L'Outre-tome
Tom avait quitté les aventures du tome quatre avec tous les encouragements de sa protagoniste. À force d’errer dans les landes poussiéreuses qui s’étendaient aux bordures du monde magique, il avait ainsi fini par retrouver la réalité des Oubliettes : un froid manteau de ténèbres où les définitions se voyaient dépossédées de leur sens. Il comprenait pourquoi les personnages du récit qu’il quittait ne pouvaient pas le suivre ici, jusqu’en dehors de leur réalité fantastique ; ils étaient attachés par les intrigues, les relations et les objectifs que l’aigrefin leur avait créés, comme des chaînes de phrases liées au piquet de l’abandon… De la même manière qu’il avait lui-même été tenu autrefois par son point unique.
Malgré tout, les mots qu’il avait vus gambader dans ces étendues de prairies scintillantes lui paraissaient mille fois plus libres qu’il ne l’était. Ils avaient un but, une signification capable de donner une vision d’ensemble au décor de leur histoire. Il leur manquait peut-être une fin pour libérer leur plein potentiel, mais Tom, privé du moindre contexte, n’avait pu les regarder qu’avec nostalgie. Il était bien seul, dans cette caverne sans inspiration.
Alors, au loin, il crut apercevoir quelque-chose. Un nouveau tome dans la collection des Oubliettes ? C’était quand-même petit… Mais peu lui importait : une chose, aussi insignifiante fût-elle, suffisait à chasser l’ennui du rien de ces contrées. Tom s’approcha, serrant son livre contre lui.
L’idée, mise en vrac par-là, au milieu de nulle part, vint à sa rencontre à mi-chemin lorsqu’elle le vit arriver. Il s’agissait d’une créature abstraite, le regard mauvais qui brillait du fond de son âme ; elle était dotée de puissantes pattes de serpent, de crocs acérés comme ceux du faucon et d’immenses ailes de scorpion.
Peut-être était-elle supposée servir de méchante ? Mais ici, sans histoire pour l’accompagner, elle était surtout perdue.
— Salut, fit Tom sur le ton de la conversation.
Et la créature gronda avec la férocité d’un requin rugissant. Heureusement, il n’avait pas assez de qualificatifs pour se sentir effrayé ou non.
— Moi, je suis Tom. Je suis un mot à la recherche de mon histoire.
La bête ne semblait pas intéressée par sa présentation. Elle était tapie tel un fauve sur le point de fondre sur sa proie dans les grands fonds marins.
— Mouais. Je dois trouver l’être qui nous a abandonnés dans cet état… Il sait sûrement ce qui est arrivé à mon tome. Et puis, peut-être qu’il pourrait te donner un sens, à toi aussi.
L’animosité de la créature était toujours intense, mais Tom tendit la main sans se formaliser :
— Je ne suis qu’un mot sans contexte, et toi, apparemment, tu es une créature en manque de descriptifs… Et si on devenait amis ?
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