Le Blocage savait qu’Elle était là, bien qu’il ne la distinguait pas au travers de ses propres fumées turpides.

— Tu es revenue ! s’émerveilla-t-il. Après toutes ces années ! Pourquoi maintenant ?

— Tu ne le vois donc pas ? étincela-t-Elle en réponse. Je suis là parce qu’il m’appelle.

— L’aigrefin ?

— Non. Tu sais bien que lui n’est pas capable de m’invoquer selon ses désirs.

— Qui, alors ?

— Ce mot que tu étouffes.

 Le Blocage n’en revenait pas :

— La petite locution ? Il aurait réussi ? Il m’aurait enfin libéré de mes entraves ?

— Tu ne comprends pas, décidément. Toi seul pouvais te libérer.

— L’aigrefin m’a condamné ici. Tu es partie, et tu m’as laissé seul avec lui !

— Pourtant, tu n’as jamais cessé d’être libre.

 L’intéressé demeura perplexe.

— Vas-tu me sauver ? demanda-t-il, presque suppliant.

— Tu aurais dû le faire avant, au lieu de blâmer les autres pour les chaînes que tu t’es inventées. Tu étais un personnage, mon cher. Tu avais une relation unique avec le créateur ; et pourtant, tu as choisi de te voir comme sa chose. Tu as décidé de lui confier ton existence, et voici l’essence qu’il t’a assignée en échange.

— Mais… Pourquoi venir ici, alors, si ce n’est pour me déchaîner ?

— Je ne suis pas dans ton récit, mon cher.

*

 Si Tom ne pouvait franchir le Blocage de cette funeste histoire, qu’à cela ne tienne. Assailli par les milliers de fantômes errants, par les murs d’idées mortes qu’ils érigeaient pour étouffer la moindre de ses inspirations, il leva son point en signe de protestation.

 Puis il leva un deuxième point. Et ainsi entre les deux, voilà qu’il se trouvait au centre de l’intrigue. Au centre de son intrigue ; celle du tome trois qu'il gardait toujours contre lui.

 Parmi les lignes de cette histoire qui était la sienne, il y avait une bête aux ailes de scorpion, aux crocs de faucon et aux griffes de serpent… Il y avait aussi un château porté par les spectres qui le hantaient, et même un Blocage qui voulait l’empêcher d’en sortir.

 Mais ils n’étaient que des idées tournant autour de lui, remplissant les pages de décors et de personnages pour lui donner un sens.

 Et alors, ainsi muni de son tome trois, de la précision de sa langue, du tranchant de son verbe, du souffle de son rythme…

Tom perça enfin le Blocage.

Il était dans son histoire, et c'est lui qui continuerait de la faire avancer.