Samuel Leclère
C’est à deux heures du matin un lundi de janvier deux mille dix huit que le bruit crispant du téléphone perturba ma partie de jeu vidéo nocturne. Je ne pouvais abandonner ce qui était pour moi la seule chose qui importait dans ma vie : être le meilleur survivant dans Dead by Daylight. « Deux minutes ! », hurlai-je. Le téléphone continua à sonner pendant plusieurs secondes. Puis, le délai de réponse fut dépassé. J’étais proche de gagner la partie, accroupit derrière un rocher et prêt à m’enfuir par la trappe, lorsque le téléphone retentit à nouveau… Bam ! Le tueur me lança une hache par derrière et c’était la fin.
— Bon sang Samuel, il était derrière toi ! T’es sourd ou quoi ? se mécontenta, Jack, mon partenaire de jeu New yorkais.
— C’est le téléphone ! Je n’entendais plus rien… Bordel ! m’énervai-je tout autant.
— Allez, les gars, c’est qu’un jeu ! répliqua Adam pour détendre l’atmosphère.
Adam était le plus humble de nous trois. Toujours pacifique et patient, il endurait nos caractères de mauvais joueurs. Après tout, comme le disait souvent Jack, les canadiens sont gentils !
Je me levai et je regardai le combiné du téléphone. C’était un numéro inconnu. A une heure si tardive, peut-être était-ce important ? Je décrochai.
— Samuel Leclère. C’est qui ? m’annonçai-je.
Je ne reçus aucune réponse. Je n’entendai que le bruit de fond du téléphone. J’insistai pour savoir qui était à l’appareil, mais sans succès. Le silence. Je raccrochai et rejoignis l’ordinateur.
— Hey, cet imbécile m’a fait perdre et en plus, il ne répond pas, me lamentai-je.
J’enfilai mon casque audio, mais Jack et Adam semblaient avoir quitté la discussion vocale.
— Les gars, vous êtes là ?
Aucune réponse. Avec la médiocre partie que nous eûmes eu joué, il était possible qu’ils aient pris une courte pause. J’attendai leur retour. Une trentaine de minutes après, le temps commençait à être long, puis une heure. M’avaient-ils laissé en plan ? Je retournai au téléphone et composai le numéro international de Jack. Avant que je ne puisse appuyer sur le bouton vert, l’électricité de ma vieille maison de campagne se coupa. Cela était fréquent par chez nous. Jack ne supportait pas mes déconnexions courantes. « Fait chier » réagis-je sur le moment. Je me rendis dans le garage où se trouvait le disjoncteur. J’essayai de tout rallumer, mais rien ne fonctionnait.
C’est à ce moment-ci que je l’entendis… La tueuse aux haches. « na na na na… », chanta-t-elle. Je crus à une mauvaise blague jusqu’à ce que sa hache s’élança à travers la vitre du garage et s’encastra dans le disjoncteur. Mon cœur monta en pression, j’eus l’impression qu’il allait exploser. Le souffle étouffé par la peur, je me précipitai à l’intérieur de la maison. Je l’entendis s’approcher et j’aperçus par la fenêtre son ombre se dirigeant vers la porte d’entrée. Son chant était de plus en plus fort. Devant la porte d’entrée, je restai tétanisé. Ses bruits de pas résonnaient. Un silence. Elle se tenait devant l’entrée… Le silence ne durera que quelques secondes. De longues secondes pour moi. Puis, elle assena un premier coup de hache dans la porte. Le bois tremblait sous la force de la chasseuse. Et un deuxième coup, celui-ci cassa une partie de la porte… Je voyais son visage à demi couvert par un masque blanc ensanglanté en forme de tête de lapin. Je tremblai de terreur, jamais je n’avais eu aussi peur. J’eus cette impression de voir la mort devant moi, comme les personnages du jeu vidéo.
