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Longtemps, j’ai repoussé l’heure du coucher. J’avais le goût de la nuit, de cette vacance régulière et inespérée, de ces ténèbres protectrices où je pouvais me livrer sans crainte à toute mon incongruité. J’étais un poète, un incompris, peut-être même, avec de la chance, étais-je un peu maudit, et la lune était l’étendard sous lequel j’avais un dernier exil.

Aujourd’hui, je me l’explique différemment. Rares n’ont pas été les fois où mes veillées n’avaient rien que de purement mécanique. Une sorte d’inertie que je devais à une certaine force avec laquelle j’avais été trop violemment projeté dans le jour. J’avais beau être fatigué, n’avoir rien à faire, décider de me coucher, je veillais. J’avais beau même, parfois, me morfondre, je veillais.
Cette force qui me donnait trop d’élan pour la longueur du jour, c’était l’insatisfaction. Je n’étais pas un rebelle. Je n’ai jamais été punk. Plutôt d’un naturel gentil, discret, conciliant. Mais tout au fond de moi, il y avait le feu. Un feu nourri par le régime de l’ignorance et de la confusion. Un feu de déplaisir, un feu d’impatience, même un feu de colère, quand je parvenais à ne pas m’en priver. Il n’est pas impossible, s’il est vrai que l’homme a une essence, que ce soit celle-là. Que tout bonnement je sois ce feu.

Alors, la nuit, je ralentissais doucement dans les ténèbres qui rejoignaient leur apparence. Au moins elles ne mentaient plus. Je pouvais toucher terre. J’étais encore sensible au mensonge, à ce mensonge cosmique auquel j’opposais un refus si total que je niais jusqu’au feu qui me constituait, mais à côté duquel, au fond, celui du soleil, cette lumière du jour que je croyais violente, n’était qu’une autre nuit, moins apparente mais pas moins propice à tenir lieu de foyer. Pour un feu tout est foyer.

Je suis né trop tôt. Ma mère avait convenu d’une date avec la maternité, mais ce n’était pas la mienne. Est-ce que ça se planifie, la naissance d’un enfant ? Aujourd’hui, elle m’en parle avec quelque regret. J’étais son premier, elle ne savait pas tout à fait ce qu’elle faisait. On m’a forcé à venir au monde. Ma mère m’a dit aussi que pendant les trois premières années de ma vie, toutes les nuits, à la même heure, je me réveillais en crises de pleurs horribles.

Un de ces soirs de veillée mécanique, j'ai eu l'impression que, ce qui me tenait debout, c'était d'avoir manqué quelque chose, d'être passé à côté de quelque chose, dont le sommeil allait me priver. Pas une chose de la journée, non. Pas comme quand on a l’impression d’avoir oublié quelque chose. Précisément l’inverse, une chose que je n’aurais jamais eue et qui pourtant se serait tenue là chaque jour, chaque moment passé à l’état de veille, qu’il aurait suffi que je réalise pour avoir la paix.
C’est étrange, cette certitude que j’avais que le sommeil et ses rêves ne m’avanceraient à rien. Ce dégoût, presque, à l’idée de rêver. Les quelques rêves que j’ai interprétés correctement dans ma vie, ceux qui disaient réellement quelque chose, au fond, ne m’ont rien apporté, sinon le signe creux d’une présence, d’une intelligence qui déborde tous les cadres préétablis. Mais toutes ces formes, toutes ces couleurs, tout ce théâtre pour un simple « je suis là »… Tout ce symbolisme, tout ce jeu de cache-cache me fatigue.

Puissent tous les mystères
S'en aller dans la terre
Comme une eau de gouttière
Je ne retiendrai plus
La pluie de mes mains nues
Pour y chercher de l'or
Car ce n'est qu'un beau rêve
Et je suis le rêvé
Le trésor
Le feu au coin duquel
Vient se chauffer la mort

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