Sur des tables de pierre
Au moment de franchir la porte, une violente secousse fit vaciller l’ensemble du complexe. Le sol, les murs, l’éclairage, autant que les cœurs les mieux accrochés, furent ébranlés. Chancelant sous le poids de la surprise, la respiration altérée par l’angoisse oppressante, Jérémie, plaqué contre le sol, semblait hypnotisé par l’effet stroboscopique des veilleuses suffocantes.
« Restez près de moi, tenez bon, l’inquiétude ne sert à rien », dit Jonas dans le but de le rasséréner.
Le calme revint, les poussières expulsées des parois pierreuses achevaient leur ballet avant de mourir sur le sol terreux, non sans avoir offert ce spectacle kaléidoscopique dans son affrontement perdu contre la lumière.
Le silence était discontinûment interrompu par des râles aux tonalités souffreteuses.
« Qu’est-il arrivé ? » osa enfin demander Jérémie.
« Nous avons peut-être été repéré…je n’ose imaginer que cela soit arrivé par votre faute. » asséna froidement Jonas.
Sans qu’il s’en aperçu, la main de Jérémie se crispa sur le bras gauche de Jonas, auquel il s’était attaché machinalement au cours de l’attaque. Se sentant déjà redevable d’une dette qu’il songeait ne jamais pouvoir honorer, il était maintenant potentiellement la cause de leur perte. Ravalant sa salive, aussi amère qu’un acide lui rongeant les entrailles, l’anxiété semblait le consumer de l’intérieur. Il parvint tout de même à lâcher le bras de son bienfaiteur et à deviner que Jézabel s’enquérait de son état, non qu’il entendait quel que son que ce soit, mais il devinait les mots articulés par les déformations de la bouche de cette jeune femme aux expressions fières et décidées.
« Monsieur Quint ? Tout va bien ? Vous m’entendez ? Monsieur ?! » insistait Jézabel.
« Oui…euh, oui, très bien, et vous ? Et les autres ? » marmonnait Jérémie, avec le regard de quelqu’un ne maîtrisant pas plus sa pensée que ses mots.
« Vérifier et réparer les générateurs, il nous faut rétablir et assurer les services vitaux, puis occupez-vous des blessés, recenser les dégâts, communiquez-moi un rapport tous les quarts d’heure. Envoyez Hiymir et Teucer à la surface, qu’ils nous éclairent sur la nature de l’incident…avons-nous été visé à dessein ? Est-ce un dégât collatéral ? » Jonas, le ton martial, le port altier dans son uniforme aux galons étincelants, maitrisait chacun de ses gestes, ses regards autant que ses paroles atteignaient toujours leurs cibles, l’âme, le cœur et la fidélité de ses soldats.
« Jérémie, suivez-moi dans ma cellule » poursuiva-t-il.
Nos deux hommes arpentaient les méandres tortueux de leur caserne glaiseuse. Ça et là, ils étaient ralentis par des obstacles fait de pierre et de chair, suite aux éboulis provoqués par l’impact récent. Les tranchées labyrinthiques semblaient composés de chemins qui ne mène nulle part, quand, enfin, ils finirent par atteindre une pièce singulièrement haut de plafond, vaste et illuminée par des flambeaux.
Ses dimensions contrastaient avec l’exigüité du reste de la base. Formant un rectangle imparfait, elle devait avoisiner les 30 m2. Les trois murs étaient parés de bibliothèques à l’aspect frêle, ou de minces étagères gondolant, par le milieu, sous le poids des ouvrages. L’ensemble devait représenter quelques trois mille livres, Jérémie ne pu s’empêcher de chercher du coin de l’œil des titres familiers.
Des essais, principalement, jalonnaient les différents étages, philosophiques, beaucoup, théologiques, politiques, sociologiques. Des tomes sur le droit, l’éthique, la géopolitique, la stratégie ainsi que de nombreux écrits sur la guerre en général.
« Bienvenu chez moi. Un thé ? Une infusion ? Café ? Je déconseille ce dernier… » s’exclama Jonas, d’un air guilleret, tranchant avec le contexte.
« Heu…n’importe…un café ! Fort, si vous pouvez… » bégaya Jérémie, semblant peiner à recouvrer l’intégralité de ses facultés neuro-logiques.