J'ai pris la porte arrière de la maison. Je me retrouvai dans le jardin. J’aperçus un placard de rangement pour les outils. Il était rouge. Je pensai qu’il s’agissait d’une bonne cachette jusqu'à ce que je m'aie souvenu de mes parties de jeu. La chasseuse prenait ses haches dans ce genre de placard. Il était alors imprudent de s’y cacher. Je continuai mon chemin. J’étais à bout de souffle. Je courrai si vite dans l’ombre de la nuit. Pendant ma course, une hache manqua de me toucher. Elle se coinça dans le tronc d'un arbre. Elle était derrière moi. Je m’enfonçai dans une forêt de grands pins. Je courrai, elle marchait d’un pas rapide et serein. De plus en plus, l’écart qui nous séparait se rétrécissait. Nous étions à peine à 100 centimètres l’un de l’autre, alors que je me dirigeais vers une cabane en bois endommagée. Je ressentais le souffle ténébreux du monstre refroidir mon dos. J’étais proche de la bâtisse quand elle levait sa hache et s’apprêtait à en finir… Il lui suffisait d’un seul coup pour mettre fin à mon existence, mais la vie me sourit.
Au moment où elle tenta de m’éradiquer, je sautai énergiquement par-dessus le cadre de fenêtre des ruines. La lame de la bête heurta le bois et me laissa une précieuse seconde pour disparaître dans l’ombre. Je me cachai en dessous d’une vieille palette en bois à l’arrière des ruines. J’entendis l’être me rechercher dans les environs des décombres. « Na, na, na, na… » chanta-t-elle à nouveau d’un air si terrifiant. Chaque seconde que je supportai l’horrible chanson de la tueuse, mon état mental se dégradait. Je commençai à devenir fou. Je ne saurais expliquer ce sourire qui apparut sur mon visage. Je me mis inconsciemment à chanter avec la chasseuse. La folie dans laquelle la peur m’avait embarqué pouvait me coûter la vie. La chasseuse avait retrouvé sa proie.
J’avais perdu toute forme de lucidité. Je m’offris totalement au cauchemar. L’ombre s’empara à nouveau de moi alors qu’elle s’approchait. Je chantai, toujours et encore… J’entendis son rire. Un rire psychopathe, satisfait. Elle voyait sa victoire arriver. Mais, elle se trompait. Un simple cri de corbeau et je me réveillai. Sans pouvoir l’expliquer, j’eus le réflexe de soulever la palette contre la tueuse. Son rugissement de douleur provoqua un séisme dans la forêt. Je repris ma fuite dans la forêt. Je pensais que le monstre était assommé, mais la psychopathe masquée s’en remit en quelques secondes. Elle reprit la chasse. Elle était très en colère. Elle lança une première hache qui me rata, puis une seconde. Je courrai toujours et encore plus vite. Mais, une des haches me blessa à la jambe droite. Je tombai au sol en émettant un douloureux cri. Je ne pouvais plus bouger. Je la vis venir jusqu’à moi. Ma vision devint floue au moment où elle se tenait devant mon corps. C'est à ce moment que je perdis connaissance.
Je me réveillai difficilement sans savoir depuis combien de temps j’étais endormi. Lorsque mes yeux eurent été complètement ouverts, je me retrouvai dans une salle fermée. J’étais accroché à une entité faite de chair dont la forme était comme un crochet. Le bout de ce crochet me transperçait l’abdomen et me suspendait au-dessus du sol. Quand je restai immobile, cela n’était pas douloureux, mais quand je tentai de me débattre, une douleur dans la poitrine m’empêcha de résister. Cette entité de chair m’empêcha de faire le moindre mouvement. La bête avait gagné… Je réalisai que j’allais mourir. Je ne pouvais pas retenir mes larmes. Je pleurais à gros sanglots… C’était la fin. Je pensai à ma famille, à Jack et à Adam, à toutes ces personnes qui m’ont rendu heureux. La chasseuse pénétra la pièce, mais ma peine était si grande que je finis par accepter mon destin. Il n’y avait plus de peur, mais des larmes. Il n’y avait plus d’ombres, mais le vide. Elle me fixait. Les yeux noyés, je la regardai à mon tour. C’était la première fois que je la voyais sans détourner l’œil. Tue-moi », lui dis-je avec un air dépité. Plusieurs fois je lui répétai ces mots, mais elle restait silencieuse.
— Pas moi, sourit-elle. Elle.
