Le Début II
Dans le temple où commencent encore
Les histoires des rêveurs et des morts
L'homme se souvient des champs et des prés
Au bord de la route aux bruns cyprès.
Il se réveille dans un lit bleu
Accueilli par un silence fielleux,
Sous le matelas une vielle bête
Aux idées noires, aux voeux malhonêtes.
Le nouveau-né se lève et s'égare
De ses yeux et de ses pieds hagards
Entre les pilliers sans fin d'Ego
Qui soutiennent la voute aux échos.
Quatre énigmes patientent devant lui
Ouvrant les portes du ver de pluie
Et de sa machine immobile
Dont rêve en secret le crocodile.
La créature le suit dans l'ombre,
Dans les recoins il l'épie sans honte
De ses globes jaunes hurlant d'envie,
D'orgueil, d'avarice et d'apathie.
L'homme l'ignore, avance , curieux
De ses écrits qui peuplent ces lieux,
Une langue qu'il ne connaît point
Invoquée par des symboles saints.
Il arrive devant la première énigme
Le crocodile s'approche
Il passe la seconde énigme
Le crocodile s'approche
Il résout la troisième énigme
Le crocodile s'approche
Il termine la quatrième énigme
Le crocodile s'approche bas, sans un bruit
Rampant derrière celui qui a été choisi
Par le ver qui lui ouvre en ce moment même
Les portes de sa machine et de son domaine.
Une chaleur intense étreint l'homme qui entre
Au son des clics des engrenages comme un choeur chante
Alors que la noire machine lentement s'illumine
Et que quelque part accélère une turbine.
Derrière lui les portes se referment sur les vies passées
Mais la bête aussi se glisse dans l'ombre, tassée,
Sous ses écailles bouillant un plaisir malsain
Et sur ses crocs brillant ses misérables desseins.
L'humain est au milieu d'une pièce sans mur,
Encerclé par la machine nuit et ses murmures.
A ses pieds un gouffre sans fond et sans couleur,
Avec en son centre une chétive lueur.
Le vieux lombric se penche sagement au-dessus
Pour s'exprimer d'une voix calme et soutenue :
"Tendez votre main et contemplez l'espace vide,
Entre vos doigts une infinité de possibles.
Vous, le dernier représentant des affamés,
Devez tomber sans doute dans les eaux enflammés
Du grand brasier s'éveillant dans le coeur nouveau
De la machine aux rêves, mère de tous les mots. "
Le dieu ver est grave et monotone.
Dans ses dires éclatent les atomes.
L'homme a compris la nécessité
De suivre cette fatalité.
C'est sans doute qu'il abandonnera
Son âme et son corps au brasier Ra.
Mais alors qu'il chute dans l'âtre,
Une créature laide aux yeux jaunatres
Bondit soudain de l'obscurité
Ignorant l'impuissante déité
Qui regarde l'humain et la bête
Se mêler en un seul petit être.
L'informité nouvelle éclate
Dans la douce lumière écarlate
Accueillant les graines du commencement
Pour les disperser au firmament.
Voici maintenant le crocodile
Mère du monde naissant et du Nil.
Le ver soupire en observant la Terre guérir.
Ce cycle sera sûrement bien pire.
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