Jonas invita Jérémie à s’asseoir sur le cuir exténué d’un fauteuil marron, typique de ces gentlemen’s club londoniens. Il prit la parole, sa face parut soudainement plus blême, des traits jusqu’alors invisibles burinaient son visage désormais hâve. D’un air éthéré, les paupières closes, il débuta :
« Il y a quinze ans, peu de temps après votre mise en rétention, le plus grand fléau qu’ait connu l’Humanité décima plus de 10 milliards d’individus, sur les douze milliards d’âmes recouvrant alors notre planète. On cru d’abord à une mutation de la grippe saisonnière, puis se profila le scénario de la grippe espagnole, en vérité la cacophonie scientifique amplifia encore un peu plus la défiance des peuples envers tous discours, dit, officiel. Le virus agissait en réalité sur le système immunitaire, comme le VIH, il le désarmait totalement, on ne mourrait pas de cette « grippe », mais du moindre rhume, de l’infime petite entaille qui s’infectait…La plupart des pays dotés d’un Etat faible s’enflammèrent au cours d’émeutes urbaines sans précédent, chacun se mit à se faire justice soi-même et à tuer pour un morceau de pain, un sac de farine, quelques pommes…
Sur les 2 milliards d’habitants restant règne une puissante oligarchie, désormais débarrassée de « l’homme superflu » ; en effet, depuis l’émergence des machines, de l’intelligence artificielle omniprésente, qui a besoin de bras ? Ou même de cerveaux lambdas avec leurs lots d’irrémédiables défaillances et d’insatiables convoitises ?
Evidemment, l’immense majorité des masses, tellement abrutie par la « rééducation nationale », la non transmission de la culture, l’absence d’esprit critique et sa mise sous perfusion des médias officiels – sans oublier la menace de mort social pour les « réactionnaires » de tous calibres – goba le mensonge éhonté du prétexte de la « catastrophe naturelle ». Et comble du mépris, on fit porter le prix de cette tragédie sur les épaules des victimes…c’était de leur faute, il fallait consommer, produire, vivre autrement…en respectant la « nature » etc.
Je sais, tout ceci doit vous paraître absurde, digne d’une tribu dont je serais la tête pensante, un complotiste de plus…..Surtout que cela n’est pas sans rappeler le projet inscrit dans la pierre des Georgia Guidstones….et pourtant…nous en sommes bien là, aujourd’hui.
Les rares survivants indésirables, disposant d’un minimum d’entendement sont pourchassés et éradiqués, inlassablement, la vérité ne devant jamais éclater au grand jour. La quasi majorité des « élus », cette micro classe dirigeante, pas beaucoup plus lettrée ni lucide que les autres, croit en toute bonne foi au roman eschatologique répété ad nauseam sur tous les écrans. Cette petite société consciencieusement désacralisée s’accroche fermement à la croyance d’un Jugement Dernier en leur faveur.
Leur hubris, engendré par leur autosatisfaction d’exterminateurs, permit à quelques îlots de rescapés indésirables d’entrer en contact et de bâtir des souterrains, des trous, de vivre comme des rats, de tenter de survivre.
Sur le papier, c’est sans espoir ! Si le sens de la démesure de nos meurtriers est notre meilleur allié, c’est la foi qui nous fait tenir debout. La foi en la justice, la foi en Dieu. Cette calamité eut pour résultat un miracle, la renaissance d’une foi telle qu’on ne la peut-être jamais connu depuis le temps de l’Eglise primitive.
Cependant, cela ne nous fait pas oublier que nous sommes en guerre, nous, miraculés de cet holocauste du Progrès, de cette Shoah moderniste, nous combattrons et vaincrons au nom du Crucifié.
Tu as sans doute remarqué l’emblème apposé sur le cœur de chacun d’entre nous. Il représente une salamandre. Les salamandres avaient la réputation de survivre dans le feu. Ce « Sida volant » représente un feu, non pas purificateur mais diabolique. Il aurait du nous brûler, réduire en cendre nos carapaces de peau, effacer notre existence jusqu’à en perdre trace jusqu’aux origines de la Création…Cependant, nous sommes encore là, bien vivant.
Sur cet emblème, vous notez que la salamandre arpente un mur crénelé, il s’agit ici d’un mur de la cité de Sodome.
Cette ville immolée par la justice divine, par la faute de ses habitants aux mœurs détestables, cette Sodome c’est le monde façonné aujourd’hui par nos démons exterminateurs, ce monde doit périr, mais nous, devons y survivre, pour y rebâtir une humanité digne du Crucifié.
Bienvenu chez les Salamandres de Sodome, Jérémie.
D’après ce qu’il m’a été rapporté, vous avez un rôle déterminant dans les rouages de cette mécanique planétaire, c’est pour cela que la Vie TM vous détenait précieusement en vie…dans une ignorance méthodique de tous ces événements.
Le fait que vous n’êtes jamais tombé malade de votre vie, votre système immunitaire est l’arme qui peut faire vaciller l’échiquier mondial, du faible au fort. Vous êtes une carte sans pareille dans cette guerre asymétrique à l’extrême.
Je conçois que tout cela doit être compliqué à réaliser…que vous êtes bien loin de votre désir de revanche envers votre fille…
On ne se retrouve pas tous les jours responsable de la vie de deux milliards de personnes, prêt à porter le fardeau d’un nouvel Adam dans le but d’instaurer une nouvelle ère."
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