La tueuse pointa du doigt la forme de chair qui m’emprisonnait. Des bras pointus de l’entité allaient en finir avec moi, mais je les repoussai de toutes mes forces.
— Toi, tue-moi ! criai-je à la chasseuse.
Les bras de l’entité s’enfonçaient contre moi, mais je continuai ma résistance. Ils étaient à deux centimètres de mon cœur. Je les maintenais à distance comme je le pouvais, mais je n’étais pas assez fort pour cela. D’une seconde à l’autre, mes muscles pouvaient lâcher.
Je me rappellerai toujours de ce moment : après les ténètres, l’espoir vint ! Une lumière d’une puissante lampe torche aveugla la chasseuse. Elle hurla, comme-ci qu’elle brûlait dans un bûcher. Quand je regardai la porte de la pièce… miracle ! C’était Jack !
— Laisse mon ami français, pauvre tâche ! cria Jack avec héroïsme.
La tueuse criait. Et puis, c'est Adam qui apparut avec une hache ! Mes amis étaient venus me porter secours… Comment cela était-il possible ? Adam et Jack habitent sur un autre continent à l’autre bout du monde ! Peu importe, le plus important est qu’Adam ait amputé les bras de l’entité avec sa hache, avant de me décrocher des liens qui m'unissaient à ce démon. J’étais affaibli, mais pour la première fois, je ressentais la vie revenir en moi.
— Adam ! dis-je, affaibli.
— Je suis content de te revoir, Samuel. Passe devant, je te couvre !
Jack continua à aveugler la chasseuse. Je pus m’enfuir de la pièce grâce à Adam.
— Vas-y, le canadien ! hurla Jack.
Adam me rejoignit sans moindre mal. J’étais blessé. Ma jambe saignait, mais le plein d’émotion anesthésiait la douleur.
— Adam… Adam… tombais-je en sanglots.
— Ne t’inquiète pas, Samuel, c’est terminé… C’est terminé… me répondit Adam.
Jack réussit quelques secondes plus tard à sortir de cette pièce démoniaque. Ils m’aidèrent tous les deux à me relever et comme sur le jeu Dead by Daylight, nous nous unîmes pour fuir cet enfer. Nous remontons un grand escalier qui nous mena à l’entrée de la cabane de la tueuse, puis à l’extérieur. Nous traversons toute la forêt sans revoir la tueuse jusqu'à arriver devant un portail électrique.
— Ouvre-nous ceette foutue porte, Adam ! s’énerva, comme à son habitude, Jack.
Adam actionna la vieille manivelle. Lorsque le portail fut totalement ouvert, nous crûmes en avoir terminé, mais la psychopathe était de retour… Je me dirigeai vers la sortie avec Jack sans avoir remarqué sa présence. Seul Adam l'avait remarqué. La chasseuse leva l’une de ses haches et l’élança en notre direction.
— Attention ! Jack ! Samuel ! cria de désespoir Adam.
Mais il était déjà trop tard. Adam se mit au travers de la trajectoire de la hache et se sacrifia pour l’équipe… Lorsque nous nous retournâmes, Adam avait une hache logée dans son torse. Il tomba à genoux.
— Adam ! criai-je d’un coup.
— Je vous aime… Mes amis… Je ne vous oublierai jamais…
La chasseuse s’approcha d’Adam.
— Non ! tombais-je en sanglots.
D’un seul coup de hache, elle l’acheva sans la moindre pitié. Une douleur m’oppressait dans la poitrine. Une douleur indescriptible. Cette douleur, c’est celle que nous ressentons lorsque nous perdons une part de nous-même. Mon corps commençait à être envahi par ce mal… Ce sentiment, c’était l’amour… Jack me tirait de toutes ses forces. Sur le chemin, dans la voiture de Jack, je perdais cet espoir qui s'était vu renaître lorsque mes deux grands amis étaient venus me sauver du cauchemar que je vivais. Je ressentais la mort.
Je ne réussis pas à dormir de la nuit. Les images de la mort d’Adam me hantaient. Je les revoyais à chaque fois que je restais immobile. Le lendemain vers dix-sept heures, la police cogna à la porte de la maison dans laquelle Jack et moi nous étions réfugiés.
