Rêve saugrenu

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Il fait chaud.

Le mois d’août bat son plein et une chaleur étouffante envahie la ville de Toulon, dans le Var, depuis déjà plus de deux mois. Cette nuit, ma chambre est littéralement un four, le thermostat culmine à 32°C.

J’ai beau avoir enlevé les draps, les haïssant au point de vouloir les brûler, je ne parviens tout de même pas à m’endormir.

La sueur colle à ma peau et je me sens poisseuse. J’ai attaché négligemment mes longs cheveux bruns en une tresse modeste, seulement pour éviter d’avoir encore plus chaud.

Après plus d’une heure à chercher le sommeil en vain, je décide de me lever pour me réhydrater.

Mon appartement est petit. Une simple chambre et une cuisine ouverte sur le salon, prolongé seulement par un balcon si petit que je ne peux même pas y installer une chaise. Mais vu le prix de l’immobilier en ce moment, je ne pouvais pas me permettre plus. J’aurais pu tomber bien plus bas, je suis au quatrième et dernier étage et un gardien protège l’immeuble d’éventuels cambrioleurs.

De toute façon, les malheureux seraient bien déçus, je ne possède pas grand-chose de valeur.

Pieds-nus, seulement vêtue d’un haut court et d’un short, lui aussi trop court, je m’approche de ma cuisine dans l’idée d’attraper un verre d’eau.

C’est le bruit d’un froissement de vêtement qui m’interpelle en premier. La lumière éteinte, je ne distingue pas grand-chose, mais quand je plisse les yeux, j’aperçois une silhouette, près de la plaque à induction.

Mon sang se glace, je me fige, paralysée par la peur. Mon cerveau ne sait pas comment réagir : Fuir ou combattre ? Il n’opte manifestement ni pour l’un, ni pour l’autre et je ne peux plus esquisser un mouvement.

La silhouette reste immobile, je n’ai pas l’impression que la personne qui a fait irruption chez moi remarque ma présence. Sans un bruit, je recule vers le placard de l’entrée et m’empare de la première chose qui me tombe sous la main : le parapluie Minnie de ma nièce préférée. D’un geste plus vif, j’appuie sur l’interrupteur et le brandis comme une arme.

Alors je le vois, son geste suspendu comme si le temps l’était. Une enveloppe dans la main droite, qu’il semblait s’apprêter à poser sur le plan de travail, une de mes tasses de café dans l’autre. Je fronce les sourcils et il relève la tête vers moi.

Je ne sais pas ce que vaut mon instinct de survie, mais je ne peux m’empêcher de trouver l’inconnu irrésistiblement beau. Il se redresse et je remarque qu’il est grand, ses cheveux bruns emmêlés et sa barbe de trois jours lui octroient étrangement un bonus charme.

Cependant, son accoutrement détonne. Je n’ai jamais rien vu de semblable auparavant. Son pantalon a tout l’air de sortir de l’armoire d’un clown, tandis que sa veste, elle, ressemble à un sac poubelle de cent litres.

Je n’ai pas le temps de le détailler plus, il lâche l’enveloppe et court vers la baie vitrée qu’il ouvre à la volée. Il s’approche de la rambarde et l’escalade pour sauter par-dessus.

- Non !!

Je pousse un cri strident lorsque je comprends qu’il va sauter dans le vide, à quatre étages au-dessus du sol bétonné de la rue. Mais tandis que je reste figée sur place, je suis éblouie par un éclair de lumière et mes yeux se ferment par réflexe.

Lorsque je me précipite vers l’extérieur, je me penche. Les yeux mi-clos, je crains d’apercevoir son corps sans vie, mais je ne peux pas m’empêcher de vouloir constater qu’il est bien là.

Ce n’est pas le cas.

Rien. Il n’y a absolument rien à voir. J’ouvre carrément les yeux maintenant, perdue. Où est-il ? On ne peut décemment pas faire un saut de cette hauteur sans atterrir en plusieurs morceaux !

Je recule et entre à nouveau dans mon salon, le cœur battant si fort qu’il va certainement sortir de ma poitrine et passer par-dessus la rambarde, lui aussi.

Je m’assieds sur mon canapé et me pince, pour m’assurer que je ne dors pas. Comment cela pourrait-il être autre chose qu’un rêve ?

Enfin, elle s’impose à moi, tombée au sol, jetée sur mon carrelage couleur crème. Je me penche en avant et la ramasse, la retourne entre mes mains. Rien n’y est écrit, même pas un petit mot d’excuse pour le dérangement.

J’ouvre l’enveloppe et y découvre une carte – vierge elle aussi, que j’ouvre. Aucune inscription non plus, je fronce les sourcils, perplexe et une sensation étrange m’envahie. Je perds connaissance.

J’ai l’impression que tout mon être est aspiré de l’intérieur, en commençant par mon âme. Ma vision se brouille et je suis prise de nausées, je ne sais plus où se trouve le haut et j’ignore si le bas existe encore.

