22.

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  • Awilé ! Ressaisis-toi ! Tu peux encore te battre.

Elle espéra un moment que cette voix qu'elle entendait dans sa tête, sous forme d'échos, était celle de Malick. Elle ouvrit difficilement ses yeux boursouflés - à cause des nombreux coups qu'elle avait reçus - avant de porter son regard sur Adoba, qui venait de lui insuffler mentalement un regain de courage, en hochant discrètement la tête.

Elle ferma les yeux et se concentra intensément. Sékine sentit curieusement ses forces l'abandonner. Elle relâcha Awilé et la fit tomber au sol une nouvelle fois, dans le but de l'étrangler à mains nues, en s'asseyant sur elle. Pour sa plus grande satisfaction, l'awoularé était méconnaissable et semblait sur le point de rendre l'âme.

Awilé ouvrit lentement les yeux et ceux-ci prirent une teinte mordorée. Intriguée, Sékine vit le visage de son adversaire se remodeler instantanément. L'orbite de son œil droit, qui s'était légèrement déplacée, ainsi que les os de son visage, se remirent à leur place et ses blessures multiples se cicatrisèrent. Les sourcils froncés, Awilé projeta brusquement son assaillante de l'autre côté de l'arène, grâce à une puissante bourrasque psychique. Pour la première fois depuis le début du combat, le visage de Sékine exprimait une certaine terreur. Son opposante fit bouger les doigts de sa main droite et l'akawoussi sentit son corps se soulever dans les airs, avant de retomber brutalement, le visage face au sol. Du sang coulait de l'une de ses lèvres.

Okowalé, indignée, était sur le point de se lever, lorsque son frère lui saisit l'avant-bras.

  • C'est bien toi qui as signifié que tous les coups sont permis ? Ainsi que la tricherie ? Laisse le combat se poursuivre ! lui intima-t-il sèchement.

Sa sœur, les narines frémissantes, fixa Adoba un court instant avant de se rasseoir, les bras croisés et l'air mécontent.

Awilé malmenait pendant ce temps Sékine, en lui portant avec force des coups de poing successifs sur le visage et ressentait, par la même occasion, la fatigue extrême de son adversaire. Cette dernière, le souffle haletant, finit par s'effondrer sur le sol et la jeune femme, à genoux derrière elle, en profita pour lui passer son bras sous son menton et renforça son emprise.

Laisse-toi faire, je t'en prie. Ne lutte pas, la supplia-t-elle mentalement, tandis que Sékine se débattait comme une furie en tentant de se libérer. Les larmes aux yeux et pour abréger ses souffrances, Awilé décida de drainer totalement l'énergie restante de la jeune akawoussi et lui envoya mentalement un sentiment de bien-être, afin de l'apaiser. Sékine esquissa un pâle sourire, puis ferma lentement les yeux. Elle s'effondra, le corps inerte, dans les bras d'Awilé .

La foule explosa de joie et la reine se leva en tapant sur ses mains, excitée et joyeuse. Le visage de Malick était toujours aussi inexpressif ; celui d'Adoba exprimait, quant à lui, un soulagement incommensurable, tandis qu'il se rapprochait d'un pas vif vers le centre de l'arène. Awilé était toujours assise sur ses genoux et une immense tristesse se lisait sur son visage, pendant qu'elle regardait le corps sans vie de celle qui fut son adversaire. Adoba posa ses doigts sur le cou de Sékine, avant de regarder Okowalé et d'abaisser son pouce. La reine chuchota quelques mots dans l'oreille de son rapporteur oral, qui prit la parole une nouvelle fois avec sa voix de stentor :

  • Awilé est sortie victorieuse de ce combat ! Elle affrontera demain à l'aube notre Grand Champion et tout le monde est sommé d'y assister ! À présent, place au festin !

Adoba tourna la tête vers l'awoularé et, à sa grande surprise, constata qu'elle avait déjà quitté les lieux.

Il la retrouva un moment plus tard dans sa case et dans l'obscurité. Il claqua des doigts et les torches murales s'enflammèrent aussitôt. Il posa près d'elle deux récipients en terre cuite contenant dans l'un de la viande moelleuse coupée en gros morceaux, accompagnée d'une sauce à base de feuilles de moringa et, dans l'autre, de la semoule de mil fumant. Il décrocha de son pagne une outre d'eau fraîche et la disposa à côté des bols de nourriture. Il s'assit ensuite, de sorte à se placer en face d'elle et se mit à la contempler silencieusement.

Son beau visage gardait les stigmates du terrible combat qui venait de s'achever et elle semblait regarder un point fixe loin devant elle. Tout en restant immobile, ses genoux étaient relevés devant elle et ses bras y étaient posés. Ses mains tremblaient légèrement.

