PLAINE
Inaya
Je m'empresse de sortir de la salle de classe, lorsque je sens des doigts m'agripper soudainement le poignet. Je n'ai alors pas le temps de réagir que je suis propulsée vers la cage d'escalier au fond du couloir, à l'abri des regards indiscrets. Et lorsque je relève enfin la tête pour faire face à mon ravisseur, je découvre à ma grande surprise deux grands yeux bleus décortiquant minutieusement mon visage. Les yeux d'Aaron.
- Tu es devenu cinglé ? je m'écrie spontanément, sans cacher ma contrariété.
- Tu ne m'as pas vraiment laissé le choix !
Je laisse échapper un rire nerveux, sidérée par l'ironie de ces propos. Et puis j'essaie tant bien que mal de me détacher. En vain. Le brun ressert davantage son étreinte autour de mon bras pour m'empêcher de bouger.
- Inaya ! S'il-te-plaît !
- Bon sang Aaron, lâche-moi !
- Je te lâcherai si tu arrêtes enfin de m'ignorer !
- Pas question !
Sa mâchoire se crispe.
Je pense qu'il ne s'attendait pas à ce que je me montre aussi têtue.
- Inaya, je veux juste te parler... murmure-t-il alors, d'un ton plus doux pour tempérer.
- Et moi, je n'ai absolument rien à te dire ! je lui rétorque néanmoins avec fiel.
- Inaya !
- Je ne veux plus jamais te voir, Aaron !
Un silence pesant s'ensuit.
Je m'attends à ce qu'il réplique quelque chose pour tenter encore une fois de me convaincre, mais il n'en est rien. Contre toute attente, Aaron ne dit plus rien. Il se met soudainement à desserrer son emprise, avant de reculer d'un pas pour se montrer conciliant. Je suppose que je devrais profiter de ce moment pour déguerpir à toute vitesse, – après tout, c'est ce que n'importe quelle personne sensée ferait dans cette situation –, mais mon esprit semble en avoir décidé autrement. Je ne peux m'empêcher de ressentir une pointe de culpabilité monter en moi.
Le brun détourne alors le regard puis se frotte la nuque, avant de murmurer :
- Ce sera ma dernière demande...
- Quoi ?
Je fronce les sourcils, incrédule, et quelques secondes s'écoulent, paraissant durer une éternité.
- Ce que je m'apprête à te révéler, Inaya... reprend-il alors d'une voix atone.
Si je n'avais pas connaissance de son tempérament jovial, je crois que je dirais même qu'elle est empreinte de tristesse.
- Laisse-moi au moins tout t'expliquer... À la fois pour que tu puisses comprendre, mais aussi par respect pour notre amitié...
Ma gorge se serre et mon estomac se noue.
Je ne sais pas du tout de quoi Aaron est en train de parler, mais l'expression amère que son visage affiche ne fait qu'augmenter mon inquiétude.
- Et si malgré mes explications, tu décides de ne plus vouloir me parler...
Non...
- Alors je respecterai ton choix...
Je ne veux pas qu'il disparaisse...
- Je disparaîtrai définitivement de ta vie, Inaya. Je t'en fais la promesse.
Je ne veux pas d'une vie sans lui...
Je bats excessivement des cils pour chasser les larmes tentant de monter au creux de mes paupières. L'idée de devoir effacer Aaron de ma vie me terrifie.
Et pourtant, je ne peux me résigner à faire comme si de rien n'était. Non. Pas après ce qui s'est passé. Je me dois d'endurcir mon cœur. Parce qu'au fond de moi, même si je suis amoureuse d'Aaron, je ne sais pas si mes sentiments seront suffisants pour encaisser ce qu'il s'apprête à me révéler.
Alors je réprime toute émotion et me contente de déclarer nonchalamment :
- D'accord. Tâche de saisir cette opportunité correctement.
* * *
Après avoir franchi les portes de la faculté, nous nous sommes dirigés vers une petite ruelle débouchant sur une plaine verdoyante, de l'autre côté de la ville.
