24.

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Adoba, l'air anxieux, se dirigea vers la case d'Awilé. En entrant, il constata que cette dernière avait d'ores et déjà revêtu une de ses tenues de combat, constituée de cuir et de bronze. Elle leva la tête et se redressa, avec un air étrangement calme.

  • Comment te sens-tu ? lui demanda-t-il.
  • Je vais bien.
  • Tu mens.
  • Adoba, je pense qu'il n'est pas nécessaire de me préparer psychologiquement à ce qui m'attends. Autant en finir une bonne fois pour toutes.

Il continuait à la regarder sans mot dire, ce qui provoqua chez la jeune femme un léger malaise. Il finit par acquiescer et sortit d'un de ses fourreaux une arme qu'Awilé reconnut aussitôt.

  • Je l'ai fait réparer par nos forgerons, qui sont reconnus pour leur dextérité, lui expliqua-t-il en lui remettant l'épée enchantée.

Elle saisit lentement l'arme en argent, qui semblait comme neuve, puis regarda son interlocuteur.

  • Okowalé sait-elle que...
  • Non, bien évidemment.
  • Adoba, je ne sais pas si...
  • Awilé, si tu n'utilises pas cette arme à ton avantage, tu seras morte avant même de comprendre comment ça t'est arrivé. Malick n'est plus ton ami. Il est redevenu un akawoussi.

La jeune femme contempla à nouveau l'épée qui vibrait légèrement dans sa main.

  • C'est dommage de devoir s'entretuer pour de si obscures raisons, murmura-t-elle.
  • Awilé, fais ce qui te semblera juste. En ton âme et conscience.

Il lui prit délicatement sa main libre avant de la serrer fortement contre la sienne, en la regardant droit dans les yeux. Elle frémit, légèrement tétanisée par ce contact inattendu, mais surtout à cause des émotions intenses qui émanaient de l'homme en face d'elle.

  • Awilé, je dois te dire que...

Au même moment, deux Gardiens armés chacun d'une lance et d'un bouclier firent leur apparition.

  • Prince Adoba, déclara l'un d'eux en baissant légèrement la tête, nous avons ordre d'escorter la captive à l'arène royale, sur les ordres de notre vénérée reine. Le Champion est déjà sur place et prêt à combattre.
  • Faites savoir à Okowalé que la captive doit encore...
  • Adoba, l'interrompit doucement Awilé en lui prenant le bras, il est temps que j'affronte mon destin. Faire reculer l'inévitable n'est pas la meilleure solution.

Le visage impassible et maussade, il finit par acquiescer mais à contrecœur et Awilé ne put s'empêcher de lire dans ses pensées :

Merci de m'avoir ouvert les yeux.

Elle soutint son regard un court instant avant de lui adresser un sourire discret. Après une brève inspiration et sans se retourner, elle suivit ensuite les deux gardes à l'extérieur.

L'aube avait laissé place à un climat frais et légèrement orageux, avec un ciel rempli de gros nuages gris, prêts à déverser des torrents de pluie à tout moment. Awilé avait toujours aimé ce genre d'atmosphère météorologique et, en refrénant ses larmes, fut heureuse d'avoir l'occasion d'humer de l'air frais une dernière fois.

La gigantesque arène royale était bondée, avec une foule surexcitée. Okowalé et sa cour se trouvaient exactement au même emplacement que la veille au soir et la reine ne parvenait pas à dissimuler une certaine satisfaction. Ce qui ne semblait absolument pas le cas de son frère, dont le visage reflétait une grande inquiétude.

Malick se tenait au centre de l'arène sablonneuse et avait revêtu la même tenue de combat qu'il avait portée le soir précédent. À la différence près qu'il avait désormais accroché sur son épaule droite la peau d'une panthère noire et non plus celle d'un léopard. Awilé s'avança puis s'arrêta à quelques mètres en face de lui. Il arborait toujours un air farouche et semblait décidé à lui porter le coup de grâce à tout moment.

Elle tourna la tête et vit Okowalé murmurer quelque chose à son griot, qui se leva ensuite en regardant la foule, qui se tut aussitôt.

  • Habitants de l'île d'Abamey, par ma voix, votre reine vous remercie d'assister à cette deux-cent-quarante-huitième finale du Grand Tournoi. Cette année, notre Grand Champion Malick va affronter la rescapée des captives, Awilé !

