qui, fort heureusement, était assez large pour contenir une vingtaine de personnes. Cela leur permettait de ne pas se serrer à l'intérieur et d'y être à l'aise.

Ama avait fait cuire une demi-heure auparavant, grâce à son feu magique, un petit gibier qui avait pu tous les rassasier. Quant à Ajané, elle fut inconsolable après avoir appris la mort de sa mère. Leyti avait préféré édulcorer les faits, en affirmant à la jeune fille que sa mère était morte en pensant à elle, et qu'elle l'aimerait toujours.

Ajané, en pleurs, parvint à trouver le sommeil grâce au pouvoir de persuasion mentale de Meylani. Elle dormait paisiblement sous une peau de mouton, aux côtés du jeune akawoussi, qui semblait ne pas vouloir se réveiller. Ama montait la garde depuis lors et, Meylani, en l'observant attentivement, s'aperçut qu'il dissimulait en réalité une fatigue générale. Il alla vers lui et lui tint l'épaule :

  • Ama, tu devrais aller dormir, lui proposa-t-il. Cela fait deux jours que tu n'as pas fermé l'œil. Je sais que tu es très endurant, cependant tu es un être humain aussi. Et tu dois reprendre des forces.
  • Meylani, je te remercie, mais tu...
  • Dors.

Ama sentit un sommeil indéfinissable lui engourdir les sens et il ferma lentement les yeux. Meylani l'aida à s'étendre et Leyti le recouvrit ensuite d'une des peaux de mouton, dont ils disposaient dans la pirogue ; ce qui était très utile pour se protéger du froid nocturne.

  • Meylani, nous devons parler, si tu veux bien, lui dit Leyti.
  • Très bien.

Ils allèrent s'installer de l'autre côté de l'embarcation et Meylani s'assura mentalement que tout le monde était bien endormi, avant de se tourner vers son épouse. Ils se dévisagèrent sans mot dire. Meylani ressentit progressivement le désir éprouvé par Leyti et il rapprocha ses lèvres des siennes, avant de l'embrasser passionnément. Elle s'abandonna dans les bras de son époux, avant de le repousser tendrement au bout d'un moment, tout en lui caressant le visage.

  • Meylani, je... je suis désolée. Je...
  • Je te comprends, Leyti, lui dit-il en esquissant un sourire. C'est un peu tôt en effet et ce n'est pas le lieu approprié.

Elle lui rendit son sourire et il n'en revenait toujours pas qu'elle soit là, près de lui.

  • Je pensais ne jamais te retrouver, Leyti.
  • Il en est de même pour moi. J'ai été égoïste de partir et te laisser à Awalassi, surtout dans l'état où tu étais. Mais Dousso, le conseiller akawoussi d'Akissambo, m'avait averti qu'Ourys envisageait de m'éliminer. Et tu étais dans un état catatonique tel que j'avais, à un moment donné, pensé que tu étais...

Leyti réprima un sanglot et Meylani lui pressa doucement la main.

  • C'était comme si... mes pouvoirs et mon esprit avaient été enfermés quelque part, expliqua-t-il. J'avais beau essayer de m'en défaire, j'étais incapable de réagir à quoi que ce soit. Seul un akawoussi puissant peut réussir à endormir les pouvoirs d'un awoularé.
  • Ourys, dit Leyti en regardant droit devant elle.
  • Qu'est-ce qui te permet de l'affirmer ? Il peut très bien s'agir de ce Dousso.
  • Je savais à l'époque qu'elle pratiquait une mauvaise magie, ce qui s'est confirmé quand j'ai appris par la suite que c'était une kamassienne. Son clan est spécialisé dans l'art de la guerre et les Anciens disaient qu'ils avaient le pouvoir de créer des armes magiques et dévastatrices. Endormir les sens de leurs ennemis grâce à divers poisons fait également partie de leurs talents.
  • Attends... Des armes dévastatrices... Comme des épées enchantées, par exemple ?
  • De quoi s'agit-il ?

Meylani relata brièvement à Leyti les évènements qui avaient eu lieu le jour précédent sur la plaine volcanique d'Akassoru.

  • Alors, c'est sûrement ça, murmura Leyti. Ourys a dû hériter du pouvoir de Sako Gabega. Je ne sais pas comment ton frère a pu épouser une femme pareille.
  • Ils sont bien assortis, déclara Meylani, avec un soupçon de résignation dans la voix. Plus rien ne m'étonne de la part d'Akissambo.
  • Je ne t'ai pas tout dit, Meylani.

Il la fixa et réprima son envie de lire dans ses pensées.