  • Awilé...
  • J'ai tué quelqu'un, le coupa-t-elle d'une voix sourde, sans le regarder.
  • Tu n'avais pas le choix.
  • On a toujours le choix.
  • C'est vrai, mais tout dépend de la situation. En ce qui te concerne, Sékine était sur le point de te tuer à mains nues et sans aucun remords.
  • C'est pour cette raison que tu m'as mentalement adressé ce message ? lui demanda-t-elle abruptement, en le regardant cette fois-ci dans les yeux.
  • Oui. Je ne voulais pas te voir mourir de cette manière.
  • Hier, pourtant, tu n'étais pas de cet avis, lui rétorqua-t-elle.
  • Tu as raison. Mais comme tu le sais désormais, les choses ont changé de mon côté. Tu peux reporter ta colère sur moi autant que tu veux, mais ce qui est fait est fait.
  • Ce qui est fait est fait, oui ! répéta-t-elle sur un ton légèrement hystérique. Je suis une awoularé, mais pas plus tard qu'hier, j'ai ôté la vie de deux hommes par inadvertance ! Là, je viens de récidiver avec Sékine, parce que comme tu le dis si bien, je n'avais pas le choix. Et tu voudrais que je remette ça avec Malick, demain matin ?

Adoba garda le silence et son interlocutrice reprit :

  • Sékine n'était pas juste une akawoussi. Elle était également un être humain. Comme toutes les prisonnières qui sont mortes depuis des siècles sur cette île, victimes d'un tournoi meurtrier qui comporte des lois inhumaines ! Toutes ces souffrances accumulées, pour alimenter les pouvoirs maléfiques de souveraines dénuées de raison ! Personne ne mérite de mourir ainsi.

Le guerrier la dévisagea d'un air étrange et déclara :

  • C'est pour cette raison que tu peux encore mettre un terme à toute cette folie meutrière, demain.
  • Malick m'a sauvé la vie à de nombreuses reprises, argumenta-t-elle. Il me sera impossible de le tuer.
  • Mais enfin, Awilé, ouvre les yeux ! s'écria Adoba, qui semblait légèrement agacé par son entêtement. Il n'est plus le même homme que tu as connu ! Il est redevenu ce qu'il est réellement, un akawoussi !
  • Non ! Je sais qu'il a une part d'humanité qui sommeille toujours en lui, tout comme toi ! affirma-t-elle, l'air déterminé. Adoba, je viens de penser à une chose... Ne serait-il pas possible de lui rendre sa mémoire ? Un peu comme tu l'as fait avec mes pouvoirs ?
  • C'est beaucoup plus compliqué que tu ne le penses, lui répondit-il. Il s'agit ici de lui restaurer sa mémoire et ses qualités. C'est la raison pour laquelle seul un awoularé d'une puissance absolue pourrait y arriver et non un akawoussi et un Akissian. Dans ton cas, il s'agissait de te rendre tes pouvoirs et le fait que tu sois une awoularé ont pu me le permettre.
  • N'y aurait-il pas un moyen quelconque pour que je puisse m'entretenir avec Malick ? Je pourrai essayer de restaurer ses...
  • Avant même que tu puisses avoir le temps d'accéder à sa case, les Gardiens te stopperont net, l'interrompit-il. Okowalé te fera exécuter immédiatement, même si l'issue du tournoi pourrait être compromise par la suite.
  • Si je comprends bien, je suis obligée d'accepter mon destin, murmura-t-elle en soupirant sombrement.
  • Awilé, j'aimerais comprendre quelque chose. De nombreuses occasions de t'échapper ou de te téléporter se sont présentées à toi, depuis ce matin. Qu'est-ce qui t'en a empêché ?

Prise de court par cette question inattendue, la jeune femme resta silencieuse un moment, avant de répondre :

  • Je ne peux pas abandonner Malick sur cette île.
  • Tu l'aimes à ce point ?
  • Non ! Non, je..., balbutia-t-elle. C'est... c'est que je lui dois la vie, encore une fois. Je ne peux pas le combattre ! Et encore moins le tuer !
  • Tu dois savoir une chose. Chaque vie est précieuse et, par conséquent, tu te dois de sauver la tienne. Pendant que tu te battais avec Sékine, j'ai senti ta réticence à utiliser tes pouvoirs et à lui faire du mal. Si tu comptes récidiver ce genre de choses demain face à Malick, tu n'auras même pas le temps de comprendre ce qui va t'arriver lorsqu'il abattra ses armes astrales sur toi.

Awilé s'humecta les lèvres, sans pour autant répondre. Adoba se releva et lui prit doucement l'épaule :

  • Reprends des forces et surtout, ne discute pas, ajouta-t-il en voyant la jeune femme sur le point de rétorquer. Tu n'as rien mangé depuis hier et après le combat éreintant que tu viens de mener, tu dois te nourrir. Essaie ensuite de trouver le sommeil, d'accord ? Je viendrai avant l'aube te préparer physiquement et mentalement pour ta dernière bataille.
  • Ma dernière bataille, en effet, ironisa-t-elle en esquissant un sourire.
  • Ne sois pas aussi défaitiste. Fais ce qui te semble juste, du moment que ta vie ne te sera pas retirée inopinément. Celui qui vit d’espoir est préférable à celui qui est rassasié.

Elle acquiesça et il sortit. Une vague d'émotions la submergea soudain et des larmes coulèrent sans discontinuer sur ses joues, qu'elle ne chercha pas à essuyer. Un sommeil réparateur tomba lentement sur son esprit tourmenté. Ses yeux se fermèrent, sans qu'elle s'en rendît compte, tandis qu'elle pensait à sa tante Ilda, sa chère Ouli, ainsi qu'aux derniers bons moments passés avec Malick, sur la pirogue qui les avait menés dans cet enfer perdu au milieu de nulle part.

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