L’air n’est plus, chaud, froid, tout se mélange et mes sens sont perdus, une odeur m’agresse les narines et je m’apprête à éternuer, mais j’ignore même si je parviens encore à respirer.

D’un coup, tout s’arrête. Je m’écrase au sol et ma conscience reprend ses droits.

Mes mains sont en contact avec une matière que je ne connais pas, est-ce du sable ? Du goudron ? De l’herbe ? Les trois en même temps ?

Lorsque je regarde autour de moi, ma cuisine et mon salon ont disparus, laissant place à une étrange bâtisse qui se dresse, immense, devant mes yeux. Le ciel prend des teintes bleutées, parsemé de tâches orange par endroit.

Je m relève, époussetant la matière étrange qui colle à mes jambes nues. L’air semble solide, je peine à reprendre ma respiration et l’odeur d’iode me chatouille le nez.

Où suis-je ?

C’est le seul questionnement logique que mon esprit parvient à formuler. Où suis-je ? Alors que rien ne m’est familier dans cet endroit, j’aperçois quelque chose, à quelques mètres de moi, qui l’est.

Une silhouette.

Elle s’approche de moi, d’un pas nonchalant, d’une démarche régulière, mais déterminée. Plus elle s’avance et plus je peux distinguer ses contours, malgré la faible luminosité de ce ciel insolite.

C’est l’homme, celui qui s’est introduit chez moi. Arrivé à ma hauteur, je l’observe sans un mot, aussi paniquée qu’intriguée. Il se tient immobile, les mains dans le dos. Il est bien plus grand que moi et ses yeux d’une couleur indescriptible me scrutent.

- Bonjour, Mélodie. Je t’observe depuis longtemps.

Je ne réponds rien. Tant de questions se bouscules dans ma tête que je ne peux même pas me décider à en choisir une. Je reste juste plantée là, si perdue que la seule pensée qui traverse mon esprit est que je suis bien trop dévêtue pour une entrevue avec cet étranger.

- Je suis chacun de tes faits et gestes depuis plusieurs années. Tu as grandi et évolué et maintenant il est l’heure.

- D’aller me coucher ? Visiblement. Je suis bien plus fatiguée que je ne le pensais.

Il sourit, mais je ne sais même pas si je voulais réellement être sarcastique. Le fait est que je ne peux pas rationnellement penser que ce que je vis est réel.

- Aujourd’hui, il est temps. Temps de t’annoncer que tu es l’élue.

- Ah, moi, c’est Mélodie, pas Néo. La pilule bleue s’il vous plait.

Je tends une main tremblante, au bord de l’hystérie. Comme si mes paroles n’étaient que du vent, il m’ignore et poursuit.

- Je suis l’empereur de ce royaume. Et tu as été choisie, le jour de naissance, pour devenir ma femme.

Le sarcasme n’est plus de rigueur, je suis juste estomaquée par la situation. Un rire nerveux monte en moi et j’éclate de rire. L’homme face à moi attend que je reprenne contenance, ce que je fais après un certain temps.

Alors, il sort ses mains, dissimulées dans son dos depuis le début de cette folle entrevue et me tends un objet , orné de fleurs s’enroulant autour d’un cercle doré.

- Sois l’impératrice qui guidera notre peuple à travers de nombreuses décennies. Accepte ma proposition et prend cette couronne en guise de ma loyauté.

Il s’agenouille devant moi, baisse la tête et tend ses mains à la hauteur des miennes, la tiare fleurie en guise de présent.

C’est un rêve, c’est forcément un rêve. Il ne peut s’agir que de ça.

Consciente de ce fait, je me prends au jeu. J’avance mes mains et m’empare du cercle fleuri pour le placer sur ma tête. L’inconnu se relève et ses lèvres se retroussent, laissant apparaître un sourire qui en ferait tomber plus d’une.

- Tu m’en vois ravi. Je te laisse quelques jours pour faire tes adieux à ta planète. Nous nous reverrons à ce moment-là.

Je me réveille en sursaut, dans mon lit trempé de ma propre sueur. Je m’assieds, et passe une main sur mon visage suintant. Rassemblant mes pensées, mon rêve me revient en mémoire et je lâche un petit rire. La télé en face de moi tourne sur l’épisode deux de la guerre des étoiles.

- Il faut vraiment que j’arrête de m’endormir devant la télé.

Je me lève, passe devant le salon et attrape un verre d’eau dans un des placards blanc suspendu au-dessus de l’évier de la cuisine. Je le remplis et retourne dans ma chambre.

J’attrape la télécommande et éteints la télévision d’un geste. Lorsque je m’assieds au bord du lit, mes fesses rencontrent un objet. Je le retire et l’observe en fronçant les sourcils. La faible lueur de la lune laisse passer un rayon bleuté à travers la pièce et j’entrevois ce que je tiens. Mon sang se glace et mes mains ne me répondent plus. Dans le même temps, deux choses s’écrasent au sol : le verre d’eau, qui se brise sur le carrelage et une couronne de fleur.

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