  • En fait, reprit-elle sans le regarder, j'étais... j'étais enceinte de plusieurs mois quand j'ai quitté la Cité royale d'Awalassi. Et je ne voulais pas qu'Ourys s'en prenne à notre bébé. C'est pour cette raison que j'ai fui hors du royaume, après les funérailles de mon père à Akachawé.

Meylani écarquilla les yeux de surprise. Il avait beau avoir des pouvoirs psychiques, jamais il n'aurait deviné une nouvelle de cette envergure.

  • Leyti...

Cette dernière s'humecta longuement les lèvres et se tourna à nouveau vers Meylani.

  • Je lui ai donné vie à Akachawé. Une belle petite fille avec des yeux vairons et des cheveux blancs sur le côté, comme moi. J'avais trop peur de fuir continuellement avec elle et c'est pour cette raison que deux années plus tard, je l'ai confiée à ma sœur jumelle, Ilda. Elle venait de perdre son époux à Mawolo et depuis lors, notre fille est sous sa protection. Je suis retournée à Akachawé juste après, lorsque j'ai été sûre de plus rien craindre d'Akissambo et de sa femme.

Meylani continuait de dévisager Leyti sans mot dire et celle-ci ressentit aussitôt un sentiment de culpabilité.

  • J'aurais dû... faire quelque chose pour essayer de te...
  • Leyti, si tu avais tenté quoi que ce soit, tu serais déjà morte. Probablement exécutée sous les ordres de mon frère. Ou de son épouse.

Il lui prit la main et la serra avec force.

  • Comment s'appelle notre fille ?
  • Awilé. Elle porte le nom de ma mère. Mais... Meylani, quelque chose me dit qu'elle court un grand danger.
  • Je sais... Et je comprends mieux maintenant.
  • Quoi donc ?

Il leva la tête, l'air concentré, comme plongé dans ses souvenirs.

  • Hier, lorsque nous étions à Akassoru, des visions successives se sont imposées dans mon esprit.
  • Lesquelles ?

Il fixa Leyti et répondit d'une voix calme :

  • La première, celle d'un lion aux yeux mordorés sur le point d'attaquer une fillette. La deuxième, une jeune femme en train d'entreprendre un voyage long et périlleux sur la terre ferme, puis sur la mer, en compagnie d'un homme étrange. Dans la troisième vision, je voyais la Cité d'Akissawo et ses mirages. Dans la dernière, je voyais le feu embraser le royaume tout entier. Puis une intense bataille. La mort.

Le prince ressentit l'inquiétude croissante de Leyti et reprit :

  • Hier, en analysant l'esprit d'Alkiley, j'ai compris qu'Akissambo comptait mettre la main sur une awoularé de classe exceptionnelle. Mais je ne savais pas qu'il s'agissait d'Awilé.
  • Peut-être devrions-nous nous rendre à Mawolo ?
  • La plupart des visions dont je viens de te faire part se sont réalisées, Leyti. C'est trop tard et je sais qu'au moment où nous parlons, elle et Ilda ne s'y trouvent plus. Les Akatys sont certainement en train d'écumer toute la région pour nous éliminer. Tous.
  • Mais pourquoi Akissambo a-t-il besoin d'Awilé ? lui demanda Leyti, l'air alarmé.

Meylani la regarda cette fois-ci avec un air sombre :

  • Une fois notre fille entre les mains d'Ourys, cette dernière pourrait créer mentalement un mécanisme maléfique, copié sur les caractéristiques des Akissians. Cela permettrait à Akissambo de voler l'ensemble des pouvoirs d'Awilé, ne sachant pas que ce transfert pourrait les tuer tous les deux. S'il survit à cette épreuve, mon frère deviendra alors invincible et fera disparaître d'un revers de la main l'ensemble des awoularés de cette terre. Et avec l'aide des akawoussis, il pourra ainsi conquérir le monde et asservir l'humanité toute entière.
  • Que devons-nous faire alors ?
  • Retrouver Awilé, Ilda et tous ceux qui pourraient se rallier à notre cause. Afin de ramener la justice et la paix à Awalassi, et reprendre le trône qui nous a été ravis. J'espère également pouvoir ramener Aïda à la raison, si elle ne nous tue pas avant.

Leyti poussa un soupir et contempla les étoiles, légèrement découragée. Meylani en prit conscience et la prit dans ses bras.

  • Je sais que toute notre vie, nous avons enduré des épreuves extrêmement difficiles, Leyti. Mais il est temps de remplir la mission qui nous incombe et de sauver ce qui peut l'être.
  • Tu as raison, dit-elle en le regardant cette fois dans les yeux. Continuons à nous battre, tant qu'on le peut encore.

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