La foule ne put s'empêcher de scander le nom de leur guerrier et ce dernier, galvanisé par toute cette attention générale, hocha énergiquement la tête avant de faire apparaître, grâce à son pouvoir, une lance ainsi qu'un bouclier. Il se mit en position de combat et Awilé déglutit avec difficulté. Néanmoins, elle pressa fortement la poignée de son arme avec courage et fixa intensément celui qui fût autrefois son compagnon de voyage et ami.

  • Que le combat commence ! hurla le griot.

Awilé se dit qu'elle n'avait plus rien à perdre. Les yeux toujours rivés vers son adversaire, elle jeta l'épée enchantée sur le côté et mit un genou à terre.

Malick, qui se précipitait déjà sur elle avec sa lance, stoppa net sa course puis la regarda, l'air intrigué et mécontent à la fois.

AWILÉ ! Qu'est-ce que tu es en train de faire ?

La jeune femme bloqua temporairement les intrusions mentales d'Adoba et se concentra d'une manière exceptionnelle sur Malick, qui paraissait décontenancé par une telle attitude. Il pointa son doigt vers elle et s'écria :

  • Tu es censée te battre ! Pour gagner ce tournoi, il faut qu'il y ait un affrontement. Reprends ton arme et bats-toi !
  • Non, dit-elle calmement mais en arborant un air déterminé.

Okowalé, furieuse, se leva et, ignorant son griot, prit elle-même la parole :

  • Malick ! Elle ne veut pas se battre, alors tant mieux ! Achève-la !
  • Non ! tonna Adoba, les sourcils froncés et qui se redressa à son tour. Tu penses que tu peux changer à ta guise des règles établies depuis des siècles ?
  • C'est toi qui me parles de règles à respecter, alors que tu m'as trahi ? rétorqua-t-elle avec un petit rire. Je sais que c'est toi qui lui a rendu ses pouvoirs hier, avant le combat ! Je ne sais pas comment elle a réussi à t'envoûter mais, cette fois, elle n'échappera pas à la mort, ajouta-t-elle avec un sourire mauvais.
  • Ce n'est plus un combat, mais une exécution ! rugit son frère.
  • Continues ainsi, mon cher frère, et je me ferai un plaisir de te faire enchaîner dans nos geôles secrètes et tu ne verras plus jamais la lumière du jour.

La reine se tourna ensuite vers Malick :

  • Finissons-en. Une bonne fois pour toutes.

Malick planta sa lance à même le sol puis se jeta sur Awilé et commença à lui serrer le cou. Elle ne tenta pas de se défendre, mais plaça ses mains sur les tempes du jeune guerrier. Elle ferma les yeux et les rouvrit, puis fixa son assaillant assis sur elle.

Soudain, une succession de souvenirs frappa le jeune homme de plein fouet.

Sa capture, son enfance difficile, ses longues années d'entraînements intensifs au combat à Adabéré, son séjour dans la communauté de mercenaires à Alkoulbé, le moment où il avait sauvé la vie de...

Il dévisagea la jeune femme qu'il était en train d'étrangler et dont les yeux avaient pris une étrange teinte dorée.

Malick, rappelle-toi lorsque nous étions sur la pirogue. Quand tu me prenais la main, parce que je suis ton amie. Je suis Awilé et je serai toujours ton amie. Tu n'es pas un akawoussi. Tu as un cœur d'or et doux, tel un awoularé. Rappelle-toi qui tu es vraiment.

La voix d'Awilé retentit dans son esprit tout entier sous forme d'échos et une chaleur particulière se diffusa dans son corps. Il lâcha la jeune femme et s'allongea près d'elle, la respiration haletante, avant de perdre connaissance.

  • Mais qu'est-ce que ?... Non, ce n'est pas possible ! s'époumona Okowalé, qui se leva de son trône de manière brusque, pour s'élancer d'un pas décidé vers le centre de l'arène.

Elle sortit de son fourreau une épée incrustée de coquillages au niveau de la poignée, l'air hargneux. Awilé tenta de se redresser en cherchant l'épée enchantée du regard, mais l'effort mental incommensurable qu'elle venait de faire eut raison de ses forces. Le genou à terre, légèrement fiévreuse et en sueur, elle releva courageusement la tête, prête à accepter son destin.

La reine se tint en face d'elle, avant d'esquisser un sourire maléfique :

  • Ton heure est venue, très chère awoularé. Pour la première fois depuis longtemps, tu as su nous divertir avec ta témérité, mais il y a une fin à tout. Personne ne prendra ma place sur ce trône. Jamais !

Elle leva son épée, afin de l'abattre sur la tête d'Awilé, lorsqu'elle suspendit son geste. Surprise et interloquée, Okowalé baissa les yeux sur sa poitrine et constata qu'une épée la transperçait de part en part.

  • Non... Ce n'est pas..., murmura-t-elle faiblement, avant de se tourner maladroitement vers Adoba, qui semblait avoir les larmes aux yeux et qui retira son arme en douceur.

Il soutint ensuite le corps de sa sœur, qui s'affaissa vers le sol.

  • Mon frère... pour... pourquoi ? parvint-elle à articuler en levant les yeux sur lui, tandis qu'il la maintenait fortement entre ses bras.
  • Je ne peux plus te laisser tuer des innocents, Okowalé, lui répondit-il d'une voix tremblante. Je sais que j'ai moi-même commis des fautes graves, mais j'en prends conscience, même si c'est trop tard. Mais toi, tu ne le pourras jamais.
  • Tu es un aka... akawoussi, comment peux-tu... peux-tu penser à faire le bien ? lui demanda-t-elle après avoir craché un peu de sang.
  • Je ne le suis plus, dit-il en maintenant son regard. Je suis un awoularé. Comme mon père. Notre père.

Les yeux écarquillés et sans comprendre ce qu'il venait de lui révéler, elle lui pressa fortement les avant-bras en frémissant légèrement, puis rendit l'âme en fermant les yeux.

Le silence dans l'arène était si assourdissant qu'on aurait pu entendre une fourmi marcher dans les alentours. Awilé, encore sonnée par ce qui venait de se passer, ressentit malgré elle la tension palpable qui régnait sur les lieux, ainsi qu'une infinie tristesse mêlée à de l'incompréhension.

La Reine est morte ? Non !

Le prince Adoba a tué la Reine ? Mais... mais pourquoi ?

Le tournoi est-il terminé ? Pourquoi il a tué la Reine... A-t-il perdu la raison ?

Que va-t-on devenir si la Reine est morte ?

La jeune femme désactiva par réflexe son pouvoir télépathique et tourna la tête vers Malick, qui était toujours inconscient.

Adoba se releva, en tenant dans ses bras le corps sans vie de sa sœur. Il porta son regard d'aigle sur Awilé sans mot dire, puis sur la cour de la défunte reine, dont les membres semblaient désemparés, à commencer par le griot d'Okowalé. Celui-ci s'approcha prudemment du prince et lui murmura :

  • Prince Adoba, dois-je...
  • Non, Mako.

Le griot acquiesça en tremblant comme une feuille, avant de retourner s'asseoir près du trône vide. Adoba se tourna ensuite vers la foule silencieuse et déclara d'une voix forte :

  • Peuple abaméen ! Notre reine n'est plus. Je décrète aujourd'hui et maintenant la fin de ce tournoi meurtrier. Jamais plus nous ne ferons combattre des captives. Jamais plus nous ne ferons enfermer des innocents. Désormais, Abamey est un territoire awoularé. Ceux et celles qui ne pas d'accord avec ces nouvelles règles sont libres de quitter l'île immédiatement. Et pour toujours.

Une bonne partie du public, affolée par ces nouvelles directives, se leva brusquement pour sortir précipitamment de l'arène.

Il jeta à la cour un regard incendiaire, puis toisa l'ensemble des Gardiens qui se tenaient non loin et qui venaient de poser un genou à terre devant leur nouveau souverain. Adoba se tourna une nouvelle fois vers Awilé et reprit :

  • Je me dois de respecter les règles. Tu as su terrasser à ta manière notre Champion, pour la première fois depuis la création de ce tournoi absurde.
  • Adoba, je ne peux... je ne peux pas accep...
  • Si et tu n'as pas d'autres choix que d'accepter ce que je dois t'offrir, ainsi que notre hospitalité, ne serait-ce que pour quelques jours. Malick a besoin de soins et toi aussi, étant donné les derniers jours éprouvants que vous avez enduré. Sache donc que tu es désormais la gardienne de notre trésor le plus inestimable.
  • De... de quoi parles-tu, Adoba ? lui demanda Awilé d'une voix sourde.
  • De notre coquillage sacré, le Kademaye, qui sait indiquer depuis des millénaires à son porteur la manière d'accéder à des lieux introuvables. À commencer par la source magique des Anciens, qui s'appelle Makétété, ainsi que le territoire des Justes de Kouwouloussi.


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