Cela fait maintenant près d'une heure qu'Aaron m'a intimée de le suivre, et je mentirais si j'affirmais que je ne commençais pas à m'impatienter. Il n'a plus prononcé un seul mot, ni ne m'a adressé un seul regard, depuis notre précédente discussion, et je ne peux m'empêcher de ressentir de la frustration. Heureusement que le magnifique paysage que m'offre la vaste étendue de champs me permet de prendre sur moi. Pour le moment, en tout cas.
Je laisse échapper un soupir discret. S'il y a bien une seconde chose qui me dérange dans cette virée, c'est également l'allure du brun. Avec son corps sculpté comme un athlète, il esquisse de très longues foulées, le tout sans exposer le moindre signe de fatigue. Et mes jambes frêles et chancelantes peinent à garder la cadence. Au moins deux mètres de distance nous séparent, et je suis à deux doigts d'accepter de mettre ma fierté de côté pour lui suggérer de s'arrêter, lorsque ce dernier s'interrompt au même moment.
- Un problème ? je demande alors, sans perdre la face.
- On est arrivé.
- Quoi ?
Je lève la tête et je réalise alors que nous nous situons au sommet d'une colline. Elle est plutôt haute et la vue qu'elle offre sur le ciel et les montagnes manque me couper le souffle. Je lance cependant un regard sceptique à Aaron pour tenter de déchiffrer la raison pour laquelle il m'a emmenée ici. Je remarque alors qu'il n'est plus devant moi. Il s'est réfugié sur la chaise d'une balançoire accrochée à la branche d'un chêne plutôt âgé, et je réalise à l'aide des traces de peinture que cette balançoire semble avoir été abandonnée.
Aaron reporte alors son attention sur moi avant de me décocher un sourire :
- Tu peux t'asseoir aussi, si tu es fatiguée... me dit-il.
Mes joues s'empourprent. L'idée qu'il ait remarqué ma peine à tenir le rythme ne m'enchante pas vraiment. Et pour être honnête, je crois que dans un autre contexte, j'aurais même décliné son offre. Mais ce n'est probablement pas le moment pour moi de jouer la carte de la prétention. Mes jambes sont en compote et je vais éviter de cracher dans la soupe qu'on me sert. Alors je me contente de hocher la tête et j'obtempère.
Un silence pesant se joint de nouveau à notre conversation. Aaron ne semble pas décidé à vouloir le rompre, alors je décide de prendre la parole en premier :
- Qu'est-ce qu'on fait ici ?
Mais Aaron ne répond pas immédiatement.
Il prend une profonde inspiration, comme pour calmer sa nervosité, et ses épaules s'affaissent légèrement.
- C'est ici que l'on s'est rencontré... finit-il alors par déclarer.
- Quoi ?
J'arque un sourcil, déconcertée. Je ne me souviens pas avoir mis les pieds sur cette colline ne serait-ce qu'une fois. Encore moins en compagnie d'Aaron.
En constatant ma réaction, le brun se met néanmoins à esquisser un sourire mutin.
- Je ne parle pas de toi et moi... glousse-t-il.
- Oh.
Je me sens extrêmement stupide, tout à coup.
- Je parle de Naël et moi...
- Naël ?
Il s'interrompt un instant, se passe la main dans les cheveux, avant de rajouter :
- C'est mon meilleur ami...
Oh.
Je ne savais pas qu'Aaron avait des amis.
Après tout, il ne m'en a jamais parlé auparavant.
- Enfin, c'était mon meilleur ami...
- Vous vous êtes disputés ?
- Non...
Je lui adresse un second regard interrogateur, confuse.
- On ne s'est pas disputé... poursuit-il. On ne peut plus vraiment se disputer...
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Naël n'est plus de ce monde...
- Quoi ?
J'écarquille les yeux de surprise.
- Et tout est arrivé par ma faute...
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