— Vous êtes bien Samuel Leclère ? demandèrent les deux policiers.
— Non, je suis son ami, Jack Riggs. Entrez, je vous en prie…
Les policiers me rejoignirent dans le salon.
— Monsieur Leclère. Nous avons quelque chose d’important à vous dire. Puis-je m’asseoir ? me dit l’un des agents.
Je répondis par un signe positif de la tête, toujours désorienté par ce que j’avais vécu.
— Écoutez, Samuel… Il semblerait que la personne que vous nous avez décrite s’est donné la mort dans les bois. Mais, je ne suis pas seulement venu vous voir pour vous annoncer cela. J’ai reçu une information que je me dois de vous révéler.
Je levai la tête pour la première fois et posa mon regard sur le visage de ce policier. Il semblait avoir la quarantaine. Il était bien rasé et avait les cheveux très courts. Je me rappelle qu’il avait une expression particulière qui inspirait la confiance.
— Samuel… Nous avons identifié votre agresseur et il s’avère que nos informations sont très claires. Il s’agit de votre mère biologique.
Ma première réaction fut de ne pas croire ce que disait le policier. Cela ne pouvait qu’être improbable. Mes parents biologiques m’ont abandonné après l’accouchement. Je n’avais jamais entendu parler d’eux. Je pensais même qu’ils étaient morts.
— Mes parents biologiques sont morts, monsieur… répondis-je avec un ton maigre et déprimé.
Le policier insistait du regard. Je compris qu’il disait la vérité.
— Je suis désolé, Samuel. C’est difficile pour moi de vous l’annoncer, mais c’est la vérité. Selon les premiers résultats de l’enquête, votre mère biologique voulait vous éliminer pour soulager ses remords liés à votre naissance.
Ma propre mère que je n’ai jamais vue voulait me tuer parce que j’étais un fardeau dans sa vie ? C’est effrayant !
— Soyez-en sûr, Samuel, vous n’avez plus aucune raison d’avoir peur aujourd’hui. C’est terminé. Si vous avez besoin de parler à quelqu’un, vous pouvez m’appeler à ce numéro. Je serai toujours là pour vous.
Je saisis la carte professionnelle que me tendit le policier et me contentait de lui répondre par un hochement de tête.
Quelques jours plus tard, j’assistai à l’enterrement d’Adam dont le corps fut retrouvé par les autorités. J’étais chargé de prononcer un discours.
— La vie est courte et pleine de ténèbres, mais Adam était une lumière pour nous tous, commençai-je. Dans les moments sombres, il souriait. Il était gentil, il était toujours là pour nous…
L’émotion prit le dessus. Je devais prendre une pause. Les larmes coulaient sur mes joues quand je me remémorasse le visage de mon ami.
— Adam est un héros. Il nous a sauvé la vie. Il n’a pas hésité un seul instant à sacrifier la sienne. Qu’est-ce qu’un vrai ami ? C’est une personne qui vous aime, même dans les moments les plus sombres. Adam était l’exemple du meilleur ami. Et je ne l’oublierai jamais.
Adieu Adam.
Nous sommes le 21e jour du mois d’août 2150. Ce document est issu de l’expérience X-165. Cette histoire a été écrite par le sujet Samuel Leclère. Lorsque nous lui avons administré la cellule, tout semblait se passait sans dysfonctionnement. Mais au fur et à mesure que les minutes passaient, l’état du sujet se dégradait et provoquait des phénomènes incontrôlables dans son organisme. Au lieu de lui raviver de profonds souvenirs très lointains, la cellule a mélangé des souvenirs réels et irréels. L’expérience est un échec. Nous allons devoir recommencer avec un nouveau sujet, mais, je dois vous le dire, monsieur le président, que les sujets de plus de 100 ans sont de moins en moins nombreux. La mémoire de la Terre sera à jamais oubliée si l'expérimentation sur le dernier survivant ne parvient pas à subvenir à nos attentes.
Signé, le professeur Archer Stein, chef de la commission scientifique américaine de la colonie Houston sur la planète Zao